jeudi 18 décembre 2025

2025 dans le périscope (pt 2/2)

Alors, on y vient (et probablement rien que pour ça, point d’orgue de l’activité du blog – les stats parlent……), what's in my bag* cette année ? Quels sont ces disques d'à-côtés, ces vieilles merdes des années 70's ** qu'on ne cesse de (re-) découvrir avidement, à force de chiner dans les recoins les plus sombres de la sphère digitale ou dans les vieux bacs des disquaires qui ont fait exploser les prix depuis la résurrection du format vinyle ? Toute cette musique accumulée qui vieillit et s’oublie (vite) sous des strates poussiéreuses et nostalgiques. Personnellement j’ai toujours adoré ces allers-retours entre passé et modernité, à essayer de tirer de cet écheveau sonore des filiations improbables qui relient plus ou moins les protagonistes de ce grand flux continu. Rapide sélection de trucs qui ont pas mal tourné sur la platine cette année…

 

Quitte à frôler le kitsch plus 70’s tu meurs on peut se caler un petit Toni (ou Tony ?) ESPOSITO, qui nous distille son jazz percussif aux accents exotico-lounge. C’est frais en fait ; et roboratif.  Et ça aurait pu être produit très récemment. Et on peut parier que John ZORN doit bien avoir ça dans sa discothèque vorace.

 

 

Dans la même veine, un disque qui coche pas mal de cases (les miennes, certes), c’est « Listen Now » de l’anglais Phil MANZARENA. Art-rock avec de beaux accents jazzy. Et si ça vous rappelle ROXY MUSIC ou BRIAN ENO c’est un peu normal vu que toutes ces « entités » sont inextricablement liées.

 

 

Le somptueux disque d’Eiko ISHIBASHI a été un prétexte à de longues digressions et heures perdues youtubesques à puiser dans la pop-culture nipponne. De ce genre d’escapade on en revient pas forcément glorieux mais s’il y a un disque à garder ce serait peut-être le bien nommé « Japanese Girl » d’Akiko YANO. On navigue là en plein cliché when east meets west . Et d’aimer ça.

 

 

Idem : ALWAYS AUGUST (chroniqué en octobre dernier) ouvrait la boite de pandore du catalogue sans fin ni fond du label SST de la grande époque (avant qu'un certain Greg GINN ne soit systématiquement pointé du doigt par les groupes pour malversations...) : ça défouraillait à tout va à élargir le roster du label avec tout ce qui se faisait de cool, hybride et underground à l'époque. Ca vaut vraiment la peine de (re-) découvrir des perles planquées sous le bitume comme les TAR BABIES et leur jazz-funk frais et roboratif. No Contest est de ces albums confidentiels et solides qui méritent qu'on se les repasse sous cape. ALTER NATIVES qui mélangent prog, noise, rock ou jazz :  la fusion avant l'heure. Ne pas oublier UNIVERSAL CONGRESS OF, l'incarnation post-SACCHARINE TRUST de Joe BAIZA) qui délivre le jazz le plus cool de la côte ouest. Et peut-être de la planète. « Prosperous & Qualified » figure dans mon top 10 intime des disques de jazz. Pas moins. Les plus téméraires peuvent toujours piocher dans la disco azimutée de ZOOGZ RIFT ancien catcheur dont les influences BEEFHEART-ZAPPA-tesques s'affichent sans retenue. Autant commencer par le quasi commercial « Water II : At Safe Distance » (« safe » - sāf = sûr, sans danger...). Encore plus opaque, on a Steve FISK. Derrière cette bonne tête de geek des années 80's, on a un producteur, un guitariste émérite (qui officiait dans PELL MELL), et aussi une tête chercheuse qui découvrait les possibilités exponentielles du sampling. « 448 Deathless Days » est un album sans queue ni tête dont l'étrangeté laisse l'auditeur toujours aussi perplexe une quarantaine d'années plus tard. Un petit dernier ? Beaucoup plus classique et convenu, quasiment introuvable à l'heure actuelle, mais d'une classe absolue, « Happy Nightmare » Baby d'OPAL nous distille son folk rock psyché intemporel et altier (RoughTrade a sorti 2 ans plus tard une compilation « Early Recordings » offrant un volet beaucoup plus intimiste du duo). De ces groupes ultra-confidentiels qui ont du influencer une tripotée d'artistes depuis...  

 

 

Dommage : on ne va toujours pas quitter SST... Si vous suivez la pitoyable actualité vous avez peut-être vu la dernière incarnation de BLACK FLAG soit trois post-ados relativement doués au service de la mégalomanie d’un Greg GINN qui au passage emmerde bien les autres membres historiques du combo légendaire (et par là même recentre le propos sur son crédo : BLACK FLAG c’est lui, et n’importe qui, même médiocre, peut devenir membre du groupe). Pathétique gouffre sans fin ni fond : ouais c’est moche un punk qui vieillit. Autant en profiter pour se repasser la discographie post-BLACK FLAG de ce guitariste de génie qui a tendance à multiplier les projets comme de simples extensions tentaculaires de lui-même. À l’exception des deux (excellents) premiers GONE (avec la future section rythmique d'élite du ROLLINS BAND) sa guitare est poussée dans les recoins autistique de son style : GINN joue du GINN en boucles hermétiques et massacre la plupart des productions avec un son basse-batterie dégueulasse. De ce smegma nauséeux, The TAYLOR TEXAS CORRUGATORS tire son épingle de la meule de foin avec une espèce de country-blues de salon déglinguée où les solos erratiques de GINN se dé-calent parfaitement. Il y a un peu de GONE dans son projet MOJACK qui nous délivre son punk-jazz mutant... avec un saxo en plus ce qui est plutôt inattendu (et bienvenu) dans l'univers autocentré du guitariste : et ça se tire la bourre en volute interminables.  

 

 

On clôture définitivement la période SST, c’est promis. Mais ainsi était 2025 à naviguer mollement dans le passé… Et GEZA X, sorte de parrain de la scène punk californienne (associé de près ou de loin à certains groupes du label) s’est pas mal invité sur les écoutes. Plaisir de redécouvrir son art-punk créatif et anguleux. 

 

 

Celui-là on se le gardait un peu sous le coude. Ce genre d’album dont on se demande encore comment on a pu passer à côté pendant tant d’années et qui aurait sûrement changé le cours des choses si découvert pendant une adolescence musicalement avide… RAIN PARADE et son Emergency Third Rail Power Trip distille un rock finement psychédélique. Loin de rivaliser avec les dissonances bruyantes des SONIC YOUTH de la décennie 80, RAIN PARADE opte pour les mélodies subtiles, une pop élégante brouillée par des saillies électrifiées (mais pas trop !). le guitariste David ROBACK est aussi derrière OPAL précédemment cité. Le groupe après un 2ème album très inégal s’est retrouvé sur un (très correct)  « Last Rays of the Dying Sun » presque 40 ans plus tard…

 

En voilà une qui a dû faire baver Mr OIZO et les apprentis sorcier en home studio. La japonaise Junko TANGE et son projet TOLERANCE n’a sorti que deux albums au début des années 80’s. Son premier était franchement arty et déglingué là où  « Divin » verse dans le registre analogique cradingue et rampant, avec du gros souffle et des gros filtres patauds. De quoi tripper sévère à découvrir les pulsations entêtantes de cette proto-techno à base de bandes et de vieux synthés bruyants.

 

 

Chaque année, cette impression que la discographie de motherfucking Miles n’a pas fini de nous livrer quelques pépites… Avec « Turnaround » par exemple ; soient une poignée d’inédits enregistrés à l’époque du magistral «On Air ». L’éternelle leçon de classe tout en retenue reptilienne. 

 

 

Jazz, toujours avec le tout aussi funky « Two Is One » de Charlie ROUSE. On nage au cœur des années 70’s, où le genre commençait à se réinventer et s’hybrider. Moins hybride mais plutôt mâtiné de petites touche free (et belle surprise automnale) c’est le trop confidentiel « Off Centre » de JOHN CAMERON QUARTET.

 

 

Atterrissage en souplesse (et nostalgie) avec le folk-rock on ne peut plus classique de Songs for Juli de Jesse COLIN YOUNG. C'est le disque sympa avec des accents bluesy et des arrangements solides. Certes il n’a pas la gouaille chaloupée d’un Tony Joe WHITE ou le velouté classieux d’un J.J CALE, mais c’est un disque confortable à se repasser le cul calé dans un vieux fauteuil à siroter une bière américaine fadasse. Tout ça va pas nous ramener John CAGE, certes...

 

 Et tous nos meilleurs vœux musicaux (ou quelque chose comme ça) ! Le champ des musique est un flux continu ouvert en permanence à notre curiosité avide...

lundi 8 décembre 2025

2025 dans le périscope (pt 1/2)


2025 touche à sa fin. Le 21 siècle n’en est pas loin non plus. L’année nous a laissés pantois à contempler le nouveau visage du fascisme 2.0, qu’il soit blondin peroxydé et coprophage ou improbable et tout aussi vulgaire Mussolini sans prép-ce. Un troisième ? Il est blanc comme un cul, froid comme un iceberg gavé au césium et marine dans un bouillon toxique de rancune et de rêves de grandeur d’Empire retrouvée. Pendant ce temps, plus près de chez nous un petit monarque jupitérien s’est cramé les ailes sous le plafond de verre de ses compétences, aveuglé par son propre éclat.  Pendant ce temps-là le bon petit peuple forcément vertueux et hyper-consumériste attend encore le grand soir et les lendemains déchantant qui en découlent pendant que les autres glorifient un passé glorieux qui n’a jamais existé, c’était tellement vieux amant, hein ? Tous ignorant probablement que l’emballement des crises et l’horizon économique qui n’a de cesse de reculer est pieds et poings lié à une sainte croissance qui prend des airs d’arlésienne évanescente depuis que le pic pétrolier a été dépassé dans un silence minéral. Mais comme ce bon vieux philosophe aimait à nous le répéter à l’heure du petit déjeuner « l’art nous est donné pour nous empêcher de mourir de la (post-)vérité ». Philosophie de comptoir boudeuse qui en a pris pour son grade depuis que Shein (prononcer « Scheiße », ça signifie merde en allemand) ou Temu (prononcer t’es mou) ont pris le contrôle de nos esprits et de notre porte-monnaie. Que reste-t-il de nos amours musicales alors ? Evil-Spoty et Shitcamp joués dans des @irpods de contrefaçon vendu par un agitateur culturel franchement largué? Lassitude moderne guettant à tous les étages, le parti pris cette année était comme d’habitude fainéant ; et peut-être plus rétrograde que jamais aussi. A chercher le réconfort en puisant dans tous ces vieux trucs surannés pour lesquels mon appétence n’a pas faibli : il y a certes le présent pour fouiner dans l’actualité féconde mais une vie entière ne suffirait pas pour piocher dans les archives de la petite histoire musicale… Alors désolé pour les vieux beaux de la génération X qui s’accrochent désespérément à une morne branchitude : pas ici qu’on pourra dénicher le next big thing qui donnera l’illusion d’encore en être… Les jeunes s’en foutent, ils ont compris à piocher allègrement n’importe où et n’importe comment : c’est vrai qu’entre Jimi Hendrix, Bananarama et Mister Gims il n’y a au plus qu'une poignée d'années d’écart.

 

Récemment, c’est le "It’s a Beautiful Place" du duo WATER FROM YOUR EYES qui aura résumé l’année écoulée à lui seul. Pas cherché plus loin vu que ce petit bijou de pop déjantée et inclassable semble balayer crânement le spectre des « musique actuelles ». Un grand bond en avant dans leur discographie restée jusqu’ici pertinente mais plus hermétique. (allez : on leur accorde un 9/10. Et ce sera la seule note). 

La suite a été confuse avec ces deux albums à la source de dilemme intime : « ça vaut une chronique ou pas ? » (« oh et puis merde, trop la flemme »). De ce genre d’album presque parfait qui semblait cocher toutes les cases mais cette petite voix intérieure lancinante qui vient pourrir la vision lissée…  

Choke Enough d’OKLOU est un petit omni d’électro-pop adoubé par FKA Twigs. Même France Culture se confondait en louanges excessives, allant jusqu’à relier l’album de la jeune française à la culture rave des années 90’s (les poignées d’ecstas en moins). Certes à la rédaction ils n’avaient pas encore eu Siràt à se coller sous le palais pour tripper de la sorte. Non, c’est peut-être le refrain niaiseux sur Harvest Sky ; note discordante qui a réussi à faire vaciller un si bel édifice… (8/10 pour la peine, sinon on frôlait l’absolu ! Promis : plus de notation).

 

Je ne connaissais pas Eiko ISHIBASHI, artiste discrète et versatile, avec un net penchant pour les textures expérimentales. La compagne de l’exilé Jim O’ Rourke revient avec un Antigone de facture très classique : une pop jazzy, sombre et mélancolique qui vous murmure des horreurs à l’oreille. Les chansons pareilles à d’amples mouvements veloutés sont portées par de somptueux arrangements « à l’ancienne ». Mais le malaise se niche dans l’indicible à traquer de la sorte le détail qui cloche alors qu’il n’existe pas : à force de chicaneries il fallait bien admettre que les parois du chef d’œuvre étaient dépourvues de quelconque faiblesse ou aspérité. Mais c’était trop tard (catégorie « trop la flemme après coup, hein » ). 

Complètement passé à côté du dernier BIG BRAVE malgré un teasing prometteur. Le trio doom se renouvelle complètement, se libérant des tensions et du volume pour ne garder que drone et pulsations. La liberté de ton semble être la seule règle pour ce brulot de dark ambient rituelle et tactile. Un pas de côté réussi dans une discographie elle-même à part.

MULE JENNY n’est peut-être pas aussi connu que les autres groupes dans lesquels les membres officient (WE INSIST ! et LYSISTRATA quoi…), mais avec ce Take Enough Leeway, le trio a de quoi prétendre à se hisser très haut dans le petit microcosme (parfois étriqué) du noise-rock. C’est fluide, nerveux et alambiqué. Sincère aussi. L’enregistrement sec met en valeur tout le potentiel scénique : MULE JENNY,merci de passer près de chez moi !  


Après avoir délicieusement perdu pas mal de fans de la première heure avec leur   Infinite Granite aux accent shogaziens marqués, DEAFHEAVEN se recentre sur sa marque de fabrique initiale avec ce Lonely People With Power qui distille son post-black-métal (ou black post-métal ??) avec la même ferveur terrassante du séminal Sunbather. Le genre d’album qu’on va retrouver à coup sûr dans le top 10 de l’année (dans sa sous-catégorie…).

C’est bien parfois de sortir de sa zone de confort… En compagnie de Steven Wilson. Ne connaissant PORCUPINE TREE que de nom, j’ignorais que WILSON traçait sa route obstinément avec une discographie longue comme un bras; et des morceaux longs comme un bras avec « Objects Outlive Us » de 23 minutes qui inaugure un The Overview généreux et plus prog-rock que jamais. De là se retaper la disco intégrale Yes ou VAN DER GRAAF GENERATOR il n’y a qu’un Rubicon que je ne franchirais pas (flemme…).

On peut toujours contrebalancer les escapades prog’ coupables avec le (post ?) punk riot girls du trio irlandais.e.s MHAOL (se prononcerait « mule »…). C’est anguleux, engagé et enragé. Le tout plié dans l’urgence (punk) en moins de 30 minutes. What the fuck else ? Si : le collectif canadien LA SECURITE qui délivre autant d’énergie énergie avec moins de papier de verre et plus de hype bien groovy.

Dans des registres plus obscurs qui ne versent pas dans l’austérité du genre, la newyorkaise Lew NIYOMKARN propose une musique électro-expérimentale qui reste cependant ludique et exploratoire (à rapprocher des Mathias PUECH ou Gonçalo F. CARDOSO). 

Belles surprise glanées sur un blog « ami» (Inactuelles) qui fait de la résistance : le quatuor IKI dont le travail sur The Body (qui peut rappeler Meredith MONK ou Terry RILEY ) est axé sur les voix ainsi que le Time of Change d’Angelina Yershova qui s’ingénie à brouiller le signal de son piano erratique (bel à-côté dans une discographie plutôt new age…).

Les travaux du marocain Ahmed ESSYAD ont été récemment réédités et c’est un plaisir de découvrir ses manipulations électroacoustiques arides, tendues et chargées de mystères. Et c’est forcément sur SubRosa que l’on trouve encore ce genre de surprises.

Autre réédition, c’est Mental Detentions de l’écossais Robert RENTAL. Associé à la scène radicale de l’époque (THROBBING GRISTLE, WHITEHOUSE) ses synthés délivrent une musique sombre et rituelle entre pulsation cardiaque et échos de friches industrielles.

Sinon il y aura toujours une place secrète pour un disque de Jérôme NOETINGER, cet infatigable activiste des musiques de traverses, et maitre dans l’art de pousser un Revox dans ses limites. Et Intensior Corda Sonus résume bien son esthétique (et son engagement) avec ces manipulations virtuoses et abrasives.

Ajout de dernière minute !! Jorge DURAN RODRIGUEZ. Evidemment inconnu au bataillon, Across Currents propose une collaboration live avec Takaro KUROKAWA sur laquelle ils explorent rythmes, glitches nappes et pulsations. Le concept n’est pas des plus original mais le résultat est d’une fraicheur (certes rigoureuse). Belle surprise de l’année…

 

Catégorie des vétérans qui d.étonnent toujours, on a une belle livraison cette année. Les vieux briscards s’entêtent, font de la résistance avec une carrière à rallonge. Mais ils ont souvent pavé la voie et participé à définir les esthétiques en cours (ou leurs fondations à minima…). Après leur réinterprétation espiègle du In C de Terry RILEY on ne les attendait plus vraiment, perchés sur leur petit nuage. Les YOUNG GODS nous balancent un Appear Disappear solidement ancré dans son passé avec les samples bien en avant et cette chaloupe electro-indus dont ils se défendent. Rien que pour le groove monocorde de Shine That Drone la longue route en vaut la peine. 

Autre habitué de ces pages c'est Mick HARRIS qui toaste sévère, sous son patronyme cette fois : après les Hednod Sessions qui proposaient une version du SCORN décharné jusqu'à l'os des années 2000, ces Culvert Dub Sessions pachydermiques font plutôt le parallèle avec les récentes sorties plombées dans des basses abyssales et cradingues. 

Après un hiatus de près d'une décennie, et pas loin de trois décennies d'existence, TORTOISE, vétérans du post- jazz ou rock, c'est selon, nous reviennent avec un Touch tout en velours matois et organique. De là à affirmer que c'est leur meilleur travail depuis Standards, c'est un raccourci que je ne prendrais pas, mais il est sûr que le collectif de Chicago a toujours su évoluer sereinement comme un seul corps. 

Cerise sur le gâteux, c'est le sludge-noise sociopathe des vétérans suédois de BRAINBOMBS qui sort du bois comme on crie au loup avec le très subtilement nommé « DIE ». Rien de neuf avec leur mid-tempo concassé, riffs saturés en boucle et cette voix monocorde qui débite l'horreur indicible. Non : rien. Mais ça fait toujours plaisir de savoir que BRAINBOMBS existe toujours, juste tapi dans un coin d'ombre et prêt à vous sauter à la gueule ; histoire de ruiner une journée qui s'annonçait prometteuse. 

Et puis on peut toujours parler de ZËRO sans pour autant parler de rien. Les transfuges de BÄSTARD/DEITY soit ce qui s’est fait de plus excitant dans la scène noise française des 90’s ont toujours continué leur cheminement avec une belle flopée d’albums dont leur dernier Never Ending Rodeo qui continue d’ouvrir de beaux espaces entre fougue « noiseuse » et post-rock illuminé.

jeudi 27 novembre 2025

Heta BILALETDIN : "Nauhoi"


Album en chausse-trappe dangereusement fait maison. Et grand bond en arrière à flirter avec la no-wave et les expérimentations basiques (= analogiques ?) de la face sombre et cachée de ces années 80’s trop rutilantes pour être honnêtes. Le Nauhoi de l’artiste finlandaise Heta Bilaletdin, bien que daté de 2021, semble tout droit sorti de cette époque à la créativité embryonnaire et foisonnante où le DYI ne s’appelait pas encore home-studio. Les techniques sont mixtes et presque désuètes ici : heureuses rencontres entre vieux objets trouvés, vieux synthés, vieilles bandes magnétiques, vieilles guitares désaccordées (et probablement vieux computer…) et une musicienne tapie dans l’ombre à glaner ses sons et ses trouvailles de chez Castorama au fil de la dernière décennie écoulée, là où d’autres accumuleraient paisiblement les strates sédimentaires au fond de l’océan. Musique de bricolage donc, comme un acte de résistance inconscient aux techniques de productions lisses et millimétrées d'une époque qui se veut aseptisée. Ça fleure bon le 4 pistes et une kyrielle d’effets analogiques qu’on peine à modéliser en plugins pour Ableton : le cauchemar du beatmaker d’aujourd’hui, quoi (ou une source d’inspiration inespérée…). Et on tient là une espèce de synth-pop foutraque, un peu ambient, un peu dark, un peu cold aussi, et dont les reptations anémiées ne cessent de vriller nos oreilles, nos sens et notre sourire. Nostalgie 2.0.

 

L'Un.

Heta BILALETDIN : "Nauhoi" (Fonal. 2021)

mardi 11 novembre 2025

Gonçalo F. CARDOSO : "Exotic Immensity"

« La tentation d'une île »

 

Biais de confirmation : à la première écoute, certes distraite, de se  laisser berner, persuadé qu’Exotic Immensity s’inscrivait dans le sillage des travaux précédents de Gonçalo F. Cardoso qui documentait les contours sonores des iles traversées : Canaries, Açores, Zanzibar ou Borneo. Pas forcément du field-recording pur et dur, mais plutôt des reconstitutions subjectives, des superpositions de paysages sonores enveloppées d’électronique plus ou moins prégnante. Un léger différentiel s’impose cette fois sur une île imaginaire pour laquelle le champ des possibles et des expérimentations est ouvert aux vents contraires. Si les sons captés semblaient souvent dominer sur ces « impressions d’îles », ils deviennent une matière souple et modelable à l’infini dans cette immensité exotique à (re)créer. Comme un paysage rêvé entraperçu à travers les battements de paupière d’un songe éveillé. Les strates sonores évoquent l’épaisseur de la couche nuageuse qui nimbe l’archipel d’un entêtant mystère. Tournoiements de boucles. Le quai d’embarquement est brouillé et semble s’éloigner de pair avec le reflux. La présence humaine est tapie dans l’ombre des détails luxuriants et filtrés ; comme un rituel ancien et oublié. A moins que ce ne soit une présence animale et crépusculaire. L’analogie insulaire se confirme : derrière un exotisme de façade aux contours aguicheurs et veloutés, une âpreté lui succède au fur et à mesure que l'on s'enfonce dans la moiteur de cette nature encore intacte.... Gonçalo F. Cardoso a composé un panoramique d’une dark ambient qui n’est pas sans rappeler On Land d’Eno ou Substrata de Biosphere. Avec ce supplément de rugosité propre à ces reporters de terrain, chasseurs de sons plus en phase avec une réalité - même imaginaire.

 

L'Un.

 

Gonçalo F. CARDOSO : "Exotix Immensity" (Discrepant. 2024) 

 


mardi 28 octobre 2025

GOAT (JP) "Without References / Cindy Van Acker"

Derrière GOAT (JP) on trouve un certain Koshiro HINO, obsédé par l’électronique les percussions et STOCKHAUSEN. Le monsieur a du croiser le fer avec une des incarnations les plus récentes des BORDEDOMS et toute la clique avant-gardiste du pas si paisible archipel nippon. Un pédigré pas si facile à tracer sur le net, mais son projet GOAT (JP) est peut-être le plus en vue dans nos contrées occidentales. Le concept du quatuor est simple : une pulsation toute motörik : GOAT n’est que tourbillonnements percussifs et brouillage de timbres. Bah, juste un peu poussé dans ses retranchements, comme seuls les Japonais en sont capables lorsqu’ils s’approprient un objet exogène (ndlr : les clichés ont la peau dure parfois. Mea culpa, okay ?!). Entre techno froide et hypnotique et l’ivresse rêveuse d’un gamelan imaginaire, une musique de répétition 100% machine-free, dont les micro-variations sont issues de l’erreur humaine, trop humaine. Musique de commande aussi, « Without References » a été composé pour la chorégraphe Cindy Van Acker (qui collaborait habituellement avec feu Mika "Pan Sonic"Vainio). Ce qui peut expliquer une forme plus froide, presque démonstrative, contrairement aux 2 précédentes productions sur lesquelles la présence humaine est plus dicible, les résonances plus rugueuses. Mais cette rigueur fascine comme un objet qu’on observe à distance, les paupières mi-closes et incrédules. Une polyrythmie fracturée inaugure l’album avec le tribalisme clinique d'un « Quest », comme si le NEUBAUTEN des débuts avait troqué les amphétamines pour une tasse de kombucha bio avec une batucada de quartier. « Factory » s'inscrit dans cette ligne en pointillés nerveux avec un rigorisme minimal encore plus marqué. Entre, s'intercale une rêverie saccadée pour gamelan réinventé ou encore un « G-H-S » qui flirte avec les tangentes heureuses d'une ambiant percussive de salon. « Orin » relève du tour de force opiniâtre avec ses pulsations carillonnantes dont les saccades rythmiques se révèlent à l’oreille aguerrie après une bonne dizaine de minutes à l’épreuve. Il y a comme des échos distants et fragmentés de CHARLEMAGNE PALESTINE dans ce morceau et le final « CR » qui s’éloigne dans les brumes massives de cymbales grommeleuses. L’expérience est tant physique que sensorielle avec GOAT (JP), à rechercher de la sorte la fluidité du mouvement dans le groove forcené d’une transe implacable et syncopée. Le travail exécuté est millimétré sans pour autant verser dans un rigorisme mécanique : on sent, on entend le travail de la main, qui nous emporte dans ce tourbillon subtilement asynchrone qui fait du corps et de l’oreille un seul instrument de résonance. A placer sous le saint patronage de Terry RILEY et à rapprocher des forcenés du rythme analogique comme leurs compatriotes de NISENNENMONDAI, KUKANGENDAI (que j’aurais dû chroniquer à 3 reprises déjà ; la flemme…), Oren AMBARCHI (et son Quixotism, par exemple) ou le binôme de choc INSTITUTRICE. Mais la liste est ouverte, comme l’échelle de Richter.
 
 
L'Un. 

GOAT (JP) "Without References / Cindy Van Acker" (Latency. 2025)

dimanche 5 octobre 2025

ALWAYS AUGUST "Largeness Without (W)holes "

 Chronique paresseusement rédigée par une journée orageuse du mois d’août 2025.

 

 

 

Quand on évoque SST Records, label phare et pionnier de la musique indé des années 80’s, on peut à minima distinguer 3 phases dans son histoire. Les débuts exemplaires d’un label DIY créé par les membres de Black Flag pour promouvoir son groupe puis les groupes des potes. Puis une certaine notoriété aidant, SST était passé en mode tête chercheuse, signant les groupes à tour de bras et ouvrant le champ des possibles, loin de se cantonner à un style (le punk), quitte à se faire honnir par le noyau conservateur et transi des fans de la première heure (on y croisait tout de même Sonic Youth, diverses formes de jazz, et une poignée d’allumés de la de la scène expérimentale de l’époque ZOOGZ RIFT, Elliott SHARP, Fred FRITH…). En gros, acheter un disque estampillé SST, c’était cool. La suite qui n’a toujours pas de fin se perd dans d’interminables procès pour malversations des artistes souvent lésés, le label délocalisé au Texas n’étant que l’ombre de son fond de catalogue et servant principalement à promouvoir la mégalomanie sans fond d’un Greg GINN avec ses innombrables avatars autistiques qui finissent par tourner en rond.

On va pas refaire la petite grande Histoire avec la première période et encore moins se salir les mains inutilement dans ce qu’est devenu cette parodie de label. Non : c’est la tête chercheuse qui signait des groupes à tour de bras qui nous intéresse, SST Records à incarnait parfaitement un certain esprit d’une certaine époque. Celui d’une scène qu’on ne qualifiait pas encore d’indé, presque naïvement ouverte à tout, avant la grande récupération par les Majors dans la décennie suivante… Depuis, le fond de catalogue (piètrement géré) a pris la patine du temps, des petites pépites surannées à (re-)découvrir, même si relevant parfois plus souvent de l’anecdotique sympathique.

ALWAYS AUGUST. Rien que pour ce nom doux-amer, qui rappelle les promesses perdues de nos derniers jours de vacances. Pour la pochette au graphisme naïf. Le propos garde cette même candeur indolente avec ses alternances de compos maladroites et de jams sessions un peu molles et paresseuses. Avec sa langueur candide, Largeness Without (W)holes est un disque d’à peu-près qui à lui seul résume la décennies 80’s (probablement mieux que tous les revivals surexposés qu’on nous assène). Le disque de potes, qui voient leur rêve se réaliser avec la signature inespérée sur le label le plus cool de l’époque. Pas un morceau marquant ou un air entêtant. Juste cette agréable sensation vaporeuse.On ne sait pas vraiment où finissent les répétitions de garage et où commencent les compositions en filigranes au fil des morceaux qui s’enchainent et s’effilochent sympathiquement. Un peu de flute, des échos lointains de section à cuivre ou quelques cordes frottées pour renforcer cette impression de jazz brouillé. Certains audacieux (ou fans transis) y voient la rencontre du GRATEFUL DEAD et du BLACK FLAG. On en est loin du compte, l’argument de supermarché ne tient pas la route face à ces mastodontes du solo de guitare à l’infini. Mais l’idée y est, et ALWAYS AUGUST est de ces albums qui vous donnent envie d’embrasser le reste du catalogue à bras ouvert (allez : je pense à TAR BABIES, OPAL, SLOVENLY ou ALTER NATIVES !). De les redécouvrir, sans filtre, juste pour apprécier l’air d’un temps révolu à l’ombre d’une belle journée d’un mois d’août caniculaire.

 

L'Un. 

 

ALWAYS AUGUST "Largeness Without (W)holes " (SST Records. 1987)

mardi 23 septembre 2025

BOWERY ELECTRIC : Beat

"New York I love you, but you're bringing me down" (James Murphy)

 

Du trip-hop, mouvement anglais qui combinait astucieusement des éléments d’acid-house, de breakbeat et d’ambient dans une scène électronica montante, on ne retiendra finalement qu’une poignée d’artistes : pensez MASSIVE ATTACK, pensez TRICKY ou MORCHEEBA. Et PORTISHEAD. Trilogie au carré qui laisse dans son sillage une myriade de groupes aux destins plus ou moins anonymes. Quelques seconds couteaux ont su tirer leur épingle du jeu dans cette scène plutôt ouverte et expérimentale (penser seulement aux excellents LAIKA…) .

Alors pas certain que les saillies boudeuses des Américains (qui plus est) de BOWERY ELECTRIC s’inscrivent parfaitement dans cette mouvance, mais à l’époque on ne parlait pas encore de drone-music, et au final l’essence du trip-hop réside peut-être dans ces expérimentations hybrides, ouvertes et inclusives. L’étiquette est vendeuse, mais à part ce très fort sentiment de vacuité vaporeuse qui vous étreint dès les premières pulsations, la musique de Beat semble davantage puiser dans les espaces infinis qu’offrent les bourdonnements continus tels que définis par La Monte YOUNG, ou les brouillards cafardeux du shoegaze, ce drôle de sous-style musical aux contours floutés. Atonale du début jusqu’à la fin évanescente sur cet album grésillant. Comme un lent cheminement vers la lumière pâlotte et vacillante. Les textures de cet album alangui sonnent comme une reprise sédative d’un No Fun vidé de sa substance iguanesque. Alors trip-hop pour l’atmosphère et ces boucles rythmiques répétitives à la proto-SCORN, pourquoi pas ? Ou sinon de jeter une oreille sur leur 3° et dernier album Lushlife plus accessible. Beat est de toute façon parfaitement en phase avec son époque faussement décontractée.  Pour le reste, ce n’est peut-être là que de la musique de périphériques déserts pour lunettes noires, nuit et lignes blanches…

 

 

 

L'Un.

 

BOWERY ELECTRIC : "Beat (Kranky. 1996)