dimanche 31 juillet 2011

FRANCIS FALCETO / ETHIOPIQUES / TERP RECORDS


Les Ethiopiques, coup de cœur, ou comment effectuer un rebond professionnel en tout point profitable…
Pourtant tourné vers l’extérieur depuis ses programmations au sein d’une salle rock comme on les qualifiait alors (l’après-punk, l’avant Smac), il ouvrait ses soirées aux musiques du monde, à l’expérimentation, au noise, au free. Ouverture parfaite pour avoir de l’avenir dans ses oreilles hardies : Francis Falceto, comme quelques autres, ce n’est pas question de génération, juste de clairvoyance et de curiosité, se donne les moyens de sortir du formatage programmé. Il se permet ainsi des rencontres prolifiques, loin du tintamarre médiatique. L’Ethiopie se donne à lui lors d’un voyage, et depuis 1985, et notamment avec la rencontre de Ahma Eshèté, producteur de nombres de perles historiques, découvre la chaleur des rythmes abyssiniens.
Cette entente avec Ahma Records (existant depuis 1969) est déterminante pour ouvrir les portes de la réédition, et la collection Ethiopiques naît pour valoriser la période de fin des années 60 à fin 70. Il recense près de 500 disques étant sortis, le travail d’archive puis d’exhumation démarre. Trouvable à prix modique, le panorama "éthiopiques" nous fait frémir jusqu’au bout des jambes : Mahmoud Ahmed est l’un des plus connus, utilisant sa voix au sein de l’Imperial Body Guards (ethiopiques vol 26), puis voyageant et expérimentant avec des musiciens du monde entier, de Boston à Amsterdam comme le saxophoniste Getatchew Mekuria (vol 14). Tous ces fantastiques musiciens ont éclusés les bars et boites d’Addis Abeba, tous les week end comme partout ailleurs dans le monde à ce moment là, insouciance d’une jeunesse que la musique anime. Expression singulière de l’isolation vécue par les éthiopiens et qui leur ont conféré cette particularité musicale.

C’est le film de Jim Jarmush, Broken Flowers, et les morceaux de Mulatu Astatké, qui va permettre à ces artistes d’être réécouté des jeunes générations. La musique au service du cinéma, et le cinéma qui lui rend bien : la collection Ethiopiques prend place sur Buda Musiques, et va favoriser dans les années qui suivent les tournées de nombres de musiciens.
Alemayehu Eshèté (vol9), autre vocaliste, est affublé d’une comparaison avec James Brown : ce plus sage et moins dictatorial que l’icône (mais mon avis c’est que ses pattes et les pattes deffs y sont pour beaucoup dans la comparaison), est un digne représentant d’une tendance entre jazz et rythm blues. Plus en détails, on peut dire que le mélange intègre aussi la soul, et les musiques traditionnelles, pour constituer l’éthio-groove. Malheureusement, encore une fois la dictature va avoir raison de la culture populaire : 25 ans années seront nécessaires à l’exhumation…pour sortir de l’ombre des orchestres militaires !
Les alliances de certains avec des musiciens d'horizons différents les rapprochent et ne cessent de m’en rapprocher. Pourtant de culture rock, le tempo souvent soutenu, les gimmicks de guitare jouant entre rondeur et sautillement, tout construit une transe qui va au-delà de tous styles, vers tous les auditeurs : une espèce d’universalité du frisson, un langage du rythme qui ne demande pas à être traduit, une intériorité mélodique partagée quelle que soit notre histoire musicale personnelle.

Enfin j’ai vu récemment en concert les Impérial Tiger Orchestra, groupe suisse virtuose (si–si !) pratiquer « l’éthio » avec leurs tripes, et transmettre ça au public trépidant. Un prolongement salutaire digne de pionniers comme mr Mohamed Jimmy Mohammed (terp african serie n°10) qui m’avait hérissé les poils lors d’un fantastique concert avant de tirer sa révérence : assis sur son siège, ses yeux blancs tournés vers le fond de la salle ou vers le ciel, il semblait puiser ses paroles dans l’ambiance formée par le public, au plus profond de chacun et à l’écoute des musiciens l’entourant, battant des mains, la jambe droite trépidante...sa voix pure flottant entre les instruments.

L'Autre

lundi 25 juillet 2011

Thomas Belhom: rencontre au Nadir, à Bourges


FM : après ce concert intimiste de ce soir, peux tu nous qualifier ta musique et nous parler de ton parcours ?

TB : qualifier ma musique est toujours quelque chose de difficile pour moi car je suis dedans ; j’ai toujours cherché à sortir des cadres, de ne pas me répéter d’un morceau à l’autre. Dernièrement, quelqu'un m’a dit que j’étais « romantique ». J’aimais bien ça, mais c’est vraiment provisoire !
Mon parcours, c’est assez long car je ne suis pas tout jeune : il a pas mal serpenté, c’est un parcours de voyageur, puisque j’ai été amené à vivre à la frontière du Mexique, y fonder ma famille, femme, enfant…dans ma rue habitait Joey Burns de Calexico: un Français, Naïm Amor, me l'a présenté et du coup nous sommes partis en tournée avec eux; je faisais des maracas, des triangles, en 95-96, il y a longtemps !... A cette époque avec Naïm on a travaillé à la bande son d'un film de Marianne Dissard; à la suite, nous avons monté un duo, Amor Belhom Duo ; on a tourné beaucoup, en France et dans le monde entier, jusqu’à l’arrêt après une tournée avec Miossec qui a duré des mois et des mois.
C’est pas Miossec, il n’y est pour rien !...quelqu’un a fait passé ça un jour, mais je l’aime beaucoup, sa sensibilité, il n’y est pour rien !...mais ce n’est pas la question !!!

FM : ce n’était pas de tout repos, non ?

TB : ça te prend la santé quand même, c’est un phénomène ! Tout ça pour dire qu’on a une histoire avec la France ; on avait un label aux Etats-Unis (Carrot Top : label de dark-country, comme Handsome Family…) et un en France, on était chez Ici d’Ailleurs (Yann Tiersen). D’ailleurs, avec l’argent que Y. Tiersen rapportait, le label finançait des petits groupes comme nous.

FM : c’est bien ça, que des groupes moins connus, des groupes en création…

TB : le mot création, oui... et par rapport à cet endroit, le Nadir (salle gérée par l’association Emmetrop, à Bourges, ndr), je vois un ensemble, il y a le programmateur, l’association, la salle, des locaux de répétition, des labos et ateliers, un bâtiment avec des arts plastiques (le Transpalette, ndr), tout un ensemble de gens, j’aime beaucoup ce genre de lieu, et ça me touche beaucoup de jouer ici, en dehors du Printemps de Bourges. Le PDB, je n’ai rien contre son existence, mais Emmetrop montre que l’on peut aussi exister ailleurs et autrement à Bourges. Ça ne me parait vraiment pas évident. Le PDB c’est la diffusion, c’est le coup de projecteur uniquement ; alors que la création, c’est les résidences, le côté laboratoire, le côté permanent, ça c’est la vraie culture, la culture du quotidien, la vraie.
Car aujourd’hui, c’est la signification de culture qui est galvaudée : quelquefois, c’est synonyme de loisirs quasiment, comme aller au musée…mais la culture, les gens peuvent se l’approprier, la faire. Pour tous et par tous. Ça me tient à cœur, aussi pour les enfants, l’avenir. C’est donc plutôt ce qui est dans l’ombre qui me touche plus. Qui m’éveille.
Le coup du projecteur, oui, j’en ai profité à une époque, je sais plus avec qui d’ailleurs, c’est utile aussi.

FM : le coup de projecteur, ça peut aider à un moment, être devant les médias, les professionnels, se faire connaître...

TB : oui après on peut prendre plus de temps et rentrer dans les détails mais ça va être plus abstrait et plus philosophique. Parce que ça vise quelque chose qu’on appellerait le succès ou quelque chose comme ça. Il y a une idée du succès déjà à l’avance. Or, peut-être que l’on cherche d’autres choses quand on est musicien. D’autres choses que d’être une star, comme les gens pourraient le penser… De toute façon, je ne pense pas que l’on puisse décider d’être une star. Je crois que c’est des trucs complètement absurdes. C’est vrai, il y a des jeunes, très jeunes même, qui disent que le métier qu’ils veulent faire, c’est star, être une star ; c’est vrai que c’est pas idiot, quand t’as 14 ans. A la limite, c’est chouette comme métier ; mais c’est tellement abstrait, ça ne veut tellement rien dire, c’est touchant de naïveté.

FM : c'est-à-dire que star, c’est synonyme de gagner de l’argent, d’avoir une belle vie…

TB : oui, et bien ça avoir une belle vie, j’espère que c’est un rêve qui n’est pas un privilège de star, tout le monde a cette ambition quelque part au fond de lui. Avec tout ce qui va avec. Et il y a tout un discours les artistes et l’art, qui me …il y en a partout de l’art, et l’art ce n’est pas facile à réaliser. On cherche, on passe beaucoup de notre temps à chercher à le faire, on est des chercheurs. Et quelquefois on trouve, il y a des moments de grâce, et c’est pour ça que l’on continue !
Après toutes ces heures et ces jours, il y a beaucoup de pratique, c’est indispensable et complexe, c’est pour cela que je disais que ça dépend du temps que va durer l’interview !!!

SL : tu parlais de ton parcours tout à l’heure, ce qui te caractérise, c’est ton côté arpenteur : tu as beaucoup bougé géographiquement, pour rencontrer des gens, ce qui est une des matières premières des musiciens, et des créateurs en général. Tu l’as fait sur un territoire assez proche, mais aussi loin, Etats-Unis, tu as travaillé avec Tindersticks et beaucoup d’autres…

TB : c’est la période anglaise, ça c’est des gens qui sont venus vers moi. Quand Stuart est venu me demander de participer à la musique pour un film de Claire Denis, c’était Stuart, pas Tindersticks, avec Terry Edwards, ancien trompetiste de Madness, Tom Waits, Marianne Faithfull, Lydia Lunch…en trio, et puis évidemment, Stuart était comme un grand frère, il me prenait sous son aile, et essayait de m’aider surtout que je me mettais à chanter à ce moment là ; et trouver sa voix est difficile… !!!
C’était pas un coach, on a vecu ensemble, puisque les tournées des Tindersticks, c’était quelque chose…ils sortent un album et c’est un an et demi- deux ans de bloqués pour tourner, sur minimum trois continents ; ça te prend une grosse partie de ta vie, on est ensemble, c’est intense, à vivre quasiment ensemble tout le temps. Et en plus, dans les Tindersticks, il y a une élégance, une certaine pudeur, où l’on n’est pas là à se raconter tout le temps les choses, il y a une distance permanente tout en étant intimes. Pour parler franchement, on partageait un tourbus où il y avait 16 lits, c’est un des plus grands tour-bus d’Angleterre d’ailleurs, c’était même une galère pour le trouver. On était 16, et on faisait comme si on avait chacun notre appartement ; il y avait une grande pudeur, et j’aime beaucoup ça chez les anglais, une sorte d’élégance, oui ce sont des gentlemen, vraiment.

SL : nécessaire pudeur, tu parlais tout à l’heure de cessions marathon d’enregistrement en studio en Angleterre, et c’est vrai que si tu n’as pas une retenue et une écoute de l’autre importante, ça ne te permet pas d’aller au bout des choses, dans le travail.

TB : oui aller au bout des choses, j’ai appris ça avec eux, dans les Calexico également, il y avait ça. Avec David Grubbs aussi, Gastr del Sol, Jim O’Rourke…eux c’est différent, ils essaient de faire émerger : ils sont en terre inconnue, et ils essayent de maîtriser cette terre inconnue. C’est complètement…eux c’est…ils parlent avec les dieux, les dieux de la musique, ils essaient de les faire venir, il a quelque chose de vraiment curieux là dedans. Les Tindersticks, il y a quelque chose de très rationnel, ça a un côté ouvrier anglais ; les ouvriers de la musique, c’est les répétitions de 7h du matin à 23h…avec des pauses…de bières d’ailleurs…j’étais le seul à boire un café à 10h, ils sont tous à la pinte ! Arrivé à 23h, c’est des litres qui ont été bus, c’est incroyable de tenir comme ça, faut être anglais je crois ! Ou breton peut-être…
En tous les cas, il y avait un acharnement à obtenir ce qu’ils cherchent ; Stuart a une idée précise de là où il veut aller, et des fois on faisait 23 prises du même morceau où il déplaçait les micros de 2cm, « on va la refaire ! », ou changer une note : et on la refaisait une 27ème fois, et la prise qui se trouve sur l’album, c’est la 56ème…et effectivement c’est justifié au bout du compte. C’est presque comme de la transe, au début c’est dur pénible, et on dépasse ça pour se retrouver dans la matière même de la musique ; là ça devient autre chose, on affine !
Et il y a aussi tout un buziness derrière, où l’on a des journées bloquées pour enregistrer, il y a beaucoup de personnes, 16 avec les techniciens, un à Prague, moi en Arizona, un à Nashville, à Notthingham, les autres à Londres, une logistique !... C’est presque miraculeux ! Le fait de se lever le matin, se dire bonjour et d’être tous là ! On en est conscient, on a rendez-vous avec le miracle… si on y arrive pas, des jours c’est comme ça, on est dans le côté ouvrier de la musique. Je l’ai vu chez les anglais. Ils ne lâchent pas le morceau, ils travaillent, j’ai moins vu ça en France. En France, il y a d’autres qualités.

FM : de quels instruments jouais tu avec eux ?

TB : du vibraphone et de la batterie. Et des percussions aussi…et j’ai même chanté, il y a une chanson en français : au départ, j’avais fait une voix témoin pour que Stuart apprenne en français, mais ça a été une telle catastrophe, qu’il a décidé de garder la voix témoin dans la version finale sur l’album ! J’étais étonné ! C’est une chanson qui s’appelle « all the love », et il y a une autre version qui s’appelle « tout l’amour », avec Christine (Yann Tiersen, Radiohead) qui joue des ondes martenot.

FM : quels sont tes projets à venir ?

TB : plus les choses avancent et plus j’ai envie de faire du cinéma, de la vidéo. Ça sera dans 5 ans, mais je me prépare à ça. En ce moment je suis animé par le fait de rejouer en groupe car j’ai joué longtemps solo. J’étais aussi chauffeur, à partir dans le sud de l’Italie tout seul, et pour me motiver, je me disais « -combien de chauffeurs on la chance de monter sur scène tous les soirs ? -ah oui c’est vrai ! »…j’en pouvais plus !...
Et donc là je suis heureux d’être accompagné, en plus ce sont de merveilleux musiciens : Pierre à la guitare, Paul au tuba, Antoine au violoncelle, avec une bonne dynamique. Là-dessus se rajoute Alexandre, un performeur qui lance des vidéos que j’ai fait, et une danseuse hollandaise tout droit sortie des années 80 :  c’est cette équipe que je monte, mon projet. Plus Johann le Guillerm, un circassien, avec qui j’ai été élevé, nous travaillons des vidéos qui serviront. Il va interagir, on est en train de construire tout ça. Ça sera probablement prêt en Octobre 2011, mais j’ai un album qui sortira début 2012, et c’est avec ça que je tournerais.
Par ailleurs, j’ai aussi une composition plus musique contemporaine, sur le thème des maladies infectieuses : c’est un thème qui va s’infiltrer, se développer à la manière d’un virus, dans des structures rythmiques. Elle fait trois fois 20 minutes, et je la jouerai dans des lieux plus grands, comme avec le conservatoire de Strasbourg, nous le jouerions avec un orchestre philharmonique. C’est plus lié à des musiques de films.
J’ai fait par exemple des musiques de films de kung-fu, dont certains extraits sont dans Cheval Oblique, un album instrumental de percussions. Je tiens à préciser d’ailleurs que c’étaient des films japonais, alors que le kung-fu est chinois !!! Voilà, c’est juste ça !...

Longue vie à Emmetrop, tout ça c’est important, cet aspect laboratoire : les gens comme vous qui vont voir dans l’ombre. La créativité naît de cela, des processus, et des rencontres. Il faut être sensible à ça. Merci !

NDR:et merci à Thomas et Naïm pour leurs humanités.
L'Autre

et lire l'article de L'Un sur l'album Cheval Oblique 

mardi 19 juillet 2011

Au croisement d'Istanbul: 1ere partie

En ces périodes de pause estivale, il est peut-être temps de ressortir des poches percées, quelques perles glanées lors de  quelques courts séjours hivernaux dans la belle Istanbul, destination touristique de choix s'il en est. Ça ou bronzer idiot, le cul à l'air tartiné de crème à frire ; autant le faire avec un peu de musique...

Loin, très loin la prétention de dresser un tableau exhaustif de la musique turque. Pour ça, il y a des médiathèques de quartier aux rayons bien fournis et des petites échoppes à kébab qui se feront un plaisir de vous fourguer les derniers titres de pop turque aussi fondants que le loukoum national.

Mais quelques musiques de par là-bas qui restent toujours confidentielles passée la frontière fictive du Bosphore entre Orient fantasmé et Occident ethnocentré. Des artistes plus ou moins contemporains qui s'écartent légèrement du cliché à casquette et moustaches qu'on colle généralement à tout ce qui est estampillé « turc ».


D'un premier voyage dans les alentours, j'ai eu le malheur de ramener un cd défectueux de musique classique perse chopé in-extrémis à Téhéran, pendant qu'un hacker essayait de débiter ma carte de crédit online... Pour me consoler du séjour écourté, la mauvaise idée était de croire que le son d'Istanbul et de la Turquie moderne résidait dans ces compiles de pseudo electro-orientalisante pour bars lounge en série où on se fait chier un verre à cocktail dans la main (East to west, vol2). La compile Doublemoon remixed est beaucoup plus pertinente et d'à-propos entre arabesques et modulations electroniques.

Auparavant, j'avais tout de même un disque de Sivan Perwer, ménestrel Kurde vivant à Paris dont la musique, assimilée au P.K.K, est  proscrite en Turquie (j'en ferais l'embarrassante expérience dans un bar d'Erzerum, que je croyais à tort être un bastion kurde). C'est du blues qui est proposé là, quand  dans sa voix et son saz (luth), transpirent toutes les luttes et les tourments de son peuple. Criant. Sinon, les hollandais punks de The Ex, toujours à la recherche d'un exotisme avisé, reprendront dans chacun des deux albums en collaboration avec le violoncelliste Tom Cora, un morceau d'Ismet Siral et une chanson traditionnelle (the Ex & Tom Cora : « Scrabbling at the lock » et « and the weathermen Shrug their Shoulders »). Ils avaient aussi collaboré le temps d'un 45t et quelques concerts avec un autre kurde en exil, Bräder, mettant subtilement en valeur sa musique (très comparable à celle de Sivan Perwer).
Pas grand chose sur les rayons d'une discothèque au demeurant. Il fallait donc y retourner, histoire de... lorsqu'on pressent que la culture musicale de la région est riche, vivante et bien cachée.
Il fallait y retourner. Pour voir le Mont Ararat, se saouler et ouvrir les oreilles.

Entretemps est sorti sur nos écrans « De l'Autre Côté », film de Fatih Akin, un allemand d'origine turque féru de musique pour qui la double nationalité reste le parfait passeport ; les portes s'entrouvrent...

La bande son sème quelques indices. A commencer par Kazim Koyunçu, activiste chanteur foudroyé dans sa jeunesse. Il reprend avec cette grâce désespérée de ceux dont la vie devient un destin,  Ben Semi ... un vieux standard de la musique traditionnelle (région de Trabzon, côte de la mer Noire, mais je n'en suis pas sûr), dont une version beaucoup plus ancienne  clôture la fin de la B.O du film. La majorité des titres est composée par la disko dance de Shantel (une sorte d'electro-Borat tout aussi balourd), un gars des Balkans qui rappelle que l'histoire de la région est beaucoup plus complexe, les frontières régionales poreuses, les communautés entremélées. Mais on y reviendra.

C'est toujours Fatih Akin qui continuera de me guider au hasard des rues stambouliotes avec son documentaire Crossing the Bridge, qui prend le pouls de la scène  actuelle et en établit une chouette cartographie. Manifeste incontournable pour qui cherche à comprendre la musique turque contemporaine, sous le prisme omniprésent de la ville d'Istanbul, véritable creuset culturel et poumon du pays.

A part un rappel historique sur le rock psychédélique turque très vivace dans les années 70's, lorsque les hippies traversaient la ville avant de tracer leur chemin vers les Indes (un livre :  Magic Bus, une compile : Hava-narguilé), la trame de la narration part des formes les plus contemporaines de la musique turque vers des genres plus populaires.

On passe sur « Music » vieux tube de la péroxydée Madonna en intro (et outro) réapproprié par la belle et brune Sertab Erener, qui prend là un superbe coup de lifting version arabesques bien appuyées, pour ensuite découvrir les vieux renards  de BABA ZULA. Ce serait réducteur de les ranger d'office dans la case  « enfants rescapés des hippies » précédemment cités.  Eux prétendent plutôt faire une sorte de dub oriental puisant tout autant dans l'héritage qu'ont laissé les années 70's dans les ruelles du quartier de Beyoglü, que dans la musique traditionnelle  turque. Les les jeunes branchés des quartiers huppés de Beyoglü ne s'y trompent pas.

Gage de crédit, leur deux premiers albums (Psychebelly Dance Music et Double Oryental ) sont produits par un certain Mad Professor. Sur le premier on peut entendre la voix de Brenda McCrimmon, une canadienne tombée amoureuse de la culture musicale de la région et qui a entrepris de faire redécouvrir des morceaux traditionnels oubliés comme ce chant d'amour bulgare (l'empire Ottoman avait de vastes frontières à l'époque...) avec la complicité du clarinettiste le tzigane Selim Sesler. Depuis, les Baba Zula ont réduit leur géométrie (Kökler...), se réduisant à 3 musiciens, mais leurs concerts restent toujours de grands moments de communion et d'hystérie collective, même s'ils jouent dans un bar, derrière un drap blanc, de blondes danseuses du ventre se chargeant de l'animation, maniant des poireaux (si si !) comme d'autres un fouet. 

Murat Ertel, le chanteur au luth électrique a aussi par le passé joué dans Tanbul, un album orphelin, jam enfumé complètement halluciné ; du Funkadelic à la Turca, et aussi NZDEN et son Barkikoy Akil Hasanesi , projet beaucoup plus structuré qui par moment peut rappeler CAN (mais j'ai tendance à voir du CAN partout...). Même à Istanbul, ces deux derniers albums restent confidentiels.



(à suivre...)

L'Un


pour les liens cette semaine, ils sont actifs directement dans le texte...



samedi 9 juillet 2011

DOUBLE NELSON


Ils en est deux à faire régulièrement parler d’eux, et pas forcement dans nos contrées malheureusement ; mais tel le serpent de mer, la créature fantastique du loch Ness (ou plutôt du loch Lomond capitaine), ils se rappellent à nous par leurs apparitions, toujours ahurissantes par l’univers fantasque si particulier qu’ils proposent. Les Double Nelson se sont attachés durant plusieurs décennies à transporter de lieux en lieux leur concept : leur imaginaire fantasmagorique habillait chacun des endroits de concerts *, à l’aide de toiles peintes d’êtres bizarres venus d’ailleurs **, de vidéos maison, et de lumières bricolées, à nul autres pareils.
Leurs compositions sont de petites mélopées courtes, où un fil est présenté et développé pendant le temps juste nécessaire à comprendre l’intention, le groove, s’attacher aux samples, à un riff qui va s’entêter à rester au creux de l’oreille. A l’heure où un nouvel album est prêt, mais tarde à sortir faute de label, je voulais revenir sur leur parcours atypique, respecté jusqu’au Japon, un peu oublié chez nous. Je vous propose cette interview réalisée il y a quelques années déjà, de ce binôme de bricoleurs qui ont inventé la machine à groover autrement…

« Il existe des groupes uniques : leur démarche, leur son, leur longévité, leur créativité les placent direct au dessus du panier à crabes. Quand ils ont l’avantage d’être attachants, déterminés et généreux, on touche à l’exception ; pourquoi tant d’engouement pour un groupe qui est méconnu ? Parce que justement ils le sont, et injustement en plus ! Ils sont inclassables, ce qui dérange, notamment les gens qui ont besoin de repères pour chercher à comprendre une musique : leur force aux Double, c’est de la vivre leur zique. J’ai croisé leur route plusieurs fois déjà, et souvent je me dis : pas encore assez. Je ne cesse de remarquer leur abnégation à passer au-delà des épreuves, et toujours avec le sourire. Oui, la longue route du rock n’roll est semé d’embûches, mais si on sait la prendre, elle est la plus généreuse dans ce qu’elle réserve comme bonnes surprises. Et une rencontre avec les Double, Gaze et Pasc, en est toujours une. Ils tournent régulièrement et discrètement : jamais eu de grosse structure, de major, et pourtant leurs albums s’écoutent aux Etats-Unis, au Japon, en Europe jusque centrale, et ça joue, tout à la main, à l’ancienne, tout à fond.
Ils ont démarrés à 3, jouent à 2 depuis quelques années, en utilisant grandement les machines car leur vie est citadine, urbaine. Ils ont sortis 8 albums en comptant un mini, avec toujours des pochettes terribles, composées sur de l’imagerie de rêve un peu angoissant, ou de la science fiction bizarroïde. On retrouve bien cet univers sur scène, mais avec une bonne grosse dose d’humour. C’est important de déconner sérieusement. C’est dans ce contexte sans cesse renouvelé que j’ai eu l’occasion de poser quelques petites questions pour illustrer ma position vis-à-vis d’eux et donc de leur formation puisque c’est un tout, unique, puissant et sans complexe ; une chronique disait : « musique inclassable, c’est pour ça qu’il n’ont rien à perdre même pas une étiquette aussi respectable soit-elle ; c’est peut-être pour ça qu’ils paraissent invulnérables ». C’est pas tous les groupes qui peuvent se vanter d’avoir de la description comme ça, non ?

La formule double ?
Gaze : les concerts toujours en doublette, pas de réembauche de personnel : la formule classique, c’est basse-batte, voire 2 basses, 2 guitares, ou percus-batte. En fait on est rythmique grave.            
Le style double ?
Pasc : On fait du Double ! On sait ce qu’on fait pas…mais c’est pas sombre ; sur disque oui, mais sur scène non, on a plutôt tendance à bien rigoler et ça se sent !
G : Les racines, le style, ça fait 18 ans qu’on les a digérés. C’est plutôt indus, juste pour le côté urbain. Nancy nous a influencé pour le côté frontalier : il y a plein d’échanges avec l’est, notamment à l’époque où l’on a démarré, c’était la musique industrielle et ça nous a méchamment imprégné. Y’a pas de démarche intellectuelle dans DN, on est rock, et y’a des questions qu’on ne se pose pas. On fait tout ça parce qu’on aime ça et on s’en fout de savoir si ça une influence. C’est pour nous et ceux qui nous écoutent.
La scène par rapport aux disques, c’est comment ?
G : Pour 80% de notre production discographique, c’est enregistré à l’appart, au casque ; donc après, tu te retrouves sur scène avec des amplis, une batterie, faut remanier la chose…pour générer des sons faits par deux personnes. Les disques sont plus sophistiqués, plus ambiants, et sur scène c’est plus brut, plus minimaliste, avec du son parallèlement à ce qu’on fait.
En fait vous jouez pas !
G : On est beaucoup plus bruyants que la machinerie ! le but du jeu c’est de prendre plus de place que les machines. Ça reste très live !
et la déco ?!
P : Moi, j’suis pas d’ac du tout, c’est imposé ! (rires)
G : On est que deux sur scène, alors la déco c’est la grosse ingénierie : ça prend de la place, autant que nous visuellement. Aussi parce que les morceaux ils sont là pour générer des ambiances qui te rappellent des histoires ; et que ça fonctionne quand tes yeux collaborent à te faire rentrer dans ces histoires sans paroles. Mais toujours en arrière plan, c’est juste là pour emmener. C’est le gars qui nous fait les pochettes, Manu qui s’occupe de peindre les toiles (un lot de toiles super grandes, genre 4m x 6m en un nombre conséquent, suffisant pour habiller une grande salle dans son ensemble : le but à atteindre, faire que le public quand il pénètre le lieu ne le reconnaisse pas, et qu’il se trouve d’entrée plongé dans l’univers des Double. C’est à peu près 4 heures de montage par date avec vraiment une sensation particulière de plaisir quand tu vois la gueule des gens qui t’accueillent au fur à mesure que tu installes, te dire, c’est géant ! ndr). Ce sont des choses assez ambiantes, climatiques, comme si tu retranscrivais ce qui se passait dans un microscope à une échelle super-balaise.
parlez nous de votre site : une visite de votre appartement pour découvrir le lieu d’existence des Double.
G : des vidéos de potes et de nous. Tu sais on emprunte une caméra et c’est parti, on développe une idée ; c’est facile à faire. Et puis y’a les histoires du Pasc : c’est des fois sans queue ni tête. C’est drôle avec un mélange d’univers étrange et SF. C’est le produit de son cerveau malade !
(Et puis y’a matière à voir, écouter, et possibilité d’acheter la disco totale des Double Ndr).
Alors surveillez la route, ils sont dessus... et ils ont fait peut-être « moins de stations services que Prince mais plus que les Sex Pistols ! ».

L'Autre

* du temps où la diversité des lieux de diffusion n’avait d’égal que le militantisme bigarré de fantasques inconnus.
** du temps où on pouvait facilement mettre de la déco dans les lieux de diffusion sans craindre l’ire de monolithiques E.R.P.s.

www.doublenelson.fr.st
http://www.youtube.com/doublenelson
Tags : indus, rock, électronique, groove, interview,