lundi 21 novembre 2022

Jean-Michel JARRE : OXYMORE

"Une Grenouille vit un bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse s'étend, et s'enfle, et se travaille
Pour égaler l'animal en grosseur,
Disant : Regardez bien, ma sœur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ?"

 

Le personnage que le bonhomme s’est lui-même fabriqué est clivant : social traitre aux yeux des initiés, la jeune génération peut néanmoins voir en lui un vulgarisateur de la musique électronique. Un ambassadeur même, avec tout ce que ce terme revêt de pompeux et d’apprêté… Personnellement je l’ai toujours considéré comme le Dark Vador fétide de la musique électronique, qui a préféré quitter un GRM (devenu depuis Ina-GRM)savant et  sanctifié au sein duquel il n’aura passé que quelques mois sans forcément avoir croisé les grandes pointures qu’il prétend, ce pour céder aux sirènes du business as usual et de la mégalomanie sans borne… et porter ainsi la bonne parole à la populace… Cela étant, qu’on le veuille ou non, Oxygène ou Equinoxe restent des petites pierres d’achoppement dans le vaste monde de la musique électronique… Après pas mal d’années plutôt discrètes, retour en fanfare et effets d’annonce avec cet Oxymore en embuscade et tête de gondole de vos « disquaires préférés » (sic). Et de poindre un certain embarras à la lecture du storytelling brodé autour de cet album : la légende, déjà gravée dans le marbre, prétend qu’avant sa mort Pierre Henry aurait refourgué une palette de sons à mon vieux J.M.J afin qu’il en fasse quelque chose (de forcément inouï); comme la bande son du 21° siècle en somme. Pas moins. … Outre le côté bassement racoleur, c’est pas vraiment top de se servir de la postérité des défunts pour assoir sa propre crédibilité. Pas sûr que de son vivant, Pierre Henry était copain comme cul et chemise, mais bon… On a surtout l’impression tenace qu’après des années d’une gloire commerciale sans faille, le besoin d’une aura de respectabilité se faisait pressant en retournant ainsi à ses amours (très) éphémères de jeunesse. On convoite souvent que s’qu’on a point dirait le moraliste…  Deuxième hic : le disque aurait été enregistré en multipistes, pour un effet de spatialisation (évidemment) au top de la technologie. Bien, très bien tout ça, sauf qu’à l’heure actuelle, je doute que beaucoup de gens n’écoutent ça avec le système audio approprié. Si déjà ils l’écoutent avec un bon casque plutôt que sur des oreillettes connectées à leur smartphone… Ben oui, c’est bien d’être visionnaire mais lorsqu’on propose une musique électronique plutôt commerciale il faudrait peut-être se mettre à la hauteur de sa cible. Pour ma part j’ai bien essayé de me coller 2 casques sur la tête en même temps, mais la seule chose que j’ai réussi c’était surtout d’avoir l’air d’un con…. Allez :  on s’y colle avec une vulgaire stéréophonie d’usage…  Dès la première écoute, on est frappé par le kitsch de la mise en place : les sons employés semblent tout droit sortir des années 60/70’s, et nul doute que ces sonorités très en vogue flatteront les oreilles nostalgiques des plus vieux comme celles des plus jeunes, très avides de ce genre de sensations faussement analogiques. Et on sent bien que J.M Jarre s’est vraiment régalé dans cet assemblage de sons quasi organiques, à noyer l’auditeur dans une complexité fourmillante à la production millimétrée. Il y a suffisamment de glitches et de collisions sonores pour entretenir notre curiosité auditive. Peut-être trop, à vouloir combler les silences par une surdose de virtuosité voltigeante. Le trop c’est l’ennemi du bien tu vois, aurait dit le moraliste - ou JCVD. Et un vide intersidéral s’engouffre dans cette brèche. Malaise. Parce qu’on ne sait pas trop dans quelle direction veut nous emmener l’artiste, à empiler ses sons de la sorte comme on enfile des perles pour nous épater. Parce que sans cap précis on tourne plus à un exercice de démonstration qu’à une composition narrative. Au bout d’un moment c’est la structure rythmique qui prend l’eau. Précisément celle qui offre un cadre et porte ces sons fixés : et c’est à la fois monotone et faiblard. Les rythmes s’enchainent, paresseux et sans grande inventivité comme pour coller à l’air du temps déjà dépassé. Eh oh ! Ben Jean-Mi quoi (je peux t’appeler Jean-Mi, hein ?), t’as merdé là, quoi ! La critique est toujours facile mais j’attendais quelque chose de plus renversant et ambitieux. Entretemps on a eu des trucs vertigineux comme le dubstep, la drum n’ bass même, bricolée par des gamins avec peu de moyens derrière leur ordi…. On s’attendait au service minimum avec des fractales en tout genre, de la granulation débridée... Alors oui, le traitement du son est implacable à défaut d’être renversant ou des plus troublant, l’ensemble est plus qu’agréable à l’oreille (monophonique !) mais au final on a l‘impression de se retrouver à passer un bon moment sur un dancefloor rétrofuturiste vaguement plus inspiré que de l’Eurodance de bonne facture. Et si dystopie il y avait dans le propos d’OXYMORE, la B.O de Blade Runner fait le job tout aussi bien. Mais ça c’était il y a 40 ans. Donc, si on est vraiment en recherche de sensations fortes, mieux vaut se taper l’intégrale des archives de l’INA-GRM ou la discographie de Stockhausen. Parce qu’en 2022, le dernier Beyoncé est somme toute bien plus en phase avec son époque incertaine ; le groove en plus.


L'Un.

Jean-Michel JARRE : "OXYMORE" (Columbia. 2022)

lundi 7 novembre 2022

MAMALEEK : Diner Coffee

"Dans la nuit absolue de la réclusion, la bouche et les yeux ne font plus qu'un organe qui déchiquette l'air de ses dents transparentes... mais les organes perdent toute constance, qu'il s'agisse de leur emplacement ou de leur fonction... des organes sexuels apparaissent un peu partout... des anus jaillissent, s'ouvrent pour déféquer puis se referment... l'organisme tout entier change de texture et de couleur, variations allotropiques réglées au dixième de seconde..." (William Burroughs)

 

La scène de San Francisco est habituée à nous produire toute une myriade de groupes un peu frapadingues, de Chrome à Flipper, en passant par Oxbow, les Dead Kennedys aussi, ou plus récemment Deerhoof... Et Mamaleek pose ses grosses papattes dans le marbre de cette glorieuse et brinquebalante lignée, tels les rejetons cachés d’un inspecteur Harry sous l’emprise de la Villageoise Margnat… Pour se donner une idée du maelstrom dans lequel on prend pied, il suffit de se référer à la chronique de leur « Come and see ». Tout est là et on va pas réinventer la poudre ; eux non plus d’ailleurs, sur ce Diner Coffee qui reprend leurs vitupérations là où elles s’étaient arrêtées sur le précédent. Il est vrai que dans leurs débuts, la tendance affichait plutôt un black metal forcené de belle facture. Mais le temps et la sagesse aidant aplanissent le cauchemar séminal des débuts (jetez quand même une oreille sur Fever Dream), et Mamaleek a emprunté la voie plus ou moins balisée des dissonances d’un rock noisy et rocailleux à souhait. Chacun son chemin de croix dans cette vallée de larmes, et au final les craintes de voir le groupe verser dans le mainstream s’estompent aussi sûrement que les musiciens continuent d’opérer dans l’anonymat derrière leurs cagoules en forme de sac de patates…. L’album démarre avec un rideau d’éclats de rire sardoniques, entre nef des fous ou un dernier banquet. Le ton est donné et l’expérience s’annonce déjà amère et grinçante, que les passages soient tout de retenue feutrée ou explosent dans une orgie de grognements exutoires. L’inconfort est de mise, à attendre le pire à venir, surtout pendant les passages les plus déliés au groove délicieusement jazzy. Et l’équilibre est parfaitement maitrisé dans cette mise en place ou soufflent le chaud et le froid jusqu’au paroxysme en forme de point de rupture avec le Wharf Rats in the Moonlight. Ce serait presque cliché de dire que Mamaleek est au sommet de son art ; et malvenu vu que les albums se succèdent pour ne finalement ne pas se ressembler, suivant cette ligne aléatoire et casse-gueule d’une exploration qui débouche sur des horizons au terreau instable dont personne ne sait si on s’en sortira vraiment entier. Car quelque soit son incarnation, de la plus radicale à la plus accessible (comme avec notre Diner Coffee…), Mamaleek reste un groupe de bêtes de scène qui vous crache à la gueule sa passion, sa rage et ses doutes. Un groupe qui a fait de son introspection le moteur de sa confrontation permanente. Alors venez et voyez : pour le reste, on en discutera autour d’un café après diner….

 

L'Un.

MAMALEEK : "Diner Coffee (TheFlesenr. 2022)