lundi 25 avril 2011

F.S.O.L. : Environments 1-2-3

Il y a bien longtemps que ces anglais ne nous ont emballé les oreilles avec leur électronique complexe, construite en légo, comme une musique progressive que l’on aime à façonner lentement ; et comme un gamin énervé, jouant à casser son jeu d’un coup pour passer à autre chose.
La magie des premiers albums fondés sur des ambiances tantôt aériennes, tantôt aquatiques, espaces qui se sont fermées petit à petit, lorgnant vers les sensations claustrophobiques. La mort de l’un des trois membres pendant la préparation de l’album Dead Cities a définitivement influencé la suite. Ils ont rejoint les grincements douloureux d’un LFO des grandes heures sur cet album. et de l'Ambiant dont ils sont parmi les grands noms, passés parmi les fondateurs de l'I.D.M.
Ceux qui ont parmi les premiers, donné des rendez-vous pour des concerts en streaming au milieu des années 90, marquaient par cette démarche un questionnement du rapport entre le musicien et l’auditeur. Il n’y a plus pour eux cette nécessité, car la technologie est désormais prête à la dématérialisation de ces liens. Le support phonographique à sa naissance a développé le lien, on peut le souligner, puisqu’il permettait à tout ceux qui en étaient doté de connaître les réalisations de musiciens par ailleurs inconnus. C’était un pont à cette époque.
Désormais avec internet, c’est une connection en temps réel et non plus à un temps donné : l’édition permettait seulement à l’auditeur de se connecter sur le moment où l’enregistrement s’était déroulé. Nous sommes désormais en lien direct avec l’acte de création, avec le concert.
Ce nouvel intérêt ils l’ont compris très tôt, et FSOL produisait de puissants lives en temps réel pour toute la planète (connectée), fusionnant véritablement le son et l’image. Car dès les premiers maxis, ils ont su réfléchir à une image porteuse de sens accompagnant leur musique, et la véhiculant véritablement par des moments intimes d’éphémères fusions des médias.
FSOL, moteur de rêveries grâce à cela, de malaises parfois aussi, et depuis les années 2000 créateur d’une instrumentation plus complexe, frôlant le psychédélisme, sous les noms d’Amorphous Androginous et Monstrous Psychedelic Bubble.
Perso, Life Forms, ISDN et Dead Cities restent en 94-95, une trilogie magique qui m’a aidé à cette époque, à ouvrir des portes vers mon expérience électronique.
Il est sorti depuis trois ans une série de six cds d’archives inédites dont certaines pépites (Protactor ou Swarm dans le n°6) atemporelles. Et c’est dispo sur le site pour un prix modeste, Hourra !
Et summum, une série de 3 cds baptisé Environments avec quelques pièces ambient (pour illustrer l’article de L’Un sur l’ouvrage de David Toop..) inédites, avec des participations de Robert Fripp, et Max Richter, entre autres, habiles sculptures étrangement fantomatiques, ou encore instrumentations brutes et fluides qui renouvellent ici le genre ambient: hautement recommandées !...imposante discographie donc… à continuer de découvrir!


L'AUTRE

Environments, Fsol digital, 2010
Certains albums en écoute ici : http://www.futuresoundoflondon.com/

dimanche 17 avril 2011

Barn Owl: Ancestral Star

Profitons de l’annonce de leur venue dans nos contrées pour parler de leur dernier album, fantomatique apparition, étrange étoile étonnamment statique. C’est l’un des premiers choix que nous avons fait pour la playlist mensuelle.  Evan Caminiti et Jon Porras, qui viennent de monter leur label Totem, produisent là leur troisème album, troisième souffle pourrait on dire. Le premier riff de guitare ne trompera pas l’auditeur : son gras, qui traîne, lenteur volontaire, extatique, comme un disque au ralenti ; à croire que c’est ce même accord qui sert de squelette à ces 40 minutes méditatives, à regarder les étoiles, dans ce ciel pourtant bien sombre. « Incantation » confirme cette orientation. Cette guitare omniprésente tolère les apparitions d’une batterie, car elle entretient la même langueur,  tantôt pesante, tantôt planante. Nous nous trouvons au carrefour de Mono, Earth et Keiji Haino… entre autres.
On peut dire que ce duo de San Francisco parle de l’ouest, de ces étendues où un souffle continu persiste toujours, relayant le cri d’un animal blessé où le souffle surgissant d’un rocher troué. Là où nos sens se perdent de ne plus ressentir les distances, de ne pouvoir fixer l’horizon par trop lointain, là, l’aventure humaine commence, en intérieur : celui de l’imaginaire du cow boy, d’un scénario de western comme sur « Cavern hymn », simplifié, se concentrant sur ce que devient le son lui-même par un retour aux sources, à l’acoustique. Mélodie mélancolique de « Flathand », sonorité violoneuse, iboo sur cordes tendues, empreinte d’une terre irlandaise encore dans le cœur du migrant, accompagnée de voix en bourdon… ou les chœurs aériens survolant les accords des sombres guitares de « Light from the mesa ». Je suis encore sous le charme.
Ancestral Star s’écoute les yeux fermés et le cœur ouvert, un peu à la manière de ce que l’on ressent à croiser un jour un animal sauvage, comme un chevreuil, le regardant courir devant nous, au ralenti, donnant l’impression de ne plus toucher le sol dans une course sans fin.

L'AUTRE
« ancestral star », thrill jockey, 2010

lundi 11 avril 2011

DAVID TOOP: "au commencement était le son..."

Ça aurait tout aussi bien pu être la première phrase du présent livre, si elle n'était pas aussi connotée et sujette à controverse. Les trois points de suspension ayant toute leur importance, on ne voit pas après pareille assertion où l'auteur aurait pu nous emmener par la suite, tout étant dit et en suspension. Mais David Toop tient à développer quelque peu le propos. Avec la mitraille qu'il faut pour l'exprimer : journaliste musical (notamment pour le très pointu « the Wire »), chroniqueur, musicien pointu (compositeur, assembleur de sons, improvisateur...), découvreur d'instruments oubliés, il aura rencontré, fréquenté ou interviewé une pléthore de musiciens dont Sun Ra, ou encore King Tubby, Aphex Twin ou Brian Wilson...

Il pose les jalons de cette tendance à la musique immersive et globale, l'ambient  aux alentours de 1889, lorsque Debussy fut confronté sans recul au gamelan balinais. En ces temps on ne parlait pas encore de métissages culturels et le terme commercial de world music n'existait pas encore. La partition était encore vierge, « un monde immense de délices fermés à nos cinq  sens » (William BLAKE) à explorer, théoriser, expérimenter.
Auparavant, mais non sans oublier de mentionner quelques mésestimés de l'histoire musicale  du 20°siècle (le bruitiste Russolo, ou les minimalistes américains), une certaine définition de l'ambient sans pour autant qu'elle soit restrictive : Brian Eno l'a quelque part définie, bloqué sur un lit d'hôpital, incapable de monter le volume  de la musique qui passait, celle-ci du coup noyée dans le bruit environnant : évident mais radical.
Au fil des chapitres suivants, se dessine une histoire  transversale de l’aventure sonore ; de sa plasticité, sa texture, sa multiplicité, au gré de théories et expériences aussi variées que les horizons  de leurs créateurs. On navigue ainsi de Stockhausen à Biosphere, John Coltrane, Scorn, Hendrix ou Edgar Varese,  tout en interrogeant et croisant  la littérature (Pynchon, Josef Conrad), les sciences sociales ou occultes, ou encore les progrès technologiques sans transition, aucune ; et surtout sans complexe, aucun. Nul doute que l'érudition de l'auteur et sa capacité à reconnecter ces liens brisés ou indicibles rend possible ce tour de force improbable. Les notes extraites du journal de bord  d'un voyage de l'auteur au cœur de la jungle amazonienne à la rencontre de ses habitants et de leurs rites sont à ce titre exemplaires, démonstration finale d'une certaine conception organique de l'écologie sonore  (qui rappelle au passage les field-recording de Francisco Lopez ou de Chris Watson ou encore Geir Jenssen ), voire socio-politique sur les toutes dernières pages.
La forme employée est un  patchwork confus d'articles, de chroniques, de notes personnelles ou de bribes d'interviews qui prend tout son sens sur les dernières pages : pris par la main par un chamane, un passeur, on aura fait un voyage kaléidoscopique aux sources mêmes de la vibration continue : le bruit du bruit, qui nous happe au cœur de paysages envoutants, sans autres limites que celles à la croisée de nos expériences sensuelles et intellectuelle… (hautement recommandé).

L'UN
DAVID TOOP : Ocean of Sound ; ambient music, mondes imaginaires et voix de l'éther.

samedi 2 avril 2011

HIFANA: freestyle

Je suis tombé il y a quelques mois sur un spot promo pour une marque de chaussures de sport (qui fait travailler de petits enfants dans l’Asie du sud-est), d’un format de 2:30, donc pour des médias internet plutôt, merci mickey.
Mais passons à ce qui nous intéresse ici, -avant que je ne m’égare- les musiciens : ils tiennent le rôle principal, en doublette et en complet freestyle, comme ils ont l’habitude de le pratiquer en live, Juicy et Keizo, les HIFANA.
Ayant muni un stock de chaussures de capteurs, dont certains ont été carrément moulés dans la semelle (merci la prod), nos deux japonais fous de hip-hop et de sampling se lancent dans une imitation du titre phare de la B.O. de 2001, l’Odyssée de l’Espace (du plagiaire Kubrick, cf Zoviet Cosmos, article Collectif HAK) en guise d’introduction. Puis ils poursuivent leur performance en mettant en boucle les divers cris des pompes bigarrées, pour un morceau hip hop dansant endiablé. Du grand art, et surtout une bonne humeur communicative. Voilà pourquoi je vous ai fait part de l’existence de cette vidéo.
Ce feeling terrible, ils l’ont sur scène avec leurs MPC et leurs percussions, assistées des vidéos qui interagissent avec la musique ; j’ai vraiment pris une claque lors de l’une des trois dates françaises qu’ils ont pour l’instant eu l’occasion d’effectuer. C’est le label Sonore, spécialisé en produits nippons de qualité supérieure, qui avaient eu la bonne idée de les inviter. A quand la suite, eux qui sont aussi connus que les Chemical ou Prodigy en Asie ? On ne peut qu’espérer pour l’instant, après la sortie d’une compilation en France, Channel H, présentant des extraits dans des versions inédites de plusieurs albums (il y a 2 ans déjà). Ce cd était d’ailleurs accompagné d’un dvd « home made » riche en séquences où la complicité et le plaisir de jouer transpercent l’écran !
Revenons à la musique : imaginez simplement des compositions groovies hyper efficaces, montées grâce à des échantillons de sons concrets, dans une marmite électro hip hop avec une grosse dose d’humour. La recette est simple et prend à tous les coups, à mon goût.
Le fait qu’ils aient une assise sur leur patrimoine instrumental géographique et que les sons sont joués en direct, libéré de la sclérose de l’ordinateur, et des habituels autistes planqués derrière leur écran, la main bloquée par la souris, suivant des yeux le curseur de live Ableton © défiler en se demandant quelle p----- il vont lancer dans 14 mesures… j’exagère ? Pas tellement…
Oui ça change tout, quand les deux énergumènes n’acharnent sur les pads de leurs machines (MPC, Handsonic, DJM, DVJ pour ceux d’entres vous que ça interesse), ainsi que sur des percussions, bien physiques elles aussi. On a un vrai groupe de scène, en témoignent les variations existantes de leurs morceaux…on peut les comparer sur les extraits vidéos de leur cd édité en France, ou sur le net.
Et on peut suivre au long de leurs périples, des collaborations heureuses comme avec dj Kentaro ou Yamatsuka, chanteur des Boredoms. Pas avares de dérives sonores sur leurs morceaux d’une fraîcheur réjouissante !

L'AUTRE
Interessant making of de la vidéo: http://www.youtube.com/watch?v=LlDBrVohXGE et la vidéo est à suivre
24H (12 audios et 12 videos), EMI, 2010