jeudi 24 février 2011

HARVEY MILK - A small turn in human kindness


Pas vraiment un cadeau pour les oreilles chastes, les culs-serrés et les collets montés... Ce qui, au bout du compte fait beaucoup de gens qui vont passer à côté de nouvelles sensations qu'ils n'ont d'ailleurs jamais envisagé dans un futur proche comme éloigné (et précautionneusement balisé). C'est pas non plus du mou pour minets, ça les gars. Un des power trio tendance lourde, très lourde, parmi les plus sous-estimés de la décennies 90, réactivé depuis quelques années surtout depuis leur signature récente chez HydraHead. Harvey Milk c'est ce truc au gros son qui constitue le parfait triangle isocèle inachevé avec Jesus Lizard, ZZ Top et Godflesh à chaque extrémités. On les a beaucoup assimilé aux régurgitations rampantes du sludge métal pour des raisons formelles évidentes et évoqué l'influence (très) indirecte de Léonard Cohen pour des raisons beaucoup moins évidentes. Ca se complique, surtout si on s'entête à vouloir chroniquer le tout dernier album au titre toujours plus obtus (si on considère que celui du précédent opus était déjà pas mal gratiné :  « Life, the best game in town » . Ah ah. Bien vu les mecs.). Les filiations sont caduques, les classifications par trop limitatives. Si au fil de leur discographie, un certain style accouché aux forceps et dans la plus totale hétérogénéité peut se dégager, louvoyant de façon très incertaine entre les influences précédemment citées, là, il semble que le groupe s'essaie avec zèle à une certaine forme de jusqu'au-boutisme couillu et désespéré, synthèse même de l'essence de ce qu'il a toujours cherché à être. Le coming-out style mur de son saturé dans lequel on s'écrase sans recours aucun. Vous me suivez toujours ? Un rapide balayage des titres, inventaire à la Prévert des Souffrances du jeune Werther, et on sait déjà que c'est de la lose intégrale dont il s'agit, à moins que les gars n'aient un sens du sarcasme hautement développé ("I just want to go home", "I alone got up and left"...). La première écoute renvoie à l'idée qu'on peut se faire d'un requiem balourd et pataud de bucheron incestueux noyant moult tourments dans l'alcool et les sédatifs, avec ce petit rai de lumière qui point à qui sait l'attendre. Parfois. A la deuxième écoute on commence à se dire qu'on tient là un très bon album viscéral et puissant et cathartique, tout en rage sourde et rentrée. A la troisième écoute la qualité d'écriture devient... lumière. S'affirme et s'efface dans un maelström bourdonnant de larsens gras, de coups de massue et ce qu'il faut de petites touches de piano éparses.

Probablement un petit pas, à peine audible, pour la rédemption de l'humanité et une bonne nouvelle pour l'année 2010 écoulée.
Harvey Milk ? Le groupe, pas le film...


L'UN
 
HARVEY MILK - A small turn in human kindness, Hydrahead, 2010.
 
 

samedi 19 février 2011

YOUNG GODS: Everybody knows

dieux tout court...
Les Young Gods furent un trio d’exception, de pure énergie rock, piliers de la musique industrielle, du moins d’un indus mélodique autant que rythmique, la chose n’était pas alors courante. Au sortir du punk, ils figurèrent des musiciens les pieds bien ancrés dans le présent technologique, et ne reniant pas leur origines, les mettant à jour de façon évidente par des morceaux lumineux sur Tv Sky, mais avant encore sur cet album de reprises de Kurt Weil. Et ceci parce que la poésie a une place dans leur musique.
Les Young Gods ont toujours tracé leur propre voie, leur « longue route », sans se soucier de se trouver toujours à sa tangente : car s’en est tout l’intérêt…ils défrichent certaines fois en passant au tout numérique, puis en revenant au tout acoustique, et enfin, avec ce dernier album tout est là. Les samples et les instruments, les voix susurrées et les voix rauques, les percussions puissantes et les nappes aériennes…leur musique complexe est non seulement aboutie, mais joue encore du sens par des paroles légères ou engagées (chantées en anglais, français et allemand). En bref une synthèse de leurs savoir-faire, des épisodes précédents.
Le délicat Blooming, truffé de samples savamment retravaillés qui font des incursions dans un beau panoramique, ouvre l’album ; il fait monter la pression intelligemment à l’aide d’une guitare acoustique et de samples de percus cutés. De la belle ouvrage presque pop. Qui débouche sur un curieux riff de guitare millésimé rock progressif qui trompe son monde : on pénètre en fait sur un power rock remuant, comme une voiture fonçant sur une autoroute. Tout l’album vous baladera ainsi, l’air de rien, installant ambiance après ambiance pour mieux les déconstruire avec maîtrise et bon goût.
Ça reste un groupe à découvrir, et accessible donc ne privons personne de ce plaisir ! Comme je le fis en poussant fort le son au milieu d’une fête, ou bien simplement vautré dans son meilleur siège – fauteuil – canapé – lit – choisi ton confort camarade !
Savamment organisés et aguerris après 30 années de créations, ils jouent en quatuor désormais et restent un vrai groupe de scène, celui qui donne, qui transmet, qui émeut. Un quatuor d’exception.


L'AUTRE


du son sur:
young gods
Young Gods, Everybody knows, 2010, Pas Mal Publishing

jeudi 10 février 2011

Chroniques croisées : Steve Von Till, Daniel Martin Moore, Timber Timbre (et Bon Iver ?)

En ces temps où s'impose sans plus de questionnement salutaire une urbanisation sourde et anthropophage et qu'en fin de compte ce sont plus les canaux saturés d'informations brutes en compétition douteuse avec nos réseaux routiers congestionnés qui prévalent, il semblerait que la tendance du moment chez nos ménestrels, est de s'enfermer dans une maisonnette en bois au confort sommaire, ce bien planqué au fin fond des bois et en paix parmi les derniers ours dégénérés et de rares autochtones laminés par l'alcool de grain et une vie entière dédiée à l'art de la rapine et du braconnage. Bref, de produire un truc bien ancré dans le terroir, Walden, quand le storytelling nous rattrape, pas si loin d'un Exile on Main Street version cheap et champêtre.
C'est Bon Iver et son plaintif For Emma, Forever Ago qui s'est fait remarquer de la sorte : une rupture sentimentale, la cabane en rondin, assez de bois et de vin de groseilles pour tenir l'hiver, un petit ordi portable flanqué d'une poignée de micros, et on a le résultat qu'on sait, à savoir une musique un peu gnangnan qui a fait sensation dans les lecteurs MP3 des trentenaires abonnés aux sensations de la dernière mode hebdomadaire. Ca serait bien de le réécouter d'ailleurs, histoire de revenir sur ce genre de jugement stérile et péremptoire, qui dénote d'une certaine mauvaise foi partiellement assumée.
Pour les artistes qui suivent, toujours, une cabane ou un abri de jardin au coeur de la bonne vieille Mère Nature qui intervient à un moment ou un autre dans le processus créatif et une approche minimaliste de la production qui flirte souvent avec l'épure ascétique dans des registres différents.
Tiré par les cheveux, c'est le fainéant prétexte trouvé qui sonne comme le plus petit dénominateur commun pour parler de ces trois albums pour le prix d'un que peu de choses peut en fait relier, si ce n'est la mythique cabane au fond des bois qui doit bien exister quelque part.


L'honneur revient donc aux ainés, avec un album qui pourrait le mieux incarner ce fil directeur déjà élimé.
Steve Von Till c'est l'hémisphère gauche qui officie à grand renfort de hurlements et accords plombés au sein du furieux combo post-hardcore Neurosis (et de son avatar expérimental Tribes of Neurot) depuis plus d'une vingtaine d'année. Las, il a décidé de prendre un peu de distance et d'investir avec compagne et enfants une ferme paumée dans l'Idaho (on y vient...).
Retraite sonique et physique, histoire de se mettre au vert, de préparer ses vieux jours au coin du feu et de s'investir dans des projets musicaux 
aux motivations plus intimes (le psychédélique Harvestman, ou des projets en solo).
« A grave is a grim horse » est déjà le 3° effort parut sous son nom propre et enregistré à la maison. Steve Von Till, loin de l'énergie survoltée du rock tribal des Neurosis, s'attaque de façon faussement apaisée au vaste registre du folk américain comme après un séjour prolongé à se confronter aux rigueurs de la vie dans le désert, ou le passage inopiné de l'apocalypse.
Sa voix, posée, et rocailleuse est rongée de la certitude profonde et angoissée du gars revenu de tout ; celui qui sait que le monde est monde et qu'il faut continuer humblement à faire son bout de chemin, même si on sait. Une instrumentation discrète mais souvent lumineuse, sans batterie, parcourues de quelques déflagrations de guitare électrique, d'orgue Hammond, de lap steel ou de violoncelle, enveloppe la scansion d'outre-tombe et souvent hésitante du vieux renard. On oscille entre une certaine idée de la country et un folk sombre, un peu maudit, un peu à l'instar de ses ainés dont il reprend des chansons (Towne Van Zandt, Nick Drake...)
On pense à du David Sylvian en plus rural et mélodique, ce dernier ayant tout de même poussé le concept d'aridité dans ses retranchements les plus abstraits.
Le plus abouti de ses albums solo, l'ensemble est à la fois solennel, grave et intimiste.

Avec le "Stray Age" de Daniel Martin Moore on est encore loin de la mid-life crisis du musicien isolé. L'histoire de ce jeune habitant des Appalaches est exemplaire. Il serait le seul à voir son album signé sur Sub Pop sur simple envoi par la poste et sans y croire d'une démo sur cassette. Enfin plus probablement sur CD-R, il faut bien vivre avec son temps...
Les Appalaches et son lot de ploucs ? Une démo bricolée à la maison - ou au fond de l'abri de jardin, qui sait ? La suite de l'histoire dément toute la trame directrice déjà élimée de cette chronique, l'album enregistré avec la fine fleur des requins de studio de la côte ouest sous les bons auspices de Joe Chicarelli (White Stripes, Oxbow)
La production, du coup est là aussi une merveille de finesse et de retenue, même si le format (une rythmique discrète, un peu de piano ou de violon pour appuyer une guitare acoustique souvent seule) reste beaucoup plus convenu que chez l'ami Von Till... Moore, ne pose pas sa voix, ne susurre rien : il chante de la voix fine et fragile d'un post-ado, sans prétention aucune ; les chansons sont éthérées, les mélodies solides et toutes composées en gratouillant sa guitare sèche. Toujours l'air de rien, on se surprend à passer l'album en boucle, déjà intemporel, comme une œuvre déjà passée dans le domaine public. Du folk moderne, doux et illuminé avec toute la tendre lucidité d'un homme déjà en paix avec le monde et lui-même. Parler de maturité serait presque une injure tant l'instant charnière capturé semble précieux et tissé d'évidences.
Coup d'essai transformé.


Ange prêt pour la chute et déjà obsédé par les démons à capuche, on tient peut-être avec Timber Timbre (dont je n'arrive à savoir si c'est son nom de scène de Taylor Kirk ou celui d'une entité) l'ovni estampillé 2010, l'astre en queue de comète à la luminosité sombre.
Il semblerait bien que ce très jeune homme tout comme Bon Iver, se soit réellement planqué dans une cabane des forêts canadiennes pour composer son album (enfin celui d'avant) et qu'il soit disciple du home-recording, fil directeur, cette fois-ci on ne te lache plus ! Là aussi, c'est une affaire de voix, posée là où il faut, la musique se chargeant d'enrober (ou d'envouter) le tout. Mais quelle putain de voix, sans âge et sans fond. Celle d'un ange déjà presque déchu obsédé par ses démons à capuche et portée par les oscillations hypnotiques et planantes d'arrangements et de textures qui convoquent dans un savant mélange le folk, le rock ou le blues se jouant dans la note minimale. Le génie dans la production, c'est de faire croire que là aussi prévaut l'économie de moyens.
Timber Timbre peut nous murmurer les pires atrocités à l'oreille, qu'on croirait fermement le contraire.
Il peut nous affirmer crânement qu'il se prépare à rentrer dans les ordres qu'on le croira sans discuter.
Il peut nous dire qu'il va bientôt mourir du haut de l'arrogance de sa vingtaine que nous ne le croirions pas.
[Un soir dans une salle de concert -non enfumée bien sûr, les trois musiciens constituant Timber Timbre montent avec assurance sur scène; décomplexés, sans exces de sourires, ils mettent en oeuvre durant une heure, clavier, guitares, violon et bien sûr voix. Inspirés, car n'étant pas à la recherche d'une reproduction simple des morceaux de l'album, ils se plongent au contraire bien loin du bain de foule, dans une introspection qui confirme l'existence des murs de leur "cabane" autour d'eux. Les mises en place instrumentales sont délicates, les effets gérés par les instrumentistes, notamment les reverbs, omniprésentes. Les morceaux nous imprègnent parfaitement, par leur délicatesse, et leur fragilité -pour peu que les consommateurs au bar soient eux aussi attentifs- dans les constructions des nappes et boucles instrumentales. Ce sentiment est véhiculé par la lenteur de ce rock qu'on pourrait qualifier de mourant, comme quoi l'agonie peut être plaisante...(L'AUTRE)]
 
Aussi, ces 3 albums (non, 4, parce que le mal-aimé Bon Iver est digne d'intérêt) illustrent à merveille les tendances actuelles du folk américain, qu'on l'appelle « americana » (?), qu'il soit teinté de blues ou qu'il s'inscrive dans un format plus pop, parce qu'à l'arrivée, on l'aura bien compris, il n'y a plus guère de gens suffisamment tarés pour être capables de passer un hiver reclus dans un abri de fortune mal isolé, qu'il soit trappeur, terroriste repenti en cavale ou artiste sur la brèche.
La cabane de rondin c'est l'auditeur qui l'assemble et la rêve, un soir d'hiver frisquet, les yeux mi-clos dans le petit trois pièces, fauteuil en cuir, pendant que les voix sus-citées lui susurreront tendrement à l'oreille combien il était bon de vivre et de célébrer la vie sur un mode sylvestre révolu.
Et le chat vient alors s'allonger sur vos genoux, dehors, on entend vaguement l'écho des voitures filer dans la nuit. Mais c'est déjà dehors...  


L'UN


du son sur :
http://www.myspace.com/danielmartinmoore
http://www.myspace.com/timbertimbre
http://www.myspace.com/boniver


Steve Von Till " A Grave is a Grim Horse" - Neurot - 2007
Daniel Martin Moore "Stray Age" - SubPop - 2008
Timber Timbre "s/t" - Art&Craft - 2009
Bon Iver "For Emma, Forever ago" - 4AD - 2008