jeudi 19 décembre 2019

exercice de rattrapage 2019 : ce qui n'a pas été chroniqué....


Navigant à voilure réduite depuis qq années déjà, au gré des opportunités et coups de cœur inopinés, on ne vous rabâchera pas les mirettes et les oreilles déjà saturées avec les sempiternels best-of d'une année qui de toute façon touche à sa fin. Beaucoup de désintérêt pour ce grand supermarché mondialisé, où les gloires établies s’auto-congratulent et n’en finissent de ne pas en finir, cherchant à briller indéfiniment : c’est dans les interstices de la Toile et des petits bars que se cachent les étoiles filantes et les heureuses rencontres, mais l’exercice de veille passive est chronophage et reste au final hasardeux…
Juste de proposer cette shortlist de dernière minute :  une poignée albums qui méritaient amplement quelques lignes dithyrambiques sur ces pages…


A l’instar de l’illustration de la pochette, c’est une parfaite claque, entre loukoum et cigüe, qui nous aura été assénée par la jeune danoise Frederike Hoffmeier (aka PUCE MARY). The Drought, avance par à-coups d’aplats sonores massifs mais loin d’être arides... Une vibration industrielle tant sensuelle qu’abrasive que l’on peut rapprocher de Prurient.



Les manipulations électroacoustiques assez minimalistes de l’américaine Cheryl E. Leonard ne sont jamais éloignées de leurs sources de captation sonore. Les rivages marins évoqués sont étirés dans un discret de flux et reflux et un effet de zoom permanents. Une ode maritime composée avec justesse et économie de moyens mais loin d’être aride là aussi.



Quand SCORN nous revient avec un album inattendu et plombé dans des infra-basses abyssales là où on en avait besoin le, son vieux pote Justin K. Broadrick réactive ZONAL, un de ses indénombrables avatars musicaux, histoire de renouer avec son vieux comparse Kevin Martin et le hip-hop. Sauf que le groove se montre là plutôt terne et noyé dans un crachin de poussières irradiées.  Flow amer, rage rentrée. Illbient sous sédatif puissant et délétère.



Parfois, dans le flot continu et souvent insipide de l’ambient music virant souvent à la muzak, je me dis que peu de musiciens de ce genre par trop formaté sortent la tête hors du lot. En dehors d’Eno, BIOSPHERE et quelques rares étoiles sombres et filantes (je pense très fort LUSTMORD…), le canadien Scott Morgan et son projet LOSCIL a un droit de cité permanent sur ma platine, même si je regrette toujours d’avoir ignoré le somptueux « Sea Island » sur ces pages. Au moins 4 albums et des pièces longues pièces statiques mises en ligne se sont succédé depuis, mais « LifeLike », pourtant exercice de style imposé et commercial, dénote par rapport à ses prédécesseurs avec une simplicité toute désuète.  Courtes tranches d’atmosphères brumeuses et intimistes, et cet art de la distance gérée au millimètre.



Coup de cœur communicatif d’un disquaire indépendant. Pour faire très bref, on mélange dans un shaker déjà largement pré-alcoolisé une larme de Gang of Four, un soupçon de Television, une bonne rasade de Minutemen et quelques blancs d’œufs pour choper à la sortie Uranium Club, quartet de Minneapolis (Hello, Huskers…) qui nous délivre un art-prog-rock-post-punk-proto-truc des plus roboratifs et excitants. Section rythmique tendue sans paille et sans glaçon. Punch !



Bêtes de scène survitaminées de la scène garage rock , les parutions compulsives des albums des Thee Oh Sees m’ont toujours laissées sur ma faim. Mais leurs dernières productions évoluent tranquillement vers des contrées plus progressives, cosmiques même, sans pour autant s’être apaisées. Face Stabber est compact, homogène, plein d’espièglerie et surtout impressionnant de maitrise.
Du rock .
Sans étiquette.



Intemporelle et revenue des brumes pionnières d’une musique industrielle alors menaçante, Cosey Fanni Tutti continue de tracer discrètement son chemin au travers des turbulences electro-indus. Et TUTTI en est une parfaite illustration, organique et pas exactement en phase avec son époque. Un groove rampant et corrosif.



Dans la catégorie heureuse (re-)découvertes, les newyorkais de PURE HELL sont peut-être la surprise surannée de 2019. Un proto-punk stoogien en diable des mid-70’s à ranger à côté des DMZ. complètement en dehors des radars pendant près de trois décennie, un groupe qui à lui seul résume parfaitement cette énergie incontrôlable qui sévissait dans les rues les clubs et les bars interlopes de la Grosse Pomme ? J’ai bien demandé à deux ou trois fins connaisseurs de la période et du style, mais nul ne les connaissait.
Raw fucking black.power...



Et pour finir en paix, le flux minimal de pulsations brouillées de Robert TURMAN mérite un petit détour curieux. Pas très loin de ses contemporains qu’étaient Midori Takada ou Jon Hassell, dans un esprit proche du label EG records. 







mardi 10 décembre 2019

Jim O’ROURKE : “to magnetize money and catch a roving eye”


Beaucoup se suffisent d’un format pop (intro-couplets-refrain et pont) habilement ficelé en moins de trois minutes, lorsque d’autres s’étirent indéfiniment dans un temps élastique pour exprimer pleinement cette même créativité qui les consume. Et la démarche pour le moins versatile du sous-estimé Jim O’Rourke s’inscrit dans cet improbable grand écart, navigant sans complexe entre pop noisy (avec des albums comme Insignificance ou en 5° membre de Sonic Youth), tricotages post-blues désabusés (...avec Loren Mazzacane), cavalcades d’impros fougueuses (avec O. Ambarchi et Keiji Haino) et longues pièces instrumentales (Terminal Pharmacy) ou électro-acoustiques.
Cette dernière option est le format ambitieux retenu par notre américain exilé au Japon. Pas loin de quatre heures de chants magnétiques (sic) livrées dans un sombre coffret au titre pour le moins énigmatique (résultat au passage d'un sans faute de la ligne éditoriale exigeante du label français Sonoris coutumier de ce genre de coffret).
De longs mouvements dont la mise en place s’imbrique avec la lenteur et l’amplitude d’un flux de marée. Les masses sonores sont finement stratifiées d’échos énigmatiques, de guitares brouillées et de résonances crépusculaire; cliquetis de phénomènes météorologiques denses et mouillés en toile de fond récurrente. Jim O’Rourke donne au temps ainsi sculpté un intervalle interstitiel supplémentaire ouvert sur l’espace et les mystérieuses diffractions d’un koan zen. Petite musique de nuit à la nébulosité traversée d'orages électromagnétiques, To Magnetize Money and Catch a Roving Eye nous propose peut-être là l'œuvre la plus aboutie de Jim O'rourke et la plus discrète surprise de cette fin d’année dans une sous-catégorie que l’on voudrait encore inexistante...


L'Un.


Jim O’ROURKE : “to magnetize money and catch a roving eye” (Sonoris. 2019)

samedi 16 novembre 2019

SCORN : "Café Mor"


"There's no escape. I'm God's lonely man..." (Travis Bickle dans « Taxi Driver »)

Il y a une ou deux questions qui me taraudent et qui resteront probablement sans réponse lorsqu’il s’agit du cas Mick Scorn Harris :
1/ où situer le point de rupture entre le batteur incandescent du early Napalm Death et l’austère entrée en religion que constitue la genèse de son projet dub-industriel isolationniste ?  
2/ à part s’adonner au plaisir de taquiner la truite dans les rivières des West Midlands, on ne sait pas trop ce que notre sorcier des infrabasses peut bien branler pendant ses longues périodes de mutisme ?
Parce que là on parle d’un hiatus de près de 8 ans qui s’apparentait presque à une cessation d’activité.  De ne plus attendre grand-chose de ce côté-là, après plus d’une douzaine d’albums autistes et totalitaires.
SCORN reste SCORN,
Il s’abreuve de lui-même, s’auto-alimente, monstrueux et tapi dans l’ombre, se fichant éperdument des modes actuelles et des myriades de vocations qu’il aura suscité. Creusant son sillon avec une aridité de plus en plus décharnée, Mick Harris aura traversé près de 3 décennies à se réinventer en permanence. Chaque nouvelle direction prise n’est qu’une diffraction des travaux précédents.
Alors quitte à tourner en rond, autant le faire en nous infligeant avec une précision toute chirurgicale son paradigme mutant réglé sur des basses fréquences vicieuses.
SCORN rejoue du SCORN
Et cette fois-ci son jeu est dangereusement tiré vers le bas du spectre, brouillé dans des réverbérations de 3° sous-sol. A chaque pulsation  assénée avec une régularité de pachyderme au ralenti, répond une menace abyssale. A grand coup de sub-dub monolithique, Café Mor, nous entraine vers des territoires plus anxiogènes et post-catastrophistes que ses prédécesseurs. Un engluement roboratif, à contempler une décrépitude rampante et hypnotique sans fin ni fond.
Et la gouaille hébétée d’un Jason « Sleaford Mods » Williamson en train de tripper sur Talk Whiff, qui transforme ce morne café des faubourgs embrumés de Birmingham en fuck you song de prolos 2.0 d’un Royaume-Uni déjà terrassé par le brexit à venir…
Au final, il y aura toujours des détracteurs, happés par le tourbillon grisant d’une modernité sonore digitale et sans limites, et d’autres, toujours ravis de tourner en boucles épaisses à se rejouer ces mantras subsoniques indéfiniment.


L'Un.

SCORN "Café Mor" (OhmResistance. 2019)




samedi 26 octobre 2019

Stephono ZIP "reel to Reel"


Stephono ZIP aime  trimballer avec lui ses micros. Les sons ainsi collectés et fixés sur la bande se plaisent par la suite à voyager eux-mêmes, ballotés et triturés entre les galets de vieux magnétophones. Ce froissement des bandes magnétiques leur donne une autre perspective, jamais si éloignée de la vibration initiale, l’origine sonore restant toujours vaguement identifiable. Stephono ZIP semble partir du fait sonore ainsi capté pour mieux l’observer et le confronter à ses propres limites, avec des techniques d’éditions relativement simples qu’offrent les magnétophones à bande (adjoint de quelques effets spéciaux en temps réel). Les paysages sonores (re-)créés sont souvent distanciés, comme on regarderait sans toujours le comprendre la vie en mouvement se débattre de l’autre côté d’une berge assoupie. Les atmosphères, calmes au départ, se télescopent et s’entrechoquent opérant un subtil et incessant glissement temporel : entre cette impression de revenir aux fondamentaux de la manipulation sonore et l’utilisation de sources diverses et parfois anciennes, l’auditeur pénètre à tâtons dans un obscur cabinet de curiosités, encore chargé de mystères et autres poussières.
C’est là un travail de musique concrète malicieux, ludique dont on ne peut jamais vraiment se départir de la forme et du fond. Une démarche qui relève de l’artisanat et d’un amateurisme au sens le plus noble du terme. Et le reste de sa production sur sa Page abonde dans ce sens et restitue très exactement l’univers analogique et sonore dans lequel Stephono ZIP se plait à évoluer. Celui d’un monde tangible, bien physique et pas encore dématérialisé.


L'Un. 

Stephono ZIP : Reel to reel (autoprod - 2018)