lundi 21 mars 2022

Thurston MOORE "Screen time"

Sonic after Life.

 

Bon, on va pas tourner autour du pot, l’équation est assez simple : Thurston Moore = Sonic Youth. Evidence même. Et le problème se situe du coup dans les années post S/Y. Si Lee Ranaldo a confortablement pris le tournant en se réinventant avec un songwriting brillant et insoupçonné, Kim Gordon continue d’affirmer personnalité et créativité (on pense très fort à No Home Record »), la carrière en solo certes prolixe de Moore semble n’avoir eu de cesse de convoquer l’esprit de ce groupe hors norme qui aura occupé plus de 3 décennies de son existence. Ce qui peut laisser des traces permanentes. Et c’est peut-être là le revers d’une médaille bien méritée : difficile de s’affranchir des gimmicks et autres tics guitaristiques, mais aussi de cette voix iconique difficile à masquer. Ce timbre si particulier qui incarne à lui seul 50% du groupe. De son groupe. Avec pareille équation gravée dans le marbre des pavés newyorkais. Personne schizophrénique s’il en est, les escapades de Thurston vers des contrées free, la plupart du temps sous la forme de collaboration volcaniques (the THING, William Hooker) s’affranchissent aisément de cet écueil avec un sonic wall massif et rugueux. Mais pour ses efforts en solo, on sent bien que l’ombre du Sonic Youth plane et s’insinue douloureusement dans tous les interstices exposés à cette lumière noire. Mais qu’on ne me fasse pas dire non plus ce que je n’arrête pas de sous-entendre (!) : ils sont parfois bons (Chelsea Light Moving) et même très bons (By The Fire) ces albums : Thurston a encore pas mal de chose à dire, et ce avec un certain brio et cette patte inimitable. A tel point que chaque enchainement d’accords ouverts triturés, chaque dissonance ou infime larsen vérifie notre équation arbitrairement posée ci-dessus. Et personnellement l’idée d’écouter un dernier Sonic Youth amputé de 20, 30 ou 40% ne m’a jamais vraiment convaincu. C’est donc sur des terrains de jeu connexes arides et dépouillés que notre grand blond a trouvé grâce à mes yeux chafouins et surtout fait peau neuve avec peu de choses, seul face au mur. Avec Screen Time, on débranche (en partie) les amplis et on se pose : l’approche est plutôt minimaliste et introspective. Pas beaucoup d’écheveau de guitares non plus, on est dans un dépouillement quasi religieux, mystique. Contemplatif. Les pièces rassemblées sur cet album constituent une sorte de bloc-notes musical que le guitariste a tenu chez lui pendant la période confinée en 2020. Puisqu’on ne peut même pas aller au studio se défouler en mettant les doigts dans la prise, pourquoi ne pas canaliser émotions à vif et créativité exacerbée avec la guitare qu’on a sous la main. Le résultat de ces petites chroniques désabusées oscille entre une musique instrumentale de canapé et un formalisme qui rappelle les obsessions du bonhomme pour tout ce qui touche à l’avant-garde. Parfois ludique, parfois teinté de blues ou franchement éthéré, chaque morceau développe une atmosphère marquée toute en distance et retenue introspectives. Un parallèle ténu peut se faire avec Demolished Thought, album acoustique lui aussi mais beaucoup plus produit et surtout émotionnellement (trop) chargé, là où Screen Time avec ses climats plus abstraits, joue la carte de la sérénité épurée, des questionnements en forme de cascade et jeu de miroirs. Avec ce Screen Time, Thurston Moore nous offre une belle embardée aux limites de sa zone de confort, saut dans un vide sonore encore vierge de toute exploration... sonic.

 

L'Un.

Thurston MOORE : "Screen Time" (SouthernLord 2022)

lundi 7 mars 2022

BIRDS OF MAYA "Valdez"

 "Vous ne pouvez pas faire mieux que deux guitares, une basse et une batterie" (Lou fucking Reed)

 

Y en a toujours pour penser que le rock est mort avec l’apparition de la techno, d’autres après la disparition de Kurt Cobain, tandis que la frange des plus irréductibles maintient que le rock a été enterré quelque part à la fin des années 70’s. Tout ça ne nous ramènera pas Joe Dassin mais le débat stérile est toujours ouvert, et toutes les décennies les médias nous annoncent son retour sous la forme de messies encore juvéniles, blouson en cuir de rigueur et quelques frasques à leur actif avant le flop du 2° album. Dire que Birds of Maya est la nouvelle sensation de ce début de millénaire morose et apocalyptique est peut-être un peu présomptueux, même si Pitchfork leur a filé sa bénédiction. En fait personne n’en a entendu parler, ce qui colle bien au propos : on a là à faire à une bonne tranche de rock velu et graisseux, tout droit sorti d’un garage d’un pavillon de banlieue anonyme. Voilà pour la légende. Côté bio, savoir que Birds of Maya est constitué d’un transfuge de Purling Hiss, groupe assez récent qui entretenait la flamme d’un certain rock indé 90’s (à ranger, au pif, pas loin d’un Dinosaur Jr.) ne renseignera en rien sauf sur un goût immodéré pour ces longues plages de solo sur-électrifiées et baveuses à souhait. On pense très fort (et on le lit partout…)  « Stooges » ou stoogien pour qualifier cette petite perle cryptique. Difficile à contourner, certes, mais alors on parle alors de Raw Power, même s’il faut plutôt piocher dans le panier de crabes des enregistrements pirates de l’Iguane, les plus cradingues si possible. La main du diable, elle, s’invite avec ce riff éhontément sabbathien de la seule cavalcade de l’album qui ne dépasse pas 3mn sur BFIOU. Pour le reste, il faut se caler ferme au comptoir avec quelques pintes de tièdes et avaler le bitume d’une longue avenue borgne jusqu‘à ce point de non-retour de Please Come In qui martèle le propos quitte à se faire saigner les doigts et les oreilles. La recette est bien rodée, à puiser dans les archives saturées sans trop chercher à se renouveler et sonner « actuel » à tout prix ; et en ce, il y a un parallèle évident à faire avec Endless Boogie qui lui aussi ne cesse d’hypnotiser son auditoire avec trois bouts de ficelles, une bonne vieille disto et surtout une foi inébranlable…. Pour résumer, ce Valdez il est grave trippé, à la fois abrasif et roboratif. Pas forcément ce qu’il y a de plus calibré pour notre époque sans souffle épique, ni des plus digestes non plus : mais pour ça il nous reste la bière tiède en sous-sol.

 

L'Un.

Birds of Maya "Valdez" (DragCity. 2021)