samedi 8 décembre 2018

St FRANCIS DUO "peacemaker assembly"


"quand nous retrouver réunies, dans tonnerre et éclairs, ou pluies ?"
(W. Shakespeare)

Au commencement était le Verbe.
Mais plus probablement le Son.
Bruit du Bruit.
Et ces gars-là s’en accommodent tout à fait…
De  ces collaborations antinomiques qui n’ont de cesse de redéfinir la triangulation du duo dans le petit monde de la chose improvisée (on l’a déjà évoqué, le point de départ se situant arbitrairement avec le soprano de Coltrane et les fûts de Rashied Ali. Entre, il y a bien dû y avoir le rouleau compresseur Sonny Sharrock).
Ce n’est certainement pas ici qu’on va retracer la bio bourdonnante de Stephen O’ Malley, producteur et guitariste encapuchonné, sans pour autant être reclus, qui a su reculer et mélanger  les frontières et genres à priori hermétiques. Que ce soit avec les messes vibrantes et métalliques du drone-doom de Sunn O))) où au sein de rencontres versatiles avec ses pairs, la quête de transe extatique pour plus petit dénominateur commun.
Deuxième disque, deuxième séance de reptation avec le batteur free et anglais Steve Noble, histoire de transformer l’essai. La volonté première d’en découdre frontalement  a du coup effectué sa mue par une structuration des échanges plus affirmée. Les possibles éparpillements des joutes initiales  voient dorénavant leurs énergies strictement canalisées. Continuum rampant, qui s’affirme au rythme d’une marée galopante. L’implacable ressac du jeu des cymbales soutient la masse d’accords monochromes d’O’Malley. Progression tendue, tout en grondements de toms, les strates amplifiées invariablement renvoyées dans les cordes et volutes d’un feedback parfaitement maitrisé.
Climax.
Le deuxième morceau passe subtilement la main aux frappes appuyées, roulement saccadés et feulements des balais  de Steve Noble, la guitare se fondant en lointains échos tourbillonnants.
A l’aube du septième jour, on n’a jamais vraiment su si la lumière fut, mais les murs de l’église de Saint Francis de Sales conservent encore les stigmates de cette séance de drone-jazz  roboratif.

L’Un.

St FRANCIS DUO "Peacemaker Assembly" (TROST. 2015)


lundi 5 novembre 2018

Nicolas BERNIER "les arbres"



« de dérives lointaines en diagonales quantiques, une fuite à ciel ouvert » (C. Férey).

Faux calme en lignes de fuite d’avant la tempête, lorsque l’air ambiant se fait masses en mouvement, le sol s’efface sous les pieds. Sous un formalisme austère et rigoureux,  le pressentiment constant d’une dislocation imminente. Nicolas Bernier nous distille ses fréquences angoissées par pesants agrégats sonores qui estompent les fourmillements d’un instrumentarium organique qui s’interroge, captif de cet espace vicié. Une ballade en fins électrochocs, un tour de force tellurique jamais loin du point de rupture.  Une discrète poésie de l’instant tisse le fil narratif sombre et désabusé d’un film noir passé dans une boucle électroacoustique oxydée. 
C’est terriblement contemporain…




L'Un. 

Nicolas Bernier "Les Arbres" (NoType. 2008)



lundi 1 octobre 2018

BC35... Martin Bisi, his studio & friends...



"encore une nuit de merde dans cette ville pourrie"  
(Nick Flynn)

BC Studio. 
Temple secret d’un underground newyorkais un peu daté, le cryptique Martin Bisi derrière les manettes… La Grande Pomme se faisait encore menaçante à l’époque, lorsque, tapis dans l’ombre de son arrogante verticalité, ses bas-fonds charriaient  des rivières de junkies, gangs et bohèmes à la dérive, un cosmopolitisme vibrionnant  pour toile de fond et terrain de jeu. New York ville de toutes les avant-gardes : proto hip-hop, no wave, hardcore, garage punk (flamboyant) et fusions de tous poils. Une cave au fin fond de Brooklyn dans laquelle une poignée d’insectes blafards et malfaisants venaient fixer sur bande leurs sombres rituels électrifiés en entamant une de danse de saint Guy consumée par le feu.
BC35.
Un peu plus de 3 décennies à commémorer…
On y retrouve des intemporels : membres des SWANS, Jim « Fœtus »  Thirlwell (mais où est Lydia Lunch ?). Des seconds couteaux mythiques (et inconnus) : Cop Shoot Cop, Of Cabbages and Kings, Live Skull…  La relève aussi avec le duo activiste de White Hills ou Tidal Channel….
S’il fallait retracer plus finement cette ligne en pointillés d’un heavy rock urbain sans concessions, manquent à l’appel quelques Unsane, Chrome Cranks, le snuff-jazz extrémiste de Borbetomagus et surtout l’omnipotent (et co-fondateur de l'institution ) Bill Laswell. L’évidence incontournable du monolithique Sonic Youth brille aussi par son absence (ok, il y a bien la frappe de Bob Bert en intro mais bon…), ou encore le gros égo d’un Jon Spencer, même si les survivant  de Lubricated Goat (=
Swans meet the Blues Explosion) font l’affaire…
La séance annoncée  de potlatch improvisé prend plutôt la forme  de joyeuses retrouvailles entre vieux potes inscrits aux Alcooliques Anonymes. Jam sessions informelles, performances très sérieuses pour d’autres, du dispensable rarement, mais du bon souvent,  voire très bon, lorsque les roulements batteries martèlent une cadence martiale et une basse grumeleuse vous colle aux tripes (d’emblée, les 4 premiers morceaux en enfilade, mention spéciale pour le très dark-jazz "Disintegration in the well" de la fin…). Moments d’extase parfois rampants;  on est alors replongé sans ménagement dans ces excès sonores passés qui dû bousiller les murs du studio et les tympans de son hôte et fait tout le charme et la gloire sans lendemain des clubs miteux de la ville. 
Anachronique ? Oui. 
Disque de vieux cons sous benzodiazépine  pour des vieux cons nostalgiques de Bad Lieutenant et autres Taxi Drivers (New York 1997 n’est pas loin, Carpenter rôde…), dont la bande vhs est aussi usée que les bras piquouzés de Johnny Thunders. Un New York dur et sale d’avant les Starbucks Coffee en série qui s’identifiait plus aux obsessions sordides des romans d’Hubert Selby Jr, qu’au clinquant penthouse de l’actuel  freak président à moumoute peroxydée. Un New York délicieusement has-been que doit désormais regarder non sans une certaine tendresse le plus et grincheux (et jadis peroxydé…) des street poets newyorkais, parti depuis pour une ballade bien au-delà du côté sauvage de cette fascinante nécropolis.
Contort yourself, 2 times…


L'Un.

BC35 (BronsonRecording. 2018)



mardi 11 septembre 2018

BESS OF BEDLAM "Folly tales"



On s’éloigne d’une ligne éditoriale aux dissonances routinières, pour se poser, assis tous ensemble en cercle dans l’herbe encore frissonnante de la rosée du matin, à savourer ce beau dénuement de façade
Détour de piste, pour un folk aérien au velouté anguleux, une façon de faire artisanale, de la belle ouvrage à exquise équidistance entre le cœur et l’esprit, une instrumentation délicate et variée qui accompagne un chant diaphane et hiératique tout en faux-fuyants harmoniques.
Puisant son inspiration dans toute l’élégance dans d’un certain folk des années 70’s (sa page Bandcamp cite Shirley Collins ou Vashti Bunyan…), la musique de Bess of Bedlam est redoutablement contemporaine, traçant un itinéraire rêvé en lointains parallèles aux trajectoires solitaires et obstinées  de pairs (et sœurs) : de penser très fort à l’univers mutin d’une  Joana Newsom, mais aussi au « Solo » pop et capiteux de Tujiko Noriko ou encore au dépouillement contemplatif de Max & Laura Braun (les 2 derniers précités figurant dans le fil erratique et sans cesse mouvant  de mon panthéon secret)
Pas grand-chose à dire en fait : juste des chansons finement ciselées qui s’égrènent non sans ironie et s’échappent, ingénues, dans le soleil de journées paresseuses  entre salon et jardin. Entre chiens et loups de clair-obscur à l’innocence faussement retrouvée, avec ce léger décalage suffisamment  lumineux  et pétri de frêle ingénuité pour se démarquer suffisamment de la tendance folk actuelle qui tend parfois à se dupliquer ad nauseam par les temps qui courent.
Belle rencontre dans un jardin anglais une camisole en dentelle pour seul vêtement...



L'Un

BESS OF BEDLAM "Folly Tales" ( AnotherRecords - 2018)




mercredi 8 août 2018

Oren AMBARCHI, Kassel JAEGER, James RUSHFORD : "FACE TIME"


Redite faussement dilettante de trois comparses sur le même label après le séminal « Pale Calling ». C’est enregistré vite-fait aux studios INA-GRM, si quelconque gage de crédibilité s’avérait encore nécessaire pour ces 3 figures idiosyncratiques d’une avant-garde de bas-côtés qui ne dit pas son nom. 
Obsessions rythmiques disloquées, électro-acoustique, micro-tonalité aux timbres mystérieux, quelques cris d’animaux en toile de fond ralentie s’enchevêtrent très distinctement pour une de ces envolées panoramiques des plus horizontales. Le tricotage se veut statique et poisseux, remplis d’échos crépusculaires. Etrange manège d’un jeu de billard à 7 ou 8 bandes observé sous mescaline depuis un trampoline délabré. 
On n’est pas bien là, perdus dans la brume (« électrique ») du petit matin ? La fête a été rude, le regard hébété, le réconfort hypnotique et voué à un équilibre des plus précaires.
Album parfait pour affronter la torpeur d’un été qui s'annonce caniculaire et les turpitudes d’une rentrée anonyme.
Et c’est servi dans un beau vinyle orange.




L'UN.


O. Ambarchi, K. Jaeger, J. Rushford "Face Time (BlackTruffle. 2017)

on peut trouver un extrait "ICI"
sinon un extrait de "Pale Calling"