FM :
après ce concert intimiste de ce soir, peux tu nous qualifier ta musique et
nous parler de ton parcours ?
TB :
qualifier ma musique est toujours quelque chose de difficile pour moi car je
suis dedans ; j’ai toujours cherché à sortir des cadres, de ne pas me
répéter d’un morceau à l’autre. Dernièrement, quelqu'un m’a dit que j’étais
« romantique ». J’aimais bien ça, mais c’est vraiment
provisoire !
Mon
parcours, c’est assez long car je ne suis pas tout jeune : il a pas mal
serpenté, c’est un parcours de voyageur, puisque j’ai été amené à vivre à la
frontière du Mexique, y fonder ma famille, femme, enfant…dans ma rue habitait
Joey Burns de Calexico: un Français, Naïm Amor, me l'a présenté et du coup nous sommes partis en tournée
avec eux; je faisais des maracas, des triangles, en 95-96, il y a
longtemps !... A cette époque avec Naïm on a travaillé à la bande son d'un film de Marianne Dissard; à la suite, nous avons monté un duo, Amor Belhom Duo ; on a tourné
beaucoup, en France et dans le monde entier, jusqu’à l’arrêt après une tournée
avec Miossec qui a duré des mois et des mois.
C’est
pas Miossec, il n’y est pour rien !...quelqu’un a fait passé ça un jour,
mais je l’aime beaucoup, sa sensibilité, il n’y est pour rien !...mais ce
n’est pas la question !!!
FM :
ce n’était pas de tout repos, non ?
TB :
ça te prend la santé quand même, c’est un phénomène ! Tout ça pour dire
qu’on a une histoire avec la
France ; on avait un label aux Etats-Unis (Carrot Top :
label de dark-country, comme Handsome Family…) et un en France, on était chez Ici
d’Ailleurs (Yann Tiersen). D’ailleurs, avec l’argent que Y. Tiersen rapportait,
le label finançait des petits groupes comme nous.
FM :
c’est bien ça, que des groupes moins connus, des groupes en création…
TB :
le mot création, oui... et par rapport à cet endroit, le Nadir (salle gérée par
l’association Emmetrop, à Bourges, ndr),
je vois un ensemble, il y a le programmateur, l’association, la salle, des
locaux de répétition, des labos et ateliers, un bâtiment avec des arts
plastiques (le Transpalette, ndr),
tout un ensemble de gens, j’aime beaucoup ce genre de lieu, et ça me touche
beaucoup de jouer ici, en dehors du Printemps de Bourges. Le PDB, je n’ai rien
contre son existence, mais Emmetrop montre que l’on peut aussi exister ailleurs
et autrement à Bourges. Ça ne me parait vraiment pas évident. Le PDB c’est la
diffusion, c’est le coup de projecteur uniquement ; alors que la création,
c’est les résidences, le côté laboratoire, le côté permanent, ça c’est la vraie
culture, la culture du quotidien, la vraie.
Car
aujourd’hui, c’est la signification de culture qui est galvaudée :
quelquefois, c’est synonyme de loisirs quasiment, comme aller au musée…mais la
culture, les gens peuvent se l’approprier, la faire. Pour tous et par tous. Ça
me tient à cœur, aussi pour les enfants, l’avenir. C’est donc plutôt ce qui est
dans l’ombre qui me touche plus. Qui m’éveille.
Le
coup du projecteur, oui, j’en ai profité à une époque, je sais plus avec qui
d’ailleurs, c’est utile aussi.
FM :
le coup de projecteur, ça peut aider à un moment, être devant les médias, les
professionnels, se faire connaître...
TB :
oui après on peut prendre plus de temps et rentrer dans les détails mais ça va
être plus abstrait et plus philosophique. Parce que ça vise quelque chose qu’on
appellerait le succès ou quelque chose comme ça. Il y a une idée du succès déjà
à l’avance. Or, peut-être que l’on cherche d’autres choses quand on est
musicien. D’autres choses que d’être une star, comme les gens pourraient le
penser… De toute façon, je ne pense pas que l’on puisse décider d’être une
star. Je crois que c’est des trucs complètement absurdes. C’est vrai, il y a
des jeunes, très jeunes même, qui disent que le métier qu’ils veulent faire,
c’est star, être une star ; c’est vrai que c’est pas idiot, quand t’as 14 ans.
A la limite, c’est chouette comme métier ; mais c’est tellement abstrait,
ça ne veut tellement rien dire, c’est touchant de naïveté.
FM :
c'est-à-dire que star, c’est synonyme de gagner de l’argent, d’avoir une belle
vie…
TB :
oui, et bien ça avoir une belle vie, j’espère que c’est un rêve qui n’est pas
un privilège de star, tout le monde a cette ambition quelque part au fond de
lui. Avec tout ce qui va avec. Et il y a tout un discours les artistes et
l’art, qui me …il y en a partout de l’art, et l’art ce n’est pas facile à
réaliser. On cherche, on passe beaucoup de notre temps à chercher à le faire,
on est des chercheurs. Et quelquefois on trouve, il y a des moments de grâce,
et c’est pour ça que l’on continue !
Après
toutes ces heures et ces jours, il y a beaucoup de pratique, c’est
indispensable et complexe, c’est pour cela que je disais que ça dépend du temps
que va durer l’interview !!!
SL :
tu parlais de ton parcours tout à l’heure, ce qui te caractérise, c’est ton
côté arpenteur : tu as beaucoup bougé géographiquement, pour rencontrer
des gens, ce qui est une des matières premières des musiciens, et des créateurs
en général. Tu l’as fait sur un territoire assez proche, mais aussi loin,
Etats-Unis, tu as travaillé avec Tindersticks et beaucoup d’autres…
TB :
c’est la période anglaise, ça c’est des gens qui sont venus vers moi. Quand
Stuart est venu me demander de participer à la musique pour un film de Claire
Denis, c’était Stuart, pas Tindersticks, avec Terry Edwards, ancien trompetiste
de Madness, Tom Waits, Marianne Faithfull, Lydia Lunch…en trio, et puis
évidemment, Stuart était comme un grand frère, il me prenait sous son aile, et
essayait de m’aider surtout que je me mettais à chanter à ce moment là ;
et trouver sa voix est difficile… !!!
C’était
pas un coach, on a vecu ensemble, puisque les tournées des Tindersticks,
c’était quelque chose…ils sortent un album et c’est un an et demi- deux ans de
bloqués pour tourner, sur minimum trois continents ; ça te prend une
grosse partie de ta vie, on est ensemble, c’est intense, à vivre quasiment
ensemble tout le temps. Et en plus, dans les Tindersticks, il y a une élégance,
une certaine pudeur, où l’on n’est pas là à se raconter tout le temps les
choses, il y a une distance permanente tout en étant intimes. Pour parler
franchement, on partageait un tourbus où il y avait 16 lits, c’est un des plus
grands tour-bus d’Angleterre d’ailleurs, c’était même une galère pour le
trouver. On était 16, et on faisait comme si on avait chacun notre
appartement ; il y avait une grande pudeur, et j’aime beaucoup ça chez les
anglais, une sorte d’élégance, oui ce sont des gentlemen, vraiment.
SL :
nécessaire pudeur, tu parlais tout à l’heure de cessions marathon
d’enregistrement en studio en Angleterre, et c’est vrai que si tu n’as pas une
retenue et une écoute de l’autre importante, ça ne te permet pas d’aller au
bout des choses, dans le travail.
TB :
oui aller au bout des choses, j’ai appris ça avec eux, dans les Calexico
également, il y avait ça. Avec David Grubbs aussi, Gastr del Sol, Jim
O’Rourke…eux c’est différent, ils essaient de faire émerger : ils sont en
terre inconnue, et ils essayent de maîtriser cette terre inconnue. C’est
complètement…eux c’est…ils parlent avec les dieux, les dieux de la musique, ils
essaient de les faire venir, il a quelque chose de vraiment curieux là dedans.
Les Tindersticks, il y a quelque chose de très rationnel, ça a un côté ouvrier
anglais ; les ouvriers de la musique, c’est les répétitions de 7h du matin
à 23h…avec des pauses…de bières d’ailleurs…j’étais le seul à boire un café à
10h, ils sont tous à la pinte ! Arrivé à 23h, c’est des litres qui ont été
bus, c’est incroyable de tenir comme ça, faut être anglais je crois ! Ou
breton peut-être…
En
tous les cas, il y avait un acharnement à obtenir ce qu’ils cherchent ;
Stuart a une idée précise de là où il veut aller, et des fois on faisait 23
prises du même morceau où il déplaçait les micros de 2cm, « on va la
refaire ! », ou changer une note : et on la refaisait une 27ème
fois, et la prise qui se trouve sur l’album, c’est la 56ème…et
effectivement c’est justifié au bout du compte. C’est presque comme de la
transe, au début c’est dur pénible, et on dépasse ça pour se retrouver dans la
matière même de la musique ; là ça devient autre chose, on affine !
Et
il y a aussi tout un buziness derrière, où l’on a des journées bloquées pour
enregistrer, il y a beaucoup de personnes, 16 avec les techniciens, un à Prague,
moi en Arizona, un à Nashville, à Notthingham, les autres à Londres, une
logistique !... C’est presque miraculeux ! Le fait de se lever le
matin, se dire bonjour et d’être tous là ! On en est conscient, on a
rendez-vous avec le miracle… si on y arrive pas, des jours c’est comme ça, on
est dans le côté ouvrier de la musique. Je l’ai vu chez les anglais. Ils ne
lâchent pas le morceau, ils travaillent, j’ai moins vu ça en France. En France,
il y a d’autres qualités.
FM :
de quels instruments jouais tu avec eux ?
TB :
du vibraphone et de la batterie. Et des percussions aussi…et j’ai même chanté,
il y a une chanson en français : au départ, j’avais fait une voix témoin
pour que Stuart apprenne en français, mais ça a été une telle catastrophe,
qu’il a décidé de garder la voix témoin dans la version finale sur
l’album ! J’étais étonné ! C’est une chanson qui s’appelle « all
the love », et il y a une autre version qui s’appelle « tout
l’amour », avec Christine (Yann Tiersen, Radiohead) qui joue des ondes
martenot.
FM :
quels sont tes projets à venir ?
TB :
plus les choses avancent et plus j’ai envie de faire du cinéma, de la vidéo. Ça
sera dans 5 ans, mais je me prépare à ça. En ce moment je suis animé par le
fait de rejouer en groupe car j’ai joué longtemps solo. J’étais aussi
chauffeur, à partir dans le sud de l’Italie tout seul, et pour me motiver, je
me disais « -combien de chauffeurs on la chance de monter sur scène tous
les soirs ? -ah oui c’est vrai ! »…j’en pouvais plus !...
Et
donc là je suis heureux d’être accompagné, en plus ce sont de merveilleux
musiciens : Pierre à la guitare, Paul au tuba, Antoine au violoncelle,
avec une bonne dynamique. Là-dessus se rajoute Alexandre, un performeur qui
lance des vidéos que j’ai fait, et une danseuse hollandaise tout droit sortie
des années 80 : c’est cette équipe que je monte, mon projet. Plus
Johann le Guillerm, un circassien, avec qui j’ai été élevé, nous travaillons
des vidéos qui serviront. Il va interagir, on est en train de construire tout
ça. Ça sera probablement prêt en Octobre 2011, mais j’ai un album qui sortira
début 2012, et c’est avec ça que je tournerais.
Par
ailleurs, j’ai aussi une composition plus musique contemporaine, sur le thème
des maladies infectieuses : c’est un thème qui va s’infiltrer, se
développer à la manière d’un virus, dans des structures rythmiques. Elle fait
trois fois 20 minutes, et je la jouerai dans des lieux plus grands, comme avec
le conservatoire de Strasbourg, nous le jouerions avec un orchestre philharmonique.
C’est plus lié à des musiques de films.
J’ai
fait par exemple des musiques de films de kung-fu, dont certains extraits sont
dans Cheval Oblique, un album instrumental de percussions. Je tiens à préciser
d’ailleurs que c’étaient des films japonais, alors que le kung-fu est
chinois !!! Voilà, c’est juste ça !...
Longue
vie à Emmetrop, tout ça c’est important, cet aspect laboratoire : les gens
comme vous qui vont voir dans l’ombre. La créativité naît de cela, des
processus, et des rencontres. Il faut être sensible à ça. Merci !
NDR:et merci à Thomas et Naïm pour leurs humanités.
L'Autre
et lire l'article de L'Un sur l'album Cheval Oblique
NDR:et merci à Thomas et Naïm pour leurs humanités.
L'Autre
et lire l'article de L'Un sur l'album Cheval Oblique
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