mercredi 23 août 2023

OXBOW "Love's Holiday"

 "we're not from New York" (Eugene Robinson)


Sur ce blog, il y a toujours quelques places de choix pour une poignée d’artistes au parcours exemplaire et suffisamment tortueux : pour les différents avatars de Justin K. Broadrick, ou Maitre SCORN par exemple. Et les nuances névrotiques du quatuor OXBOW s’inscrivent parfaitement dans ce cadre arbitraire, même si la fréquence de parution de leurs albums commençait à se faire rare. Si l’os à ronger tristement d’actualité de leur collaboration sur scène avec feu Peter Brötzmann a pu combler le vide, leur dernier « Thin Black Duke » remonte à 2017 déjà. Et on ne l’attendait pas vraiment en fait, ce petit « Love’s Holiday » (google translate : les Vacances de l’Amour. Ah, ok…). A chaque album son thème : on a bien jadis parlé d’addiction au sexe, à la drogue, les affres du mal-être en toile de fond. L’entité OXBOW, au-delà d’une réunion de solides potes musiciens est aussi une expérience cathartique. Et l’amour est finalement un des thèmes existentiels qui ne pouvait pas être éludé indéfiniment par ces quinquas revenus de tout. Pas vraiment la Croisière s’amuse non plus, mais on s’embarque de bon gré et vaguement impatient. Alors avec « Dead Ahead » qui sonne comme un bon morceau d’ouverture d’un album de noise-rock comme on en raffolait dans les années 90’s, on reste sur sa faim. Pas dit « college-rock » non plus, mais quand même… Le très Jesus Lizardesque « Icy & White Crystalline » prend des accents de leur vieux « Serenade In Red », en plus lissé. Propre. Poli. Pas vraiment un franc décollage, même si tous les éléments sont solidement en place : le riff posé qui tourne en boucle ou en glissando, la section rythmique au cordeau et les vitupérations assagies et pleinement maitrisées d’Eugene. La suite est constituée d’une enfilade de balades un peu mornes et poisseuses ; et surtout sédatives. Comme un goût amer de requiem.  Amours Perdues ? Certes. Si la collaboration avec le producteur Joe Chicarelli a été fructueuse sur les deux précédents albums, portant littéralement le groupe vers la lumière, là on se demande si les arrangements à grands coups de chorales à moitié gothiques sont du meilleur effet. C’est OXBOW quoi, pas un remake pour ce raseur de Dracula. J’ai même pensé aux BEATLES qui avaient désavoué la production sirupeuse de moumoute Spector sur « Let It Be ». A part peut-être les reptations syncopées de « The Second Talk » et le grandiloquent « Gunwale » en clôture, ça traine la patte sur la longueur tout ça. Manque ce climax auxquels nous avaient habitués les précédents albums. De cette folie rampante, ce pressentiment malsain qui nous tenaillait les tripes. Là on se noie dans une mer de regrets et d’atermoiements de quatre quinquas sympas revenus de tout qui se posent et regardent en arrière. Après, chez OXBOW, c’est difficile de parler d’un mauvais album. Il tourne sur nos platines. Mais à défaut d’être la sensation de l’année, on pourra parler d’album du mois. Voire de cet été en pente douce, sans le slip proverbial sur la tête. 

 

L'Un.

OXBOW : "Love's Holiday" (Ipecac. 2023)

mardi 8 août 2023

LAGOSS "Imaginary Island Music, Vol. 2: Ascension"

 Ce que nous nommons exotisme traduit une inégalité de rythme, significative pendant le laps de quelques siècles et voilant provisoirement un destin qui aurait bien pu demeurer solidaire. (Claude Levy-Strauss)

 

C’est cool, on va voyager. A peu de frais. Destination Ténérife, poussières d’îles arides plantées au milieu de l’océan, battues par les vents et les touristes en Crocs. Je ne savais pas en revanche qu’on pouvait y rencontrer ce genre de trio de concasseurs de rythmes chaloupés. Composé de Gonçalo F. Cardoso, Mladen Kurajica et Daniel García, LAGOSS verse dans la polyrythmie luxuriante à sculpter ces petites vignettes comme autant d’invitations au voyage vers des terres inexistantes. Il doit y avoir une bonne poignée de boites à rythme désynchronisées en surchauffe dans ce magma sonore et ce qu’il faut de glitches et stridences entre les patterns pour combler les rares interstices laissés libres : ça foisonne là-dedans à vouloir recréer une jungle imaginaire. Le groove est franchement tropical, nimbé de dissonances électroniques et de nuages chargés de moussons synthétiques. C’est à la fois planant et enjoué, à manipuler de la sorte un rétrofuturisme de bon aloi qui navigue entre l’équateur et les années 80. Parfois vaguement menaçant, quand les morceaux se tordent en échos distordus et flippés. Un petit condensé de cabinet de curiosités faussement ethnographiques que n'aurait pas renié un Douanier Rousseau un peu foncedé.


L'Un.

LAGOSS : "Imaginary Island Music, Vol. 2: Ascension" (Discrepant.2023)