lundi 26 septembre 2011

Peter Brötzmann: Full Blast

Quarante années d'activisme free forcené du pourfendeur de anches allemand à la discographie pléthorique.
On entre sans transition dans son jazz cathartique à moins que ce ne soit lui qui nous rentre dans la gueule.
Ce pour tout prologue...tout comme au temps du manifeste coup de poing  Machine Gun, avec les électrons excités de la scène européenne d'alors (Han Bennink, Fred Van Hove, Derek Bailey...)
Pourquoi daigner déposer les armes quand la cause est une quête absolue ? L'héritage maudit du défunt  Albert Ayler  auto-approprié n'a  cessé de hanter son phrasé et sa syncope, de consumer son âme et nos oreilles.
Cri primal : l'instant pour l'instant, le bruit du bruit et la colère vacante. C'est le seul leitmotiv inlassablement colporté et hurlé, tout au long de ces 4 décennies d'activisme sonique. Politique du moindre mal quand on a que la rage aux tripes.

Peter Brötzmann a su éviter l'écueil de la répétition et du déjà vu (le monde de l 'improvisation radicale restant confidentiel, on a vite fait le tour de ses partenaires ) en se flanquant deux Helvètes jeunes et furieux à ses côtés qui manient la rythmique comme d'autres se jouent des failles sismiques à grande échelle.

Et c'est peut-être la vraie surprise du disque.
Peu connus mais très fréquentables, le bassiste Marino Pliakas et le percussionniste Michael Werthmueller (qui a joué au sein de l'inclassable quartet jazz-hardcore ALBOTH! ), représentent certes la relève, et surtout collent parfaitement aux sinusoïdales des saxes (alto, ténor et tarogato sur cet album) en appliquant un style percussif, dense et bruitiste qui s'inscrit souvent dans l'énergie incandescente du rock,  voire de la noise ou d'un métal violent et radical, sans pour autant tomber dans une séance de lifting commémorative de LAST EXIT, le projet « rock » du vieux renard de la Rurh.
On ne peut en revanche s'empêcher  de comparer la formation au CASPAR BROTZMANN MASSAKER ( le fils, qui déconstruit  la guitare comme le père dévore les anches du saxo ; atavisme, atavisme... ). Voilà pour le rapprochement, bien que l'on reste toujours dans l'idiome du jazz, si on admet que cette musique est une ramification ténue du jazz, et si ceux-là même qui pratiquent l'improvisation reconnaissent leur ascendance.
On est à la croisée des genres, chemins et générations, avec une idée plus précise de ce que se devrait toujours d'être ce genre de musique si on prenait plus souvent la peine de se faire saigner les oreilles.
Un peu.
Voodoo jazz...

L'Un

mardi 20 septembre 2011

PATRIC CATANI

En train, après une soirée mouvementée, quelques échanges avec Patric qui, sous le pseudo Candie Hank, a mis une claque aux fans de rock et d’électronique, ainsi qu’aux fêtards du samedi soir qui n’ont pu faire que danser : ça se passe comme ça au pays de Candie.

S:Comment te situes tu par rapport à d’autres groupes allemands de ta génération ?
PC:Pas de positionnement politique ni militant. Je trouve que ce type d’attitude te sectarise ; on est pris au piège de ses idées. Donner son avis sur un événement particulier peut souvent être pris pour une généralité ensuite. Comme un mode de pensée global même. On retire du contexte.
Et deuxième problème c’est que tu es ensuite complètement prisonnier de ça, on t’a donné un profil, une étiquette, et on pense que ton avis ira dans tel sens.

S:Ton attitude actuelle avec ce positionnement ?
PC:J’ai pris du recul. Je ne m’intéresse pas à ça, ce n’est pas mon job. J’ai vu et entendu tellement de mecs issus du punk, militant, alternatif, se planter. Et puis tu es contraint de te mettre en avant, comme un donneur de leçon. C’est flippant.

S:Comment tu as évolué ?
PC:Etre adulte !
Et rigoler !
Voilà un bon mix ! En fait, j’ai opté pour la musique parce que je ne peux faire que cela pour être bien. C’est nécessaire. Et ça ne m’empêche pas de faire des choses en plus.

S:Un bien nécessaire !
PC:Oui indispensable à l’équilibre. Alors j’ai fait beaucoup de choses, rencontré beaucoup de gens. Ça m’a été super profitable : depuis le premier remix de Mouse of Mars, j’ai testé plein de choses. Je ne suis plus dans le breakcore, comme du temps de EC8OR ; le hardcore, mais j’aime le gabber, et fait avec les Puppetmastaz du hip hop avec de l’humour.
J’ai appris à écrire avec cet humour, j’ai appris à me détacher du pesant, du sérieux. C’est juste de la légèreté, de la musique !

S:Et c’est universel !
PC:Oui et j’aime renouveler ma manière de faire de la musique : comme le précédent Candie Hank (Groucho Running) était d’inspiration polka, j’ai donné ce que j’avais à faire là dedans. Maintenant je change rythmiquement.

S:Oui ton set avait d’anciens morceaux, mais les patterns n’avaient plus grand-chose à voir ; on les sentait mais elles étaient recouvertes par de nouvelles, plus directes.
PC:Oui et je ne sais pas où je vais aller ; certaines fois c’est la rencontre avec un matériel qui va enrichir mon set. Et puis les rencontres humaines.
Un nouveau Candie Hank est en préparation, sans délai pour l’instant. Et je sors des jets, albums, mix qui sortent sur bandcamp ou autres (sous Patric Catani ou d’autres pseudos) ; c’est du direct, tu prépares et dès que c’est prêt tu le livres pour passer à autre chose.

S:On a vu ces dernières années une accélération incroyable : avant un album mettait plusieurs mois de préparation, d’enregistrement puis des mois d’attente pour la sortie. Maintenant tu fais la musique et tu l’enregistre en même temps : et le lendemain tu le mets en vente en ligne, c’est incroyable.
PC:Je vis en ce moment un truc comme cela : mon précédent album sous mon nom Catani est fait depuis l’été 2010, on est en septembre 2011 et il n’est pas encore sorti, le label attend « le bon moment » : du coup, je suis passé à autre chose, je ne le jouerai pas en concert, pas la peine.
Je l’ai déjà bien joué !

S:Actuellement tu es sur Driver & Driver, duo avec un batteur.
PC:Oui on a sorti un album, tourné un peu, ça se rode petit à petit. On prend nos marques et le courant passe vraiment bien. Je pense que l’on va bosser un petit format, maxi ep ou mini album, pour bien poursuivre et assez rapidement ! C’est essentiel pour aller au bout du projet.
Mais tout ça en restant loin du concept de groupe. Rester libre de ses choix pour aller là où l’on veut. Rien n’est pire que de faire les morceaux dans le même style parce que l’on a un nom et un cadre.

S:Comme le militant que tu décrivais tout à l’heure.
PC:Je ne me serai pas vu faire les albums à la suite avec le même son ; l’envie du moment va dicter la forme.

S:Et les bandes son ?
PC:Oui un peu d’installations sonores, et des collaborations sur des petits cours métrages. Là je suis sollicité par un réalisateur italien pour un long métrage de fiction : c’est un film un peu suspense, frisson, horreur…très italien !  Ça se fait en décembre – janvier 2012. C’est la première fois que je fais dans ce format, j’ai la pression, ça va être sur peu de temps, mais je vais aller en Italie et bosser en direct avec le réalisateur. Il est cool, on va bien rigoler, ça va être très agréable.

S:Ton cadre de vie ?
PC:A Berlin. Je suis entouré par une vie grouillante de propositions ; là bas tu fais des choses, même extras, mais c’est assez banal. Ça te demande vraiment plus d’originalité dans ce que tu fais. C’est dur, mais très amusant, les gens proposent beaucoup de choses. C’est dément ! Ça me permet de faire plein de rencontres aussi.

Pour clore, on a parlé aussi de bending, d’ajout de ces petites machines et d’électroniques dans nos sets, et de quelques groupes passés et présent jusqu’à l’arrêt du train…

L’Autre

Quelques projets auxquels il participe ou a participé pour vous aider à trouver des liens sur la toile. Enjoy !

Site perso, menant vers toutes ses réalisations :
Ec8or, groupe avec Gina des Cobra Killer :
Live des Puppetmastaz :
Installation sonore Lemniscate :

mercredi 14 septembre 2011

PSYCHIC PARAMOUNT : II


C’est un plaisir que d’écrire sur ses passions, ses coups de cœurs, ses moments intimes de rencontres artistiques. Et celui-ci est accru de façon cavalière, lorsque l’envie d’écrire sur un groupe recoupe celle de mon binôme L’Un. Ce n’est donc pas une chronique croisée mais une chronique écho aujourd’hui, sur Psychic Paramount, né des cendres des Laddio Bollocko.
Leur dernier album et la promesse d’une tournée prochaine m’ont poussé à sortir quelques lignes pour dire tout ce que je pense de ce phénix. Rock avant tout, lyrique sans emphase, juste le versant poétique du lyrisme, le trio est l’affirmation sans cesse renouvelée que cette famille musicale trouve son efficace expression à trois : basse-batterie-guitare. Je n’ai rencontré ce groupe que dernièrement, mais ils en sont déjà à leur quatrième sortie ; d’ailleurs j’ai de grosses difficultés à savoir si le titre est éponyme, ou parallèle, ou un début de guillemets, ou deux ii majuscules. On s’en fout pas mal.
Originellement formé en France, le premier album est le fruit de morceaux enregistrés en tournée, volonté farouche de montrer leur versant sauvage, live, énergique, issu de leur précédent groupe. Un double album d’essai en solitaire du guitariste peut être vu comme une ébauche (Origins & Primitives). Nous en sommes donc au véritable deuxième album, ce qui est au final la solution au titre de l’album. On s’en fout toujours un peu mais on est content d’avoir la réponse.
Parlons musique, car à par l’énergie, la qualité de réalisation des compositions fait penser à Battles par exemple et est assez irréprochable à mon avis: mélange mature de rythmiques légères aux sons cristallins, d’envolée noise aux guitares acérés, mélange de différents rythmes pour mieux engendrer une transe à l’écoute, on navigue entre le post rock d’Explosion in the Sky, le math rock, et autres avatars riches en émotions. Ils travaillent dans l’efficacité, sans chercher d’effets inutiles, sans chercher à charger la mule d’encombrants accords ou harmoniques inutiles. Ils nous livrent leurs compositions dénuées de paroles, ni même de voix. Le champ d’interprétation reste ouvert, d’autant qu’ils ont attribué aux morceaux juste des initiales et des chiffres, sauf pour le « isolated ». un écho à la pochette au visage polymorphe…
Au fil des écoutes, on se plonge au choix dans une rêverie, une contemplation, ou une danse frénétique, c’est tout cela en un même disque, une découverte continue d’une architecture proche du minimal, dans une ronde triangulation.

L'Autre

vendredi 2 septembre 2011

phillipe ROBERT " Musiques Experimentales : une anthologie transversale d'enregistrements emblématiques"

Enfin un livre qui traite de ces musiques oubliées, de ces héros artisans de l'ombre grands architectes invisibles de la cause perdue, si cause il y avait. Le vrai problème serait de définir ce terme par trop générique, véritable boîte à malices de ce qu'on ne sait nommer, ou repoussoir vaguement intimidant pour le commun des audiophiles qui du coup n'auront pour alternative que de qualifier tout ceci de truc pour intello.


La démarche de Philippe Robert n'est pas d'en donner une définition précise, mais d'esquisser les contours imprécis de cette attitude face à la musique, plutôt que genre musical.
Au fil d'articles qui respectent la chronologie de ce bouillonnant 20° siècle, sont passés en revue des compositeurs, artistes, musiciens que l'auteur aura jugé essentiels et particulièrement pertinents pour illustrer le propos de l'expérimentation dans le champ musical. Il en ressort que celle-ci est le plus souvent technique ou théorique. Dans d'autres cas, elle résulte d'une démarche avant-gardiste, décalée voire incomprise. Entre ces deux lignes d'abscisse et d'ordonnée se positionnent quelque part, les météores, les ovnis aux trajectoires singulières qui n'appartiennent qu'à eux-même. Certains s'inscrivent dans une lignée, une descendance, une fratrie, et d'autres semblent sortir de nulle part.
Il est possible d'ergoter à l'infini sur le choix de tel ou tel artiste plutôt que d'autres, mais Philippe Robert propose suffisamment de liens, des références croisées et autres filiations plus ou moins bâtardes pour élargir le propos et inviter à continuer l'exploration.
La liste est ouverte, le mouvement protéiforme et les ramifications infinies, jusque dans la musique dite « populaire » ou « commerciale » (que penser de certains Pink Floyd, de Jean-Michel Jarre, des derniers Radiohead, de tous ces groupes « pop » qui insèrent des techniques de sampling, de collages sonores).


Si la lecture de ce livre flatte l'amateur averti, il est à craindre qu'elle ne dissipera pas ou pas assez l'épais brouillard que prétextent à tort ou à raison les non-initiés. Et ce n'est pas la préface enflammée mais peut-être un peu hermétique de Noël Akchoté qui les convaincra du contraire. Cet ouvrage s'adresse à un public confidentiel, curieux et/ou déjà acquis à la cause ; car cause il y a.
Au moins certains apprendront-ils que Glenn Branca est une influence majeure de Sonic Youth, et que ceux-ci adorent tout particulièrement le free-jazz. Que la musique techno doit peut-être beaucoup à Pierre Henry et Schaeffer, ou encore à Robert Moog, ou qu'un certain Luc Ferrari se passionnait plus pour la matière sonore que le sport automobile.
Les autres feront juste un pas de l'autre côté.



L'un