mercredi 15 juillet 2015

KEN MODE : Success

« Kill Everyone Now was the agenda […] KEN mode all the time »
Henry Rollins  – Get in the van (ndlr : avec Black Flag).
….à moins que ce ne soit la chanson éponyme de leurs compatriotes et tout aussi légendaires Nomeansno.
Quoiqu’il en soit, en décidant d’incarner cette citation des pères fondateurs du HxC nord-américain, les canadiens  mettaient la barre haut ; très haut. Avec un nom pareil, pas de place pour la demi-mesure et les timorés : la fosse du concert sera un lieu exutoire et sacrificiel. Avec une bonne 15zaine d’années d’existence (déjà)  et 6 albums au compteur il semble que le power trio ait fait ses preuves  avec un hardcore métal chaotique comme le pratiquent des Botch, Converge, Gaza et consorts.
Et la route semblait toute tracée (même en forme d’impasse) pour eux, s’ils n’avaient frappé à la porte de Steve Albini pour ce nouvel album. S’en remettre aux bons soins du sieur Albini deerière les manettes, revient en gros à :
  • gagner en crédibilité à coup sûr  au sein du monde étriqué de l’indie-rock   (et/ou)
  • obtenir cette patine sonore au grain analogique si mat et tranchant, où chaque micro sera     positionné  avec un soin maniaque  (et/ou)
  • un grand bond en arrière, à la recherche des roaring 90’s révolues qui n’ont pourtant cessé de faire des émules depuis.
Gageons raisonnablement que KEN MODE n’ayant guère besoin de reconnaissance, on peut se concentrer sur une combinaison des deux dernières propositions pour expliquer  Success,  qui sonnera comme un pied de nez ou une queue de poisson aux oreilles du fan de base.  Ironique succès à venir, que la pochette se charge d'annoncer.  D'entrée, « Blessed » donne le La, manifeste en forme de table rase poisseuse et rampante qui convoque de façon appuyée le Shellac d’Albini (ou CopShootcop pour le côté deux basses...), enfonçant le clou, au cas où ne l’aurait pas compris, en s’offrant les vocalises de l'impayable d’Eugene « Oxbow » Robinson. Quelques coups de violoncelle bien sentis, des choeurs féminins... on sait d’ores et déjà qu’on s’éloigne irrémédiablement de la voie dure tracée par les précédents albums « Venerable » ou « Entrench », la musique de KEN MODE lorgnant vers ce noise-rock  qui a dû jadis alimenter la voracité de leur adolescence. La marque de fabrique Albini éclaircit le son, donnant l’espace nécessaire entre les instruments, les compositions sont aérées (et variées), la voix se fait plus expressive et posée à défaut de sonner juste.  Par la suite,  le riff de « The Owl » nous renvoie au phrasé jazzy de Jesus Lizard, quand « A passive disaster » semble tout droit sorti d'un album des Dazzling Killmen (si si…). Sur le dernier et grandiloquent morceau, j'ai même songé à Fugazi le temps d'un instant, mais bon... Salutaire retour aux sources donc, besoin d’un virage à 90° en forme d’hommage appuyé : rarement une réponse n’aura été aussi évidente tant la musique de « Success » est ici référencée. On pourra toujours les critiquer et ergoter à l’infini pour un pareil revirement. Mais certainement pas pour la qualité de l’album. Un putain d’album.
Au moins sait-on dorénavant ce qu'il nous reste à faire de nos journées : kill everyone...  NOW.

L'Un.

KEN MODE : "Success" ( SeasonOfMist. 2015)





samedi 4 juillet 2015

Bérangère MAXIMIN : "Dangerous Orbits"



Pour des raisons qui m’échappent encore,  il n’y a toujours aucune explication ne relevant pas de la pauvre excuse,  qui puisse enfin expliquer comment  avoir daigné écrire ne serait-ce que quelques lignes sur son précédent «Infinitésimal », pourtant élevé à l’époque au rang enviable de disque de chevet compulsif.
Exercice de rattrapage, donc,  pour revenir sur une paresse inexcusable. 
Bérangère Maximin, avec ce 4° enregistrement, fait déjà figure de vétéran dans cette « scène » aux contours  insaisissables qui rassemble les explorateurs du bruit comme matériau brut à sculpter, des héritiers forcément indirects des Pierre(s) Henry/Schaeffer. Un parcours qui passe par le conservatoire de Perpignan, une résidence en Espagne, des signatures sur des labels exigeants et ouverts (Tzadik, SubRosa et Crammed pour le dernier) et une intense activité live.
Avec Dangerous Orbits, c’est un voyage en boucles imparfaites qui se dessine, empreint de  cette production cotonneuse qui caractérisait déjà son précédent « Infinitésimal ». Jeu de yo-yo acousmatique qui se joue des grandeurs d’échelle, mélangeant invariablement le détail de miniature aux grandes lignes de paysages projetés.  La sensualité frémissante de l’espace intime happée par le tourbillon inquiétant  et continu d’un monde globalisé et immanent. Une perte de repères noyée dans  des saccades organiques quand l’infiniment petit se heurte au vide incertain des infinis. Si les sources sonores utilisées, les manipulations d’objets  peuvent sembler identifiables le temps d’un instant, celui-ci se disloque au cœur de cette trame implacable refermée sur elle-même
Narcose d’un quotidien obsessionnel et amplifié. Sentiment diffus provenant  précisément de ces changements d’échelles, passant d’une orbite à l’autre. On est loin d’une certaine froideur théorique que l’on peut reprocher (parfois) à ce « genre » de musique (s’il en est). Bérangère Maximin s’affranchit de ces écueils en investissant l’espace des musiques électroniques contemporaines, distillant une bonne dose de techniques héritées du dub, avec un clin d’œil appuyé à la Kosmische Musik. Le souffle est  continu,  sourd et puissant, établissant un lien charnel fortement sexué.
Bande-son d’un quotidien supra-ordinaire : celui de  l’espace sensuel existant les pieds nus et les grains d’un bitume encore chaud qui recouvre des strates encore inouïes et inexplorées à nos cinq sens fertiles.

L'Un.

Bérangère MAXIMIN : "Dangerous Orbits" (Crammed. 2015)