mardi 30 avril 2013

AUTECHRE: Exai



Passant par Périgueux, je me suis retrouvé dans le très achalandé magasin de disque local, indépendant, et regorgeant de vinyls…quasi du sol au plafond. Dans ces conditions, le tôlier de La Démothèque m’a vu venir vers la caisse avec les bras chargés de galettes et du coffret du dernier Autechre, onzième du nom.
Le duo anglais s’est fendu de deux heures de sons sur ce coup là, deux heures comme un hommage à eux-mêmes tant le soin apporté à la dite chose est évident, alliant  le délicat, soyeux, envoûtant avec la complexité et l’atmosphérique combinés. Cela m’a amené à reprendre la plume, une fois l’objet posé délicatement sur la platine, et le coffret sur le canapé ; 4 vinyls le composent donc, les pochettes recouvertes d’un graphisme d’inspiration numérique, pixels à la loupe assemblés tels les pièces d’un puzzle taille enfant.
Ces visuels répondent habilement au jeu de pistes que sont ces 17 morceaux. Ils sont narratifs avant, pouvant facilement s’imaginer accompagnant des images. Illustrations tout de même d’un monde complexe, les architectures des morceaux fonctionnant sur des accumulations de sons digitaux, de samples de voix ou de pianos très filtrés, et s’autorisant des dérives rythmiques extrasytoliennes, ou envolées jazzys de 0 et de 1 devenus flous.
Cet album s’écarte de folies passées, en restant sur des tempos raisonnables, sans lorguer non plus de façon putassière comme d’autres vers le dubstep. Les longueurs des plages s’accordent avec ses rythmes douces, bien que d’arythmique apparence, et le voyage est réussi de bout en bout.

L'Autre

vendredi 19 avril 2013

THE STORY OF CRASS (not Clash !)


Remettons un peu les choses à leurs place : CRASS c'est une maison à la campagne plutôt qu'un groupe de rock urbain, une utopie plutôt qu'une musique, le do it yourself interrogeant un show must go on moribond. L'histoire du collectif pionnier de ce qu'on appelé par la suite anarcho-punk a commencé bien avant leur premier disque, derniers hippies avant de figurer parmi les derniers punks s'il en est. Le journaliste George Berger redonne la parole aux protagonistes en tant qu'individus avec leurs parcours respectifs et sort du strict cadre de l'existence du groupe en tant que tel pour inscrire sa genèse dans le contexte social ambiant. CRASS est plus un aboutissement de pensées et d'attitudes que la vague punk 77 aura cristallisé sous cette forme musicale sur une période de 7 ans. Le môle originel autour duquel toute l'histoire gravite est formé par Penny Rimbaud (batterie, poésie), très vite rejoint par Gee Vaucher (visuels, arts plastiques) qui en 1967 tente l'expérience communautaire autour de The Dial House, une maison ouverte à la créativité de toutes et tous, l'espace d'une nuit ou d'une vie, dans la mesure où le désir de vivre autrement coïncide avec celui du reste de la communauté, ce sans règles établies . Se greffent des projets artistiques avec les performances dadaïste (ou Cagiste ) d'EXIT, ou l'organisation malheureuse d'un open-festival à Stonehenge. Quasiment tous les membres seront à un moment ou un autre passés par the Dial House dans les années antérieures à la formation du groupe. L'explosion du mouvement punk avec sa  liberté de ton formelle (je PEUX faire quelque chose même si je ne sais pas jouer d'un instrument) a été le déclencheur puis  le vecteur approprié pour canaliser les énergies et faire passer les idées chez un public moins confidentiel tout en restant farouchement autonome et intègre Leur morceau parmi les plus connus, "Do they owe us a living" était à l'origine un simple duo voix-batterie ; on leur a collé par la suite un guitariste ne sachant forcément jouer, un bon bassiste, le 2° guitariste, le plus important restant peut-être les voix féminines hantant les 2 premiers albums pour tirer l'entière couverture sur le 3°.
La suite appartient à la légende de la petite histoire écrite de la musique populaire , et CRASS en tant que tel aura cessé de fonctionner en 1984, clin d’œil délibéré à George Orwell d'un groupe usé par une intransigeance politique ou chaque mot ou attitude devenait sujette à d'interminables débats internes, et où l'entité du collectif CRASS comme mode de vie permanent avait fini par prendre le dessus sur les identités propres des individus la composant. Un groupe  miné par une stratégie politique qui l'aura amené à lutter frontalement contre le radicalisme quasi-hystérique et ravageur de la Thatcher de la guerre des Malouines ou des grèves de mineurs. Des gens fauchés, harassés par la police, fatigué mais pleinement heureux de l'expérience, que certains auront prolongé, ne serait-ce que par la vie au sein de Dial House (toujours existante au prix d'énorme sacrifices financiers), ou par divers projet musicaux ou artistiques multimédia.  La musique mise de côté  on retiendra de tout ça un farouche esprit d'indépendance de personnes somme toute dissemblables mais simplement désireuses de vivre jusqu'au bout leur désir de faire quelque chose ensemble. Rarement à l'époque un groupe n'était allé aussi loin dans la dénonciation des fondements patriarcaux, religieux et économiques de la société anglaise/occidentale d'alors. Inquiétant pour l'establishment d'alors (qui les prenait très au sérieux), l'expérience de CRASS reste un modèle (indépassable ?), source d'inspiration chez de nombreux musiciens et jeunes activistes, même si au bout du compte, très peu de nos jours sont capables de vivre pareille utopie avec autant de passion et d'honnêteté.
Livre documenté (à commencer par le point de vue des protagonistes eux-même), ambitieux et captivant, on peut légèrement regretter que l'auteur n'ait pas élargit le contexte dans laquelle l'histoire du groupe s'est inscrite, en établissant par exemple un parallèle évident avec le collectif hollandais de The EX ou encore des labels comme Dischord par exemple... Euh... on peut aussi regretter que l'ouvrage ne soit pas traduit en français, mais nul doute que tout le monde lit couramment l'anglais de nos jours : of course we fuckin' do !

L'Un.

THE CRASS STORY par George BERGER (Omnibus Press. 2nde ed° 2008).

on peut aller plus loin avec le documentaire "there is no authority but yourself" (toujours en anglais, sorry). Un ou deux morceaux emblématiques : l'hymne "Do they Owe us a living", "white punks on hope" et "Systematic death" extrait de Penis Envy, premier brûlot féministe de l'histoire musicale (??).
Peu de gens se sont essayés à reprendre CRASS mais étonnamment, le folk foutraque de l'américain Jeffrey Lewis donne un résultat sympathique et on a pu l'entendre dans les rangs du mouvement Occupy Wall Street à New York en 2011 ; les temps changent, pas les combats.

jeudi 4 avril 2013

WOO : It's cosy inside

Drag City doit vivre une crise de totale empathie avec notre époque un rien fadasse pour nous proposer pareille réédition des fagots, trésor que les années 90's auront jalousement caché, boudé, ignoré. Même l'hydre internet et ses vendeurs de musique en ligne au kilo sont avares en confidences sur ce petit groupe qu'une époque forcément faste et révolue aura engendré dans un petit coin paisible du monde, à l'abri des regards. WOO (ou Woo Collective, les deux appellations se tiennent) est un duo de frangins anglais, doux-dingues rêveurs et trop discrets, ayant troqué les feux de la rampe pour le confort du grand  Intérieur : musique de chambre au sens le plus littéral du terme, précisément quelque part entre la chambre... la cave et le grenier, avec cet air désuet de musique pour radiocassette, hometaping is (only) making music... Palette réduite d'instruments écrasés en nappe par les pédales d'effet, le tout passé en boucle histoire de faire (quasiment) sans boîte à rythme. It's cosy inside, c'est cette fraicheur désarmante d'une innocence bricolée dans une piaule de post ado avec 3 bouts de ficelles, un soupçon de Fred Frith en maraude et quelques postillons d’un  j’menfoutisme de rigueur. Naïveté désarmante car exempte de tout calcul. Point en filigranes une certaine nostalgie ; celle d’un monde qui n’aura jamais vraiment existé que là, dans la flaque d'eau sous vos pieds, à la tangente de leur exact opposé. Roboratif antidote au stress de la merde du quotidien et à l’oblitération qui nous guette. Parce qu’en écoutant ce truc, on est déjà un peu ailleurs à tourner en rond sur soi-même, contemplant ainsi ses chakras éclatés se tirer la bourre. Reggae lysergique pour trip cosmique de fond de jardin ? Mysticisme goguenard d’une musique Eno-friendly qui s’ignore :  we love Woo !  On est pas bien là ?

L'Un.

WOO COLLECTIVE : "It's cosy inside" (DragCity. 2012)
pas mal d'extraits sur leur site (et aussi sur YouTube)