vendredi 30 mars 2012

AbSUrd : "Close to Distantly"

Petit bonheur d'internet, à des lieues de ce la litanie incessante des majors qui prédisent l'écroulement de l'industrie du disque, ne comprenant pas précisément que l'artisanat phonographique lui survit dans l'ombre, caché dans un repli de la Toile. On trouve toujours, contre toute attente quelque chose d'intéressant, de frais, de singulier et hors-circuit. Là, c'est dans le classement éclectique d'un best-of 2011 exigeant d'un blog qui a pignon sur rue qu'AbSUrd aura attiré mon attention. Peut-être la pochette, ou la position dans le classement hétéroclite, allez savoir. Ce que je sais c'est que cette découverte aura tranquillement illuminé les derniers jours de 2011 ; un peu à la manière de ces petites guirlandes lumineuses à la con qu'on met dans les sapins en cette saison. (ndlr : l'article a été écrit courant janvier 2012)
AbSUrd, donc, sans faute de casse.
Hip-folk ? s'interrogeait un autre bloggeur qui s'est penché sur cet objet musical non identifiable largement en avance sur le présent énergumène...  Pour ne pas le paraphraser (bien que cité !..), je lui accolerait timidement les termes d'avant-hop bien trippant, ce qui ne règle toujours pas la vaine tentative de définition de ce petit météore, rentrant de la sorte dans ma catégorie des « inclassable donc c'est bien ».
C'est le premier album du français sous son patronyme, celui-ci ayant auparavant participé au projet Murmur Breeze, fort de deux albums en collaboration avec le rappeur british James P. Honey.
En l'espace de 2 ou 3 ans il aura patiemment élaboré l'architecture et l'assemblage subtils et délicats à coup de samples, de boucles, et de beats, field-recordings et instruments acoustiques , tout en assurant la coordination d'un bon paquet d'invités rappeux (dont le James P. Honey de Murmur Breeze).  Un certain Jamesreindeer, assure tranquillement son rôle caché de cheville ouvrière du soliste, assurant une bonne partie derrière les instruments
Ce qui me semble différencier Murmur Breeze d'AbSUrd c'est la place de plus en plus prégnante des parties instrumentales climatiques sur celles vocales (rappées). Ces dernières sont discrètes, la production d'AbSUrd ne les mettant pas plus en avant qu'il n'en faut  ce qui homogénéise un peu plus l'ensemble. On ne sait pas trop de quoi ils parlent. De tout, de rien... probablement. Et l'important c'est qu'ils cadrent parfaitement à la figure de style imposée par ce petit univers sonore anguleux. AbSUrd a effectué un travail de composition insistant sur la tonalité et la cohérence, ne se limitant du coup pas au rôle plus attendu de monteur de boucles ou faiseur de rythmes qui est l'ordinaire de ce genre de musique, qu'on ait à faire à un petit génie ou un pâle copiste. Avec cet effort solo il s'est en quelque sorte extirpé du moule parfois un peu trop entendu.
Les vignettes s'enchainent sur un rythme de flux et de reflux étrange, empreints d'un onirisme lancinant. La musique tout autant que les textes est comme cousue de fil vaporeux entretenant ce flou inquiétant distillé tout au long de « Close to Distantly ». Là, un bourdon du sitar. Ici un arpège de harpe ou un riff à la guitare acoustique collé à une boucle de field-recording non identifié. On flirte plus qu'on ne le croit avec les franges d'une certaine musique contemporaine (on peut en ce rapprocher AbSUrd de Viktor Vaughn ou encore l'américain Sensational)... Au risque de se répéter, les instrumentaux ne sont pas un simple liant, un interlude entre les  morceaux chantés ; ils auraient même plus d'espace pour se développer pleinement. On glisse tout de velours trouble d'un univers à l'autre sans cassure ni secousse, plongé dans le continuum d'une narcose feutrée. Traversée inquiétante d'une enfilade de paysages péri-urbains désolés de vacuité derrière la vitre embuée d'un train. Ce malaise contemplatif qui s'installe, avec ce léger dodelinement de la tête autistique.
Un parallèle flatteur plus qu'une comparaison directe peut s'établir avec la bande-son du Ghost Dog de Jarmush par R.Z.A. Question d'ambiance et d'homogénéité.
Un disque qui risque davantage de plaire à un auditoire étranger au monde du hip-hop qu'au fan hardcore, s'il reste englué dans le stéréotype d'une musique qui tend à se ghettoiser, tolérant mal ces petites envolées géniales sur ses marges.
Un cd qui aurait tendance à s'attarder un peu trop sur ma platine ces temps-ci...

L'Un

AbSUrd : "Close to Distantly" (DecorativeStamp. 2011).
on peut écouter intégralement et/ou se procurer l'album directement sur Bandcamp.

lundi 19 mars 2012

Zazou & Swara :In the House of Mirrors


Un peu de trad dans ce blog ; ça nous arrive de temps en temps, comme certains artistes, de retourner vers les racines des musiques, là où le corps dicte la composition. Fi d’appareillages superflus, l’attention est portée sur les sensations à transmettre, dans le positionnement ultime qui est de produire en ressentant, de jouer en vibrant ; bref de produire une musique vivante.
C’est d’ailleurs le terme générique qui englobe maintenant un fatras innommable de palpitations convulsives et désordonnées, par bonheur, ainsi que tout ce qui d’un ordonnancement morne et fade, abreuvant les antennes radios, télévisées, câblées et toilées !...suite sans saveurs de vomis stéréotypés pour de momentanées jouissances dansefloriennes, dans le meilleures des cas.
Ici, rien de tout cela : Hector Zazou, grand défricheur, musicien hors normes depuis ses premiers essais dans le duo RNZ (à découvrir absolument, avec j. Racaille, suite au groupe culte Barricade) a tracé son chemin dans des instrumentations élaborées, sans jamais donner dans la prétention. Le propos est toujours emprunt de sagesse même si la folie en est toujours imprégnée. L’homme se met ici aux manettes de la production laissant la première expression aux instrumentistes invités. Une dizaine de musiciens se succèdent ou s’entremêlent pour exécuter les douces mélopées « zazous ». cela va des flûtes, violons, harpes, slide guitares dans une expression ancestrale, savantes car prenant le temps d’installer des ambiances, que vont marquer le oud, ou bien des percussions indiennes ou moyenne orientales. On glisse doucement de vagues éthérées en expressions lancinantes de lascives notes lointaines. Chose à apprécier, il n’y a pas d’amoncellement de notes, d’attitudes performatives, juste la minimale résonance de sentiments d’êtres reposés.
Et bien mon Zazou dans tout ça ?
Il compose et pare les morceaux de nappes électroniques à peine sensibles ; une finesse exemplaire d'intervention. Il utilise des effets afin de montrer ce que la musique peut apporter de sagesse à tout auditeur capable de recevoir ce que l’on souhaite lui insuffler. « A quoi sert la musique si ce n’est à changer le monde ? » disait il avant sa disparition en 2008. En effet la synthèse recherchée des musiques d’époques différentes en un même temps nous irradie par sa charge émotionnelle forte. Elle nous enivre pour peu que l’on se laisse aller ; disque des moments de pause face au monde que l’on doit se faire absolument pour rester debout, dans la tourmente…

On conçoit tout à fait qu’il ait pu collaborer avec Harold Budd, précédement chroniqué ici par exemple, tout comme Sakamoto ou Eno en écoutant cet album. Une tendresse sous jacente, une limpidité de propos, une sensualité saisissante sont les marques de cette magnifique collaboration, comparable à Material grand millésime, "House of Mirrors" est le dernier album de ce grand musicien français. La rencontre est-ouest / nord-sud au sommet.

L’Autre

House of Mirrors, Crammed Disc, 2008
Ses albums avec des extraits :

samedi 10 mars 2012

EARTH : "Angels of Darkness, demons of light. Vol. 2"

Kurt Cobain, outre son spleen fatal et la mèche blonde rebelle trimballait aussi avec lui une    érudition  musicale entre autre solidement arrimée au monolithe Black Sabbath ,  et ses épigones U.S et rejetons indirect : Flipper, Black Flag pour les plus connus de l'époque, mais aussi les potes et voisins Melvins ou encore les moins connus et damnés Earth.
Tout ça pour dire que la genèse de EARTH prend ses racines dans cette période charnière du rock grunge et reste intimement et douloureusement  liée à la scène de Seattle. EARTH jouait aussi une musique lourde. Ou plutôt une musique ronflante sombre et bourdonnante. Précurseurs d'un genre aujourd'hui décliné jusqu'à la nausée : le drone-doom. Des accords trainants qui s'étirent sur tout le spectre malsain des basses fréquences. Avec la sortie à l'époque de « Hex, or printing the infernal method » Dylan Carlson (guitariste et leader) délaisse le côté doom et ses démons ; le drone, lui, se mue en une note suspendue plus qu'en bourdon et s'ouvre à la mélancolie quasi cinématique des grands espaces américains, nous délivrant une musique de western au ralenti dont la référence la plus proche et flatteuse pourrait être la b.o de Dead Man interprétée par Neil Young.

« Angels of Darkness... vol.2 »  fait suite au volume #1 sorti l'an dernier. Contrairement à son prédécesseur, le présent opus présente les improvisations en studio de la même session. Il faut donc oublier les repères écrits quitte à sentir le sol se dérober sous nos pieds : le sol est ainsi jalonné de crevasses et chausse-trappes, EARTH prend pour sa part des risques mesurés s'essayant à marcher sur l'eau. Toujours les mêmes accompagnateurs : la frappe déliée de la fidèle Adrienne Davis aux peaux et cymbales, Lori Goldston au violoncelle (Nirvana Unplugged... David Byrne), et Carl Blau jouant quatre cordes.
Ça commence par tâtonnements, par approximations. Quelques notes de guitares envoyées au hasard, comme une pierre dans l'eau. La basse répond mollement. Impression tenace, au début,  de ne pas y croire. On se perd dans les méandres d'un dé-tricotage musical. Et l'alchimie opère, contre toute attente. D'abord entre guitare et basse, les deux autres instruments n'apparaissant qu'à partir du 3° morceau pour se mêler avec cette même lenteur qui hésite entre solennel et solaire. Les instruments se relaient le rôle du bourdon, et le violoncelle rivalise par moment d'audace face à une guitare imperturbable et apaisée. Loin de la transe mais si proche de l'extase, tout en retenue. Parce que le but n'est pas de l'atteindre mais de louvoyer à la frontière .
Plus que jamais, le folk suspendu d'EARTH se fait hypnotique, et sa pesante majesté confine à l'illumination d'un mysticisme revendiqué. On s'approche d'une contemplation sans objet d'un horizon vaguement brouillé.
A moins que le titre en forme d'oxymore ne suggère simplement une forme d'apaisement gracile et précaire...
L'album pris pour lui-même est quelque peu insuffisant mais se révèle beaucoup plus consistant lorsqu'on considère rétrospectivement les lentes pérégrinations de Carlson depuis le tournant "Hex : or printing..." 
Les fans de la première heure, eux, auront lâché l'affaire depuis belle lurette, obstinément crispés à un passé, certes glorieux mais par nature révolu.

L'Un

EARTH : "Angels of Darkness, demons of light. Vol.2" (Southern Lord. 2012)
 le site du groupe.

un extrait


vendredi 2 mars 2012

FLY PAN AM: rencontre

les liens sont en bas d'article...
Un soir de novembre 2004, au coin d’une table avant un concert de Fly Pan Am, et après quelques échanges sur un peu tout, avec les deux guitaristes (Roger aussi membre de God Speed You ! Black Emperor et Jonathan, le rire facile et le sérieux mêlés), nous avons décidé de poursuivre notre conversation en loge ; ce qui était au départ une interview est devenu ce qui suit, au propos toujours d'actualité :

L'Autre Energumène, Shoï : profitons de la francophonie pour parler de la dualité existante au Canada, de plus en plus forte, car elle a du mal à trouver sa voie ( « voix »), à être pleinement mêlée à la vie canadienne.
Jonathan : sexuel en même temps ! mais de moins en moins car il y a de moins en moins de choses à défendre.Le problème de la langue, c’est le problème des lois qui ont été créées sans observer la recherche d’identité ; on ne cherche pas à protéger la langue mais les lois qui protègent la langue. Et il y a une difficulté à être francophone au Canada car on est confrontés à des lois linguistiques.
Roger : oui, surtout qu’à Montréal il y a une intégration qui se fait entre les francophones et les anglophones : il y a bon nombre d’anglophones qui viennent d’un peu partout, qui ont grandis dans une culture sans apprendre le français et qui devraient, s’ils voulaient s’intégrer parler français. Il y des anglophones au Québec qui s’y sont adapté autant que les francophones s’adaptent à l’anglais dans le reste du Canada. Donc il y a un peu moins dans la vie de tous les jours, dépendant des milieux sociaux, de rapprochements. Ça ne va pas à l’encontre de ce qu’il disait, c’est juste très complexe.
J : Il y a toute une génération qui est plus la nôtre, qui a découvert que le bilinguisme n’était pas du tout un rapport de parler-écoute ; mais il y a aussi une tension qui disparaît dans la communication car on se rend compte qu’il y a une notion de partage de la culture, d’apprendre des deux côtés ; et la part de gêne, de peur de ne pas comprendre surtout de la part des anglophones disparaît. Et quelque chose de significatif, c’est qu’avec les copains à Montréal je parle français, et ils répondent en anglais et le dialogue se créé.
R :comme le bassiste dans le groupe est anglophone. Il parle en français, je répond anglais et il parle anglais je répond en français !
S : dans le milieu musical, il y a une osmose qui est plus facile à réaliser ? est ce plus naturel d’utiliser les 2 langues ?
J : Montréal, c’est un village de 2 millions d’habitants.
S : c’est une série de petits villages qui n’en forment qu’un.
R : oui c’est assez difficile à croire.
J : c’est fréquenté, et il n’y a personne qui participe à la vie. Je ne suis pas déçu, ni surpris, mais je me rend compte que c’est long, les débats sur la langue dans un pays vaste comme le Canada. Je suis amer par rapport au Luxembourg où il y a des gens qui parlent 4 langues. Ils sont ouverts à la culture. Les Québécois et les Canadiens ont tant de tensions.
S : c’est une focalisation.
R : oui, c’est immature, comme de jouer avec un hochet. (Jonathan secoue la tête, peiné) c’est trop loin…
S : c’est aussi focaliser pour oublier d’autres problèmes plus importants à côté, notamment politiques.
J : comme les relations avec les Etats-Unis par exemple ; dans les centres urbains, les militants canadiens  ont une certaine béatitude dans leur côté anti-américain ; c’est se reposer sur ses lauriers, ne pas se positionner dans un sens critique ; je ne sens pas qu’il y ait de sentiment national canadien, comme il a pu y avoir un sentiment québécois du temps des embrouilles.
S : et on est plus au temps du nationalisme, de la sauvegarde de l’ethnie.
J : surtout pas au Québec ! on rempli même pas nos cotas ethniques, car on a élaboré un système économique qui fait que si tu n’as pas le bulletin de 25 000 $, que tu sois francophone ou non, c’est fini la musique. C’est une petite ville Otawa qui dirige toute la paperasse d’un des pays qui a la plus grande superficie au monde. Comment comprendre les problèmes de tous, d’un état à l’autre ? ils nous demandent d’avoir une identité culturelle mais on a peur d’avoir déjà une identité nationale, c’est politique.
R : de toute façon, qui peut placer sur une carte le nouveau Bronswick ? on est allé en Turquie, et dans l’avion il y avait CNN ! CNN Turquie, on se base sur CNN pour informer !
J : si c’est ça pour nous la culture, ça veut dire quoi ? qu’il faut saccager ?
S : c’est vulgariser dans le mauvais sens du terme : on uniformise en créant des filiales pour la façade, et pour permettre de transmettre un discours orienté ; c’est une invasion, une autre colonisation.
R : oui et plus pernicieuse…
S : pour revenir au groupe, vous utilisez plus la parole dans votre dernier album ; vous avez plus de choses à dire ?
R : on a toujours eu beaucoup de choses à dire, mais on n’avait pas l’expérience pour savoir l’exprimer. Le premier album parlait essentiellement de poésie. Maintenant il y a plus d’intérêt à mélanger des idées. Il y a toujours eu une volonté de parole, de dire quelque chose mais on essayait tellement de synthétiser une idées qui était énorme qu’on se retrouvait avec un titre illisible. C’était tant chargé qu’on se demandait si la synthèse serait comprise. Même si c’est quelque chose qui ne me dérange pas que l’on ne me comprenne pas complètement : j’aime que les choses restent ouvertes.
J : ça a toujours été un travail sur l’interprétation ; en même temps si on croit l’interprétation, c’est radicalement subjectif dans la pensée. Ce n’est pas juste un souci de soi, un souci de choquer, c’est aussi un respect. Je déteste entendre « c’est facile l’abstraction, c’est facile la poésie, tout le monde peut faire ça » ; cet argument est celui du geste et de l’action, la théorie et la parole. Ce qu’on a fait, c’est une prise de parole par rapport à une musique instrumentale. Je me rappelle qu’on avait essayé de faire ce premier disque instrumental en se disant qu’un jour on serait prêt à poser des paroles mais il avait une crainte, même au sein du groupe les uns vis-à-vis des autres. On n’avait pas fermenté encore, on était en train de bouillir à des degrés différents chacun de notre côté. On avait conscience de ce que les mots pourraient apporter.
R : on a voulu laisser les choses s’exprimer. A un moment donné, on a senti qu’on avait fait le tour de la musique instrumentale ; c’est la première chose qui m’a poussé à dire que je voulais qu’il y ait des paroles.
J : Roger travaillait sur le plan de la parole, du langage, et moi sur le plan de la voix.
R : on avait envie que ça se réponde
J : et on pourrait dire le contraire aussi
R : car tu écris plus que moi
J : on voulait exprimer ce sentiment d’urgence
R : surtout avec les tonnes de groupes instrumentaux qui ont déferlés
S : au sein de Constellation notamment ; Roger, tu as fait partie de « God Speed You!Black Emperor », je t’ai vu sur la dernière tournée au Cabaret Sauvage à Paris.
R : oui, j’ai arrêté depuis. Je voulais me focaliser sur cet album ; le groupe passait toujours en second. Là, la démarche était de faire l’album et de le faire tourner. Je voulais faire d’autres projets.
S : vous avez tous des projets parallèles ?
J : c’est normal, c’est même très sain.
S : ça enrichit chacun des projets.
J : j’aime pas dire le mot normal, mais oui, ça enrichit.
S : ce ne sont pas les mêmes choses à dire qui ressortent suivant les personnes avec qui tu joues.
J : on se rend compte que nos amis les plus proches sont nos amis les plus éloignés. Ils laissent cette distance respective qui rend l’amour et l’amitié possible. Ça c’est le vrai questionnement.
R : c’est du coton, des coussins ; et je pense qu’on a une vraie exigence par rapport à la création.
J : et puis c’est pas facile et très facile en même temps ; dans le sens que la facilité, c’est un moment de respiration profonde quand on est asthmatique. On est avec l’autre, on respire le même air. Des fois, la proximité fait qu’on arrive pas à se le partager ; à se partager la parole qui y est incluse, être capable de respecter la distance, accepter cette latitude à l’autre d’exister. C’est un rapport à l’amitié.
S : il y a un rapport passionnel aussi, une volonté d’optimisation du temps à passer ensemble. Un sentiment d’urgence…
J : c’est sûr, et se lever à 6h du matin après s’être claqué la tête à l’alcool pendant 30 jours, ou écrire l’album à se motiver 3 jours par semaine à aller au local ; et créer des choses, essayer, se tromper, appeler son amie et lui dire « c’est de la merde ce que j’ai fait aujourd’hui, je me sens pas bien ».
S : c’est un faux équilibre, entre le plaisir, et les mauvais moments ressentis parce que l’on s’investit pleinement dans l’aventure. L’échange est au cœur du lien.
J : oui, Fly Pan Am, ça reste un groupe extrêmement démocratique.
R : tout à fait.
J : c’est pas juste un mot, où il faut demander l’avis de tous, où on laisse la parole. C’est aussi savoir s’exprimer, s’assumer à travers ça. La démocratie, c’est pas « on veut savoir », c’est qui veut savoir, et qui veut dire.
R : et qui s’implique ; et là les choses ont commencées à grandir. C’est vraiment qui s’implique : on a eu quelque chose de difficile à réaliser dans ce groupe là. Il y avait certains membres qui s’impliquaient moins. Tu essayes de les impliquer plus, mais tu te rend compte que c’est pas les aider ; mais en fait il faut que tu t’assumes toi comme tu es, et tu vois comment ça rebondit chez l’autre. A partir de là, tu choisis comment tu réagis, et cela deviens comme des solitudes qui travaillent ensembles.
J : des solitudes qui doivent grandir elles-mêmes en disant « je ne me suis pas impliqué moi-même, parce que je passe au travers ». L’année dernière, je me suis relâché un bout de temps ; je n’étais pas le seul mais à un moment, ça n’avance plus ; tu te frottes aux gens mais à force ça ne brille plus.
R : ça devient passif.
J : c’est comme lorsque tu as la charrue et le bœuf, et que les deux se regardent.
R : même la charrue regarde !
S : dans ce contexte, la portée de ce nouvel album, « n’écoutez pas » dans la vie du groupe ? Qu’est ce que ça va projeter de nouveau ?
R : au sein du regard de l’autre ?
S : non, au sein de vous : tout ce qui est musical, c’est pris ou non par le public. Mais après chacun va y faire sa lecture, y faire naitre un sentiment particulier. Vous, vous le faites parce que vous avez besoin de dire quelque chose, vous avez besoin de créer, et dans la démarche où vous vous trouvez, ça va vous amener à quoi d’autres d’avoir utilisé la voix comme instrument ? C’est pas simplement des paroles, ce sont des onomatopées…
J : on se disait qu’il fallait essayer, qu’il fallait le faire. On avait plus le choix. Et puis pour moi, je ne sens pas que j’ai appris à chanter, mais j’ai appris comment m’y prendre si je m’y intéresse d’avantage. Et F.P.A. m’a appris ce plaisir là, l’importance d’écouter de la musique instrumentale et la manière que dorénavant je vais devoir appliquer pour composer de la musique à partir des paroles. Maintenant cela doit être maîtrisé de façon plus subtile parce que c’est toute la difficulté. Et ça me renseigne sur l’espace que ça laisse aux paroles, aux idées qu’elles défendent, la complexité que cela prend par rapport à l’autre aussi. Pour moi, c’est un mode d’apprentissage, c’est pas mauvais, je ne m’attendais pas à cela.
R : pour moi c’est pareil.
S : si tu dois prendre la mesure de ce que tu dis pour que cela reflète au mieux ce que tu veux exprimer.
J : je ne m’attendais pas à faire le meilleur disque de paroles de tous les temps. Je voulais être humble et honnête vis-à-vis de ma démarche.
R : faire avec ce que l’on connaît et ce dont on est capable, et voir ce que cela donne ; et voir où cela nous mène. Oser se casser la gueule.
J : c’est déjà commencé, moi j’arrêterais pas…lui je le connais assez bien, c’est un chanteur, il connaît des trucs.
R : oui, mais ce qui me bloque, c’est les paroles ! au départ j’ai trop à dire, et quand j’écris, je n’ai plus rien à dire.
S : t’as pas l’écriture automatique !
R : pas du tout ! j’ai rien d’automatique !
J : moi, j’ai l’écriture automatique, mais je dis rien !
S : aïe !
R :pour ce qui est des paroles, qu’est ce que ça va donner au groupe, comment tu disais ça ?
S : quelle va être la portée pour vous, en répète par exemple, d’avoir vécu et assimilé ces morceaux durant plusieurs mois de tournées, avec d’autres choses à défendre ; ça va vous emmener sur d’autres questionnements. Comment le pressentez vous ?
R : c’est sûr que ça va nous amener à être en relation avec des désirs qu’on avait peut-être ou peut-être pas. Et puis, ça va nous donner le potentiel ou la volonté de persévérer par rapport à ces intentions, ces désirs qui sont la chanson, les paroles.
J : y’a un déplacement de la démarche artistique à cause notamment de la complexité qu’il y a avec la parole, les mots et la musique. Pour moi, c’est pas comme Georges Brassens. Il était accompagné, et les musiciens ne pensaient pas aux textes. F.P.A., c’est cette démarche de al musique pensée parallèlement, c’est très complexe, il faut penser autrement pour faire des paroles. Et puis la réceptivité des gens, qu’elle soit bonne ou mauvaise nous pousse dans ce sens.
R : ce n’est pas une finalité, c’est clair aussi.
S : oui, il faut vraiment tendre l’oreille, les titres aident un peu à la compréhension !
J : et ce n’est pas une gêne nécessairement.
S : c’est pour cela que je précisais tout à l’heure onomatopées.
R : oui, c’est vrai, c’est un choix esthétique, dans le sens où pour ma part, je me suis dis que pour chanter dans un groupe qui se veut démocratique, ça m’intéresse pas une voix à part des autres. Donc, il faut que ce soit une voix d’effacement.
S : dans le mix, rentrée au sein des instruments.
R : oui, c’est une voix qui est un instrument, et on ramasse ce qu’on peut avec. D’ailleurs la plupart du temps sur l’album, les voix sont ensembles. Pas dans tous les cas, mais cela arrive souvent que tu aies des arrangements de voix.
J : on s’est mis à beaucoup l’écouter.
R : on avait peur qu’il y en ait de trop. Mais on s’est mis à l’écouter plus et on a eu envie d’arrêter la musique, d’enlever ce voilage. Quand on remet le son, les guitares sont encore plus présentes.
S : surtout dans ce dernier album, en fait,il y a eu une étape de franchit : vous aviez un son très rond, tout en douceur ; c’est beaucoup plus tendu désormais, guitares plus agressives en avant, ça change plein de choses.
R : oui, tout à fait.
J : je dois avouer, on a changé. C’est un peu difficile. Maintenant on peut se lancer à tout faire.
R : on a décidé de mixer…d’effectuer tout le travail.
J : c’est pas par manque de confiance, c’est qu’on veut tout faire. Et puis on a composé et pour une fois c’était plus virulent ; on a jeté plein de trucs ; on a travaillé et quand on s’est trouvé à enregistrer, ça n’avait plus rien à voir. On s’est posé beaucoup de questions, très radicales.
R : il y a l’exemple de ce morceaux du dernier album : cela faisait 2 ans que nous le jouions, et le changions pour finalement donner un rendu différent. Maintenant le ton a encore totalement changé.
J : c’est ça aussi la démocratie : les campagnes électorales commencent le lendemain des votes.
R : oui, oui, c’est comme ça !
J : F.P.A., c’est autant de temps de dialogue, de réunion, que de composition. C’est important comme démarche. La passion s’exprime par rapport à ce que tu émets ; ce que tu exprimes dans les mouvements de ton corps, c’est la pensée ; c’est un peu plus rigoureux dans un mode démocratique, c’est normal que cela prenne plus de temps. C’est sûr qu’il y a des tensions qui sont nées, exprimées et c’est tant mieux. Car si on n’avait pas réussis à sortir ces tensions, on aurait encore des choses en nous, des non-dits. Il y avait aussi que Roger, comme il le disait, a voulu faire ce disque là, uniquement en se donnant à fond. Alors on s’est dit que là il fallait se donner à fond.
R : on n’allait pas laisser des coins d’ombres.
J : on savait quelle allait être la portée, car c’était très subtil, très prégnant. C’est très personnel de savoir ce que l’on a eu le temps défendre. J’ai des difficultés, mais j’ai un peu d’attentes, des choses à défendre, c’est certain, mais j’ai aussi l’expérience de çà.
S : dernière petite question, cette fois sur Constellation, votre label : quelles sont vos relations avec lui, et avec ce qu’il représente ? C’est un label particulier, qui jouit d’une aura, qui est respecté pour ses groupes et les démarches, et notamment une identité militante. J’ai entendu que cela peut parfois vous causer des désagréments : God Speed a été arrêté en pleine tournée aux Etats-Unis pour être soupçonné de terrorisme. Ça vous procure en contrepartie un bon accueil, une sympathie j’imagine ? Est-ce que cela vous gêne ?
R : sûr que oui, on est pas…Ce qu’il ne faut pas oublier dans n’importe quelle idée de l’éthique, c’est que les gens sont différents. Donc si un label se voit militant, ça ne veut pas dire que tout le monde dans le groupe l’est, et que tout le monde dans le label l’est. Et puis, s’il ne le sont pas, ce n’est pas qu’ils n’ont pas réfléchi autant aux choses, ou parce qu’ils sont bourgeois ; je ne sais pas je dis un exemple bête là, mais par exemple nous,on est pas du tout militants ; pas du tout. Il y a peut-être un moment où on a fait de l’art subversif jusqu’à un certain niveau. Puis, je dirais pour ma part, et je pense que les autres seraient d’accord avec moi sur ces questions là, on s’est rendu compte à un moment de l’absurdité des objets de consommation subversifs : oui, peut-être que c’est économique, peut-être que ça créé des dialogues, mais ça reste des objets de consommations. On n’est pas prêt de révolutionner le monde.
S : c’est le paradoxe qu’ils contiennent qui empêche leur justification et l’efficacité de leurs messages. Il y a une perte de sens.
J : oui, Constellation et les militants, c’est comme parler du temps : c’est quoi le beau temps, et c’est quoi le mauvais temps ? on ne peut pas dire tout d’un coup que le soleil c’est le beau temps et la pluie, les nuages, c’est le mauvais temps.
S : on est dans la subjectivité, le rapport aux choses, à l’environnement.
J : oui, je suis désolé, 7 jours dans le désert sans eaux, la pluie c’est pas le mauvais temps.
R : c’est une question de perspectives.
J : pour répondre à ta question, je trouve que l’aura, je la trouve très présente parfois ; ça fait en sorte qu’il n’y a pas beaucoup de place pour d’autres températures.
R : tu veux dire dans Constellation ; oui, on est un peu la bête noire ; autant au niveau du son, et de notre engagement. On n’est pas placés nécessairement de la même façon.
J : je peux lire Baudelaire, Verlaine ; des textes utopiques, mais des fois je trouve que l’idée d’utopie est restrictive, ça manque de vision. C’est aussi ne pas écouter l’autre.
R : oui, moi aussi. C’est comme se résoudre à prendre les subventions pendant des années et puis jouer dans des salles de 5 personnes, où il peut en tenir 300-400, il y a un peu un dialogue qui meurt. Il y a quelque chose d’irrespectueux.
J : et d’irrespectueux aussi face à la différence. Et c’est pas que Constellation, c’est tous ces labels indépendants : ils ont une étiquette indépendante et ils y tiennent. Ils se disent labels indépendants, et ne laissent pas à l’autre le choix de le déterminer comme tel.
S : comme s’ils craignaient avec leurs subventions de ne plus être indépendants ; c’est qu’ils doutent d’eux-mêmes probablement, peur de s’être perdus en route.
J : il n’y a plus de possibilités d’interprétation de la part de l’auditeur ou du public. Il y a une arrogance à dire label indépendant.
R : c’est déplacé ; au-delà de la distance, c’est une idée et oui, tu as raison, c’est une fierté qui devient de l’arrogance. Y’a rien de mal dans la fierté et l’arrogance.
J : il y a un détachement qui se fait par rapport à la création, à la musique. Je vais citer Brassens parce que pour moi c’est la plus belle des phrases de tous les temps pour la création : « mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente ». Il faut avoir le temps.
S : et le militantisme, c’est aussi ça, prendre le temps de discuter avec des gens autour de vous, de ce que vous ressentez et de ce que vous créez. Mettre en perspective votre point de vue. Et les gens prennent, réfléchissent dessus, et si ça les fait évoluer, tant mieux.
R : pour moi, c’est ma relation à l’existence, j’ai dit que je ne suis pas militant, et que je ne le serai jamais. Ça ne veut pas dire que je ne me pose pas des questions et que je ne suis pas en relation avec ce qu’est l’éthique.

Là-dessus, l’heure (une entière) a tourné, et la cassette avec, et nous retournons dans la salle voir la première partie et se jeter un godet parce que mine de rien, ça donne soif !

L'Autre

et un lien vers le blog de roger, où il parle de ce qu'il aime, bon chemin de découvertes: http://circeotones.blogspot.com/
il semble que depuis Fly Pan Am, il ait levé le pied sur la création. mais vous pouvez par exemple télécharger gratos une compilation télécharger gratos une compilation ici
merci à Greg Lucas, l'Archiviste et a l'ex fanzine orleanais What the Fuck

extrait de l'album de Roger sous le nom LE REVELATEUR:
 

BLEU NUIT from Sabrina Ratté on Vimeo.