dimanche 19 février 2023

Bill LASWELL & Ulf IVARSSON "Nammu"

"Comment rendre compte d’un élan mental qui peut emmener au-delà de tous les horizons connus ? Comment rendre compte des bouleversements les plus profonds de l’espace subjectif, par exemple lors d’une rencontre érotique ? Comment naviguer le plus loin possible, pour ouvrir les contrées les plus vastes, selon une extension optimale de la présence ?" (A. Plagnol)

 

En ces temps de morosité pâlotte et de rockers gras autosatisfaits, se caler un disque de Bill Laswell sur la platine, c’est comme s’ouvrir une bouteille de bon vin en loucedé un soir d’hiver : un ticket pour une évasion à bon marché. Un truc rassurant en somme, et probablement trop typé même, lorsque le vin est passé dans des fûts avec des copeaux de chêne. Mais c’est peut-être ce genre de petit confort mesquin et de certitudes gratuites qu’on recherche, comme d’autres goberaient leur madeleine de Proust avachis dans un fauteuil élimé. Un rapide résumé du bonhomme s’impose : plus pour le plaisir de dresser un portrait imposant que pour rafraichir les rares mémoires encore engourdies… Un parcours qui a commencé dans l’effervescence des scènes new-yorkaises du début des années 80 dans le fameux studio de Martin Bisi. Des obsessions pour le dub, le free qu’il cultive à la manière obsessionnelle et prolixe d’un John Zorn (avec qui il collaborera maintes fois), et de l’autre côté une patte de producteur, d’entremetteur, et un goût immodéré pour les plongées immersives et ambiantes voire « mondialistes » à la manière d’un Brian Eno. Ouvert à toutes formes de collisions sonores, son radar embarqué parcourt la Grosse Pomme toujours à l’affût des nouvelles tendances qui émergent de la rue. Difficile d’énumérer les projets de ce sorcier de l’œcuménisme et maitre des infrabasses. On peut citer en vrac des projets comme Axiom, Material, Praxis, des « supergroupes » à la Massacre, Painkiller et surtout Last Exit et autres participations dans des trucs comme  Dark Side of the Moog, The Blood of Heroes… La liste reste incomplète et ouverte.

Et Nammu là-dedans ? Collaboration des plus récentes, fruit d’une rencontre avec Ulf Ivarsson, bassiste lui aussi de son état, et bercé au son de Laswell durant sa jeunesse…. Ces deux-là outre un instrument électrique à 4 cordes avaient visiblement pas mal de choses à se dire, même si cet album pourrait presque être un concentré de la biographie de Laswell : quatre longues plages sonores qui délivrent un dub solennel chaleureux dont l’omniprésence enveloppe des excursions maitrisées en terres inconnues ou parallèles. Une touche de free, un soupçon de noise noyé dans un marigot ambient de fausses hésitations louvoyantes aux échos vaguement orientalisant. Certains patterns rythmiques ne sont pas sans rappeler sa période drum n’ bass, d’autres passages invoquent fortement un Last Exit embryonnaire. La production est au cordeau avec la part belle pour des basses à l’amplitude ronde, mais non exemptes de résonances acoustiques. Le projet est éléphantesque, à emprunter les voies d’un jazz cosmique au groove profond. En la compagnie de ces deux adeptes de la transcendance sans retenue, on accomplit un voyage au cœur même de la matière en fusion, un trip psychédélique en tapis volant sans autre drogue que la curiosité d’oreilles avisées. La classe à 2 fois 4 cordes….

 


L'Un.


Bill LASWELL & Ulf IVARSSON "Nammu" (Ropeadope. 2022)


 

 

 

mardi 7 février 2023

CoH meets ABUL MOGARD

 “Ne te sers pas de la technologie comme d’un substitut à la chaleur humaine.”
 
 
 
(et encore) un disque de rencontre : deux personnalités bien trempées qui œuvrent depuis pas mal de temps déjà sur les marges en pente raide des musiques électroniques. On passe la falsification autour de l’alias Abul Mogard pour se concentrer sur sa dark ambient de haute volée avec une granulation que l’on imaginerait analogique à souhait (sans réelle certitudes vu le brouillard de mystère qui plane autour de ombre)…. Le suédois Ivan Pavlov aka CoH est lui une parfaite illustration du label Editions Mego avec son électronique ultra conceptuelle et minimaliste (à souhait aussi…). Mention spéciale pour « liron » qui déconstruit méticuleusement des gros riffs de métal ou le MUSIC VOL. qui réduit ses fréquences à des simples filaments volatiles et espiègles. Ce disque est capable de brouiller comme d’ouvrir les horizons des chemins qu’il se propose de traverser. Les frontières sont transgressives et ténues à souhait, oscillations instables entre une ambient vaguement technoïde, des rugosités magnétiques et autres coulées de boues digitales. Quatre longues plages qui étalent les reptations de masses sonores discrètement mutantes. Austère sinon altier, les grésillements de ce brouillard accumulé prennent toute la puissance d’une lame de fond statique. Loin des effets de manche ou d’une plongée dans les affres du clinquant des toutes dernières techniques de studio : tout tient dans une retenue finement maitrisée. Telle une I.A désincarnée en plein deep learning, CoH & Abul Mogard proposent une retranscription clinique de leur vision froide et distante du fait sonore, avec ce qu’il faut d’illusion analogique pour réchauffer les cœurs et balayer temporairement cette sourde menace qui parcourt l’ensemble de l’album. Si les analogies sont à chercher vers les pionniers habituels des expérimentations ardues et minimalistes de l’électronique, je pencherais  davantage vers les paysages cinématiques et désertés du récent The Bug Vs Earth pour ranger l’album sur mon étagère...

 

L'Un.

 

CoH meets ABUL MOGARD (Houndstooth. 2022)