lundi 20 novembre 2023

Trevor DUNN & Kevin RUTMANIS : "CRACKPOT WHOREHEAD"

 « Ils peuvent t'assigner à comparaître. Ils disposent de jurys d'accusation permanents réputés pouvoir mettre en examen un burrito ». (T. Pynchon)
 
 
La rencontre faussement inopinée de deux bassistes ça mériterait pas de s’y arrêter, histoire de faire le pendant à la rubrique Disques de Batteur qui saturent les pages de ce blog ? Deux têtes de pioche avec leurs grosses mains à quatre doigts dont les cv respectifs balaient le spectre de tout ce qui s’est fait en déviances musicalistiques et autres rogatons sonores scrofuleux de la contre/sous-culture américaine des trois dernières décennies. Les gars se sont croisés sur des trucs comme Tomahawk (c’est du Jesus Lizard empâté - et surtout sans David Yow,  donc chiant…), Melvins (les derniers mohicans d’un rock efficace farouchement indé – et sympa – qui a toujours eu tendance à interchanger les bassistes) ou encore Fantomas (un peu comme du Mr Bungle mais en moins chiant). Si Trevor Dunn est surtout connu pour faire partie de Mr Bungle (la fusion casse-bonbon des années 90’s poussée dans ses retranchements – très chiant) et des collaborations au sein des diverses formations du stakhanoviste John Zorn, Kevin Rutmanis lui est surtout méconnu pour avoir fait partie des Cows, un quatuor irrévérencieux, déjanté et surtout largement sous-estimé dans les eaux fangeuses de tout ce que les bas-fonds de l’alt-rock US auront produit de cool (= vaseux) depuis une trentaine d’années. En bref c’est beaucoup plus rocailleux et jubilatoire que la musique de ces pleurnichards de Nirvana, mais nul n’est (faux) prophète en son pays, surtout au sortir de cette décennie nauséabonde et clinquante que furent les années 80’s… Il y avait donc une sacrée matière à conversation de comptoir entre ces deux derniers mohicans des scène underground… La collaboration s’est faite à distance, par échange de fichier. On imagine la surenchère des gaziers à chaque réception dans la boite mail, « mais qu’est-ce que je pourrais ajouter pour faire encore plus chelou, bien chépère ? ». Parce que le résultat s’apparente plus à un bricolage exutoire avec les miettes de leurs poches, quelques notes griffonnées à l’arrache sur les bocks de bière (juste avant que le rade ne ferme). On traine dans les bas-fonds sans fin d’une cérémonie de potlatch qui tient d’une libation hallucinée dans les arrière-cuisines de Las Vegas Parano, même si on n’est plus vraiment en quête du lapin blanc, à tailler sa couenne en pièces de la sorte. Délibérément foutraque comme une tentative de free-jazz bâtard tronquée dans une sorte de longue flatulence syncopée, on vacille entre la série Z et la scie musicale. Télescopage de nappes, de textures et d’humeurs erratiques où on cherche souvent la présence des basses dans ce cauchemar paranoïaque : saturées, triturées à l’envi, rondes parfois elles sont souvent en embuscade à cimenter ce corpus toxique de compos anguleuses. Déflagration à peu près aussi digeste que la dose quotidienne d’opioïdes sous ordonnance de la ménagère middle-class de moins de cinquante piges. Parce que ça devrait être comme ça aussi, la musique estampillée « indie » ou « alternative » : un truc de freaks.


L'Un. 

DUNN with RUTMANIS :  "Crackpot Whorehead" (Hepa-Titus. 2023)

lundi 6 novembre 2023

ELODIE : "Vieux Silence" (ou : "pour en finir une bonne fois pour toute avec la musique ambient…)

Ad nauseam est peut-être ce qui qualifie le mieux mon rapport à l’ambient-music. Le genre est vaste, ramifié mais se perd souvent dans les vertiges de la pornographie technologique, des drones barbants à souhait, avec leurs textures léchées au millimètre, et bien évidemment l’écueil du mauvais goût du new-age, cette musique d’autoroute sans fond et de supermarché hagard débitée par palettes entières. Après tout comme me le confiait un pote autour d’une bière, l’ambient se résume finalement à une poignée d’albums et de musiciens pionniers (non, cette fois-ci je ne les citerais pas…) qui n’ont pas cessé d’être imités et déclinés à l’infini depuis.  La seule différence résidant peut-être dans les raccourcis confortables qu’offre une technologie (qui plus est abordable). Dur de se démarquer dans ce marigot déjà bien pavé et balisé par d’indépassables mètres étalons. Mais c’est peut-être là le dilemme commun à tous les genres, styles de musique actuels où il est difficile de se renouveler. Vaste débat stérile que quelques récentes sorties d’albums qui ont encore cette salutaire capacité de nous émerveiller rendent heureusement caduque (j'espère ne pas copier/coller ce laïus pour chaque chronique d'ambient muzak) 
 

 

Focus sur ce Vieux Silence donc. Et c’est précisément en sortant du cadre étriqué d’une ambient canonique que le duo d’ELODIE impose avec une douceur presque impalpable son style désuet. Secret jalousement gardé par une autoproduction confidentielle, ELODIE, c’est le projet d’Andrew Chalk et Timo van Luijk. Douzième album édité par un label qui a un petit pignon sur rue, Vieux Silence représente le sommet à peine visible d’un iceberg dont la base immergée n’a de cesse de fondre tant la chaleur semble suinter à chacune de leurs rencontres. Si le résultat trouble s’apparente à une dark ambient chargée d’échos mélancoliques, le procédé lui relève d’une musique de chambre close avec sa panoplie réduite d’instruments bien acoustiques (piano, clarinette, guitare). Musique d’esquisses évanescentes sous un lumière faiblarde, la superposition des motifs s’étirent et se croisent en un continuum au final plus organique et évolutif qu’un simple bourdon qui se contemple dans la stase. On pense aux vieilles boites à musique de notre enfance passées dans des filtres fuyants. Ritournelles hypnotiques de cette neige que l’on entend à peine tomber dans un crépuscule douillet, des voix hantées sorties d’un autre temps hantent l’album par leur silence imposé. En renouant avec une certaine tradition instrumentale contemplative, le duo d’ELODIE parvient à réinventer ces paysages intimes que n’arrivent plus forcément à nous proposer les productions à grands renforts de synthés surpuissants et autres réverbérations onéreuses. De quoi réconcilier tout le monde à commencer par moi-même. 

 

 

L'Un.

 

ELODIE : "Vieux Silence" (IdeologicalOrgan. 2022)