dimanche 22 mai 2022

PLASTIKMAN & CHILLY GONZALES : "Consumed in key"

euh...  et consumimur igni ?

 

Depuis une 30taine d’années les pulsations cotonneuses nimbées d’infra-basses du Consumed de Ritchie Hawtin (aka Plastikman) l’auront propulsé bien au-delà du monde du monde de la techno alors en pleine expansion confidentielle : on y flirtait alors avec une ambient glaciale, l’abstraction la plus contemporaine ou un dub profond et épuré. L’album tout en discrétion feutrée a gagné le statut indépassable d’album culte figé depuis dans sa propre légende. Le fait que Gonzales ne le découvre que très récemment et l’apprécie peut surprendre. Le fait qu’il déplore les silences trop nombreux qui hantent les compositions étonnera moins lorsqu’on connait le melon du bonhomme. Et c’est dans cette optique qu’il se proposait de combles ces creux en revisitant l’album avec ses grosses papattes de pianiste mal dégrossi… exercice de remix ? Clairement non. Réinterprétation ? Non plus. Coup commercial… probablement. Réappropriation, quelque part… Rencontre ou collision de deux personnages qui ne se sont jamais rencontrés et dont les horizons musicaux  sont tout aussi imperméables et étrangers ? Si un parallèle évident est à établir avec Alva Noto et Ryuichi Sakamoto, la différence réside dans la démarche : ces derniers collaboraient alors que nos deux protagonistes conversent à distance sur un terrain qu’aucun des deux ne maitrise. Réalisé pendant cette période de confinement, seul lien ténu entre les deux canadiens était un producteur qui servait de boite à lettre. Il a fallu un certain temps d’adaptation à Ritchie Hawtin pour accepter l’idée et faire sauter quelques points de blocage. Mais l’alchimie opère et le matériau sonore patiemment proposé devient tangible et sensible. Gonzales a su éviter habilement les obstacles propres à cet exercice de style casse-gueule en faisant preuve de discrétion et d’une écoute profonde et attentive : le canevas originel n’est nullement remixé mais au contraire entièrement utilisé comme toile de fond cotonneuse pour de douces et délicates digressions pianistiques qui viennent se nicher au cœur de ces fameux silences. Fragile présence  humaine qui nous aide à traverser cet épais brouillard fantomatique aux profondeurs abyssales. Cette approche simple (en apparence) est assez troublante au final, confortant l’impression d’un seul et même album pour qui n’aurait pas réécouté le Consumed depuis un moment. L’intégration se fait fusion et la collision n’aura jamais lieu : l’intuition initiale de Gonzales était la bonne… 
Sinon pour un prochain remix avec les potards bien dans le rouge, il faudrait peut-être songer à inviter Justin K. Broadrick...



L'Un.

PLASTIKMAN & CHILLY GONZALES : "Consumed in key" (TurboRecording. 2022)

vendredi 6 mai 2022

DÄLEK : Precipice

 "Où ça nous mène la folie des hommes. On court tout droit à notre perte." (G. Abitbol).


 

Après un hiatus de quelques années Dälek nous revient, la bouche pas vraiment en cœur, avec un 8° album inespéré. Histoire de clôturer le cercle de merde sans fin de ces dernières années écoulées outre-Atlantique. C’est vrai qu’ils auront eu droit aux 12 plaies d’Amérique, à commencer par ce faux-prophète peroxydé qui aura achevé de faire basculer le pays dans une profonde fracture, tous les voyants sociaux dans le rouge, quelques, ouragans ou incendies à la « burn Hollywood, burn » pour bien rappeler que le réchauffement climatique ne reste au final qu’une chimère fantasmée par un groupuscules de post-gauchistes aigris. What else ? Des classes moyennes décimées par une distribution massive d'opiacés sur ordonnances ? Ah, on en oubliait cette pandémie, ce chinese virus (sic !) qui pour la première fois dans l’histoire récente, rappelait que l’humanité était finalement une et surtout fragile. Au bord du précipice, donc. D’un abîme. Après ces 5 années de silence, le ton s’est tout naturellement durci. Certes les gars de Dälek n’ont jamais été de francs rigolards, mais un contexte aussi affligeant aura définitivement fait glisser la conception de l’album sur la pente raide en forme de vis sans fin. Et ce n’est pas leur intro instrumentale en forme de glissando claustrophobe qui nous fera penser le contraire. La tonalité se situe globalement quelques demi-tons dans les graves. Pour le reste, le groupe n’a pas vraiment changé sa méthode : des boucles en boucles autistes qui s’empilent en nappes épaisses alors que les beats hypnotiques et corrodés font régulièrement monter les aiguilles du compteur Geiger dans le rouge. Le flow acide de M.C Dälek se cale, métronomique, envoyant ses sourdes imprécations comme d’autres balanceraient leurs fatwas avachis dans leur sofa à rien foutre… L’ensemble reste tendu et anxiogène à souhait, et le morceau éponyme en est l’illustration sans appel. Mais quelques fulgurances de facture presque classiques comme Holistic ou Good apportent une petite bouffée d’oxygène salutaire à l’album. Ces pionniers d’un hip-hop expérimental tendance lourde et sans raccourcis, n’ont eu de cesse de manier la chape de plomb et le propos acerbe plutôt que la rime bling-bling et le sample facile. On pourrait aisément les raccrocher au peloton d’innovateurs et autres mauvais coucheurs du rap comme Clipping, les incontournables poseurs de Death Grips ou encore Danny Brown, Ho99o9… mais la voie qu’ils empruntent les rapproche davantage de la nébuleuse indéterminée  Justin K. Broadrick, My Bloody Valentines, les légendes allemandes de Faust avec qui ils ont enregistré un album ; Scorn aussi, dont on peut se demander pourquoi ces deux entités pachydermiques n’ont toujours pas mélangé leurs texture sur un album… Certains s’enflamment déjà en affirmant qu’on tient peut-être là un des meilleurs albums rap d'une année à peine commencée… Et ils ont peut-être raison : Precipice colle si bien avec l’ambiance (post- ?) apocalyptique de son époque. Brulot acide, plombant et sombre qui vous colle aux burnes comme un jean’s slim mal taillé de hipster sur le carreau. Et on ne pouvait pas attendre moins venant d’artistes qui se sentent concernés. Mais bon, sinon dans notre petit hexagone on a toujours Orelsan… What fucking else ?

 

 

L'Un.

 

DÄLEK : "Precipice (Ipecac. 2022)