samedi 24 décembre 2016

DENGUE DENGUE DENGUE



Le duo péruvien Dengue Dengue Dengue  happe au passage le flux électronique global pour l’accommoder des dérives hallucinées  qui hantent la moiteur nocturne  des arrière salles du continent sud-américain.  Mélange syncrétique de cumbia,  d’électro-dub (la Jamaïque, n'est pas si loin...) et d’un psychédélisme d’usage, qui nous fermente une musique underground  de transe globale   (sic !). Basses rondes et chaloupées de dancehall  qui se frottent aux polyrythmies ancestrales lancinantes. Les voix d’un autre temps nous susurrent une expérience  altérée qui se veut chamanique et urbaine à la fois. Petite fumée bleue à la poursuite du lapin blanc : de contempler les lumières de la ville à l’orée la forêt. Les corps et les sens s’abandonnent au cœur des amazones nocturnes.
Chacun trouve son totem.
Un verre de chicha pour faire passer ce goût âcre : on se réveille hébété les cuisses collées au skaï biéreux d’une banquette d’un club borgne de banlieue. Le DJ passe un vieux Pink Floyd pour la route.
Il est 5 heures, Lima s’éveille.

L'Un.


DENGUE DENGUE DENGUE
"L'Alianza Profana" (Chusma Rcd. 2013)
"Siete Raices" (Enchufada. 2016)




samedi 3 décembre 2016

Kiko C. ESSEIVA "drôle d'oiseaux", ou n'importe quelle production de ce singulier énergumène, au passage



La question était : "Le monde n’est-il pas un immense restaurant ?".

(K. C. Esseiva. 2013)

Kiko C. Esseiva vit en Suisse depuis un certain temps.
Il pratique la musique comme d’autres pétrissent le pain ou labourent la terre (quand d’autres choisissent de boire un verre ou de pratiquer un art martial).
Oiseau rare dont la trajectoire en brisures de lignes s’inscrit dans les pas de ses ainés les moins académiques.
On n’en sait pas beaucoup plus au passage, et sa très discrète présence sur la Toile n’en est que plus rassurante, sa musique se voulant concrète, terre à terre et solidement chevillée au sol, plutôt que diaphane et savante ; magmas de matières sonores grumeleuses qui tournoient sur elles-mêmes. Musique à la ruralité affirmée  dans ce rapport physique au son presque palpable et dénué de toute sophistication. Les manipulations sont terreuses et fuligineuses, et d’une désarmante évidence, le nez poisseux collé à la vitre embuée. Une fausse désinvolture qui s’emploie à  s’approprier les vibrations, raclements et autres accidents de chants magnétiques à bras le corps.  
Légère liberté de tons entrechoqués et râpeux, suffisamment rares dans ce genre de pratique, pour être souligné à la mine de plomb. Pas entendu une production aussi frontale depuis pas mal de temps, proximité immanente en trompe l’œil, la source sonore jamais vraiment identifiable.
De cette trempe d’artiste qui s’attire les noms d’oiseaux et le compliment de pmu : « mon fils de cinq ans fait mieux avec trois  bouts de ficelles, un rouleau de papier kraft et les boutons de culotte qui trainent dans ses poches » : mais c’est pas faux ça mon gars… si seulement ton fils  arrêtait de scotcher devant le poste télé, en attendant que tu aies réglé la dernière tournée au comptoir et les factures en souffrance; bruits de verres qui s’entrechoquent, raclement du cendrier en métal, trois boutons de nacre au fond d’une poche trouée. Art brut.

"L’oiseau pose ses fesses, la femme s’envole"
(L’Un. 2002).


Kiko C. ESSEIVA : "Drôle d'oiseaux" (Hinterzimmer. 2012)


mardi 8 novembre 2016

NO MEANS NO

Il est de belles rencontres qui vous réveillent, vous chamboulent au point de ne plus être le même après l’instant fatidique où le sonore et visuel percutent les sens. No Means No a été capable de cela pour de nombreuses personnes et pour une simple raison, c’est que leur musique fut ou a été corporelle, physique, charnelle, en un mot elle irradiait le corps et l’esprit par les deux sens la vue et l’ouie.
ici vidéo des années 80, dans la mouvance de sonorité sombres à la Joy Division
Débutée à l’âge de 5 ans, la collaboration entre les deux frères employant basse et batterie, à savoir la rythmique dans sa quintessence, a construit une base tout d’abord punk, puis développé une complexité frénétique qui a permis au fil des ans d’irradier l’auditoire par le développement d’un groove formalisé dans ce que l’on a appelé « jazz punk ». Bien réducteur tant la fratrie s’affranchissait des carcans au fil des ans.


Usant de compositions progressives qui leur permettaient de s’envoler en mettant en avant une technique incroyable mais évidente à écouter car maîtrisée du bout des doigts, enflammer l’auditoire fut chose facile rapidement. Après 2000 concerts, on assistait à l’âge de 60 balais à un jeu entre une section basse riante-batterie déjantée, soutenue par une guitare stridente et sautillante, au jeu simple et millimétré, à une envolée fantastique, trio improbable et survolté, sourires immuables campé aux lèvres, à un déferlement de morceaux, tous des hits punks-discos-jazzys-hardcores-voire pop, sans aucun scrupule, juste avec le sentiment que l’on ne pouvait que partager leur plaisir d’être sur scène ; ceci étant l’essentiel.
1h voire 1h30 de concert était leur partage quotidien, parler, jouer toujours mieux, vite, fort et le plus précis possible leur crédo. Mais c’est fini. Faire autant et aussi bien n’est peut-être pas possible. Ceux qui se sont nommés les frères Right et Wrong ne sont plus, il reste les Hanson Brothers, et les compositions sur albums. On va les regretter pour ceux qui les ont vu. Ils manqueront à ceux qui les découvriront à titre posthume, mais sachez en tous les cas qu’un jour, deux frères se sont mis à jouer, et qu’ils continuent (le batteur collabore notamment avec des japonais qui créent des robots musiciens, facilement trouvables sur internet avec des reprises de Motorhead entre autres), et que leur mode de fonctionnement, sourire aux lèvres malgré la dureté de ce qu’ils jouaient ne les a pas empêché d’envisager de manière déviante, à savoir autodidacte l’évolution de la musique dans une perspective fun rarement égalée. Merci messieurs.
 
Oui ils ont apporté une sacré pierre à l’édifice, et l’on peut en voir un pan dans 0+2=1 et Wrong mes deux albums préférés sur pléthore…

site de fans en anglais vraiment très fourni: http://www.no-means-no.de/ 



l'Autre Energumene

mercredi 2 novembre 2016

NEUROSIS "Fires within fires"

« Nous apprenons que l’ennemi fondamental n’est pas le chaos, mais l’organisation ; pas la divergence, mais la similitude ; pas le primitivisme, mais le progrès. Et le nouveau héros – l’antihéros –  est celui qui s’est donné pour but de s’attaquer à l’organisation, de détruire le système. Nous savons aujourd’hui que le salut de la race est lié à une tendance nihiliste, mais nous ignorons jusqu’où il faut aller »    - (Trevanian)


« I slept into an avalanche, it covered up my soul » - (L. Cohen)

Il aura fallu pas loin d’une trentaine d’années pour à peine sentir poindre l’espérance d’un rai de lumière. Loin de « Sun that never sets » ; pas si loin de ce "moment de grâce" à mettre en parallèle.
Entre, des déflagrations s’approchant souvent de secousses telluriques, l’expression d’une colère monstrueuse, l’horizon claustrophobe d’un inouï reculant sans cesse au fil des approches.
Monolithe.
Manque étouffant sous une lumière opaque.
Et une longue histoire d’amitié.
Tribu.

Déjà atypiques dans leurs débuts hardcore avec « Pain of Mind », ce virage à 180° (celsius ?) comme peu de musiciens en sont capables dans un contexte alors peu enclin à ce genre de lourde déviance, magma sonore nauséeux et cathartique : les Swans étaient déjà passé par là (en force) certes, mais ces derniers n’ont jamais prétendu faire partie du mouvement hardcore métal…
 Personnellement, c’est l’écoute des efforts solo des deux guitaristes qui m’ont raccroché au groupe dans la décennie passée, versant folk/americana à la fois sombre et serein donnant de la sorte plus de relief à cette quête désespérée de lumière, white heat, white heat

Avec l’entrée en matière de « Bending Light », le passage de témoin s’effectue dans une douceur suspecte, par la porte dérobée : il faut plus de 3mn de sinuosités à la fois martiales et aériennes  finissant par se noyer dans un presque trop confortable flot cotonneux, pour enfin atteindre le climax attendu : rage qui n’a que plus de portée lorsqu’elle est contenue, distillée et pleinement maitrisée. Neurosis nous délivre instinctivement ses compositions méandreuses en clair-obscur, où l’inné s’appuie sur un acquis colossal, le déroutant « Reach » nous amenant, exsangues et rampants, au sud de nulle part. Proximité incantatoire d’un son sec et mat, débarrassé de ses anciennes scories (oui oui, #atouchofalbini…) ; renouer avec la ligne claire.
Au final de posséder là plus le résultat d’un work in progress cathartique et sans horizon fixé qu’un de ces sempiternels et ressassés disques de la maturité, même si la nuance se veut parfois fine et subtile.
C’est con, mais au fil des écoutes successives, le qualificatif « liquide » s’est imposé;  comme une évidence apaisée.  Au cœur du brasier pour tout refuge.

L'Un.


Neurosis "Fires within fires" (Neurot. 2016) 

samedi 15 octobre 2016

Mixtape d'Un Energumène #7

un pas trop loin ( = a fridge too far)...
disturbing frequencies (= fréquences à la con)




Tracklist :


1.Francisco LOPEZ « untitled #164 »
2.Eric HOLM « äse »
3.Ryojii IKEDA « Headphonics 0_0 "
4.Sarah HENNIES « Gather »
5.Sarah HENNIES « Release »
6.William BASINSKI « Melancholia #12 »
7.Lee GAMBLE «Voxel City Spirals »Lee GAMBLE «Voxel City Spirals »
8.Yannis KYRIAKIDES «Music Salesperson 0618 »
9.Yannis KYRIAKIDES « Pensioner 0496 »
10.VILOD « beefdes »
11.Christopher McFALL : « the body as I left it »
12.Marc BARON « Interlude (Romania to Paris) »
13.Giovanni LAMI « INZZ »
14.Giovanni LAMI « KRR5 »
15.LILITH « Vau »
16.John ZORN « the clavicle of Solomon »
17.Stphn Brd : « untitled Sept 2016 »

samedi 1 octobre 2016

VATICAN SHADOW "Death is unity with God"



« Rien ne me satisfait, rien ne me réconforte, et je suis saturé de tout ». (F. Pessoa)

Très bon angle d’attaque que d’évoquer cette œuvre atypique du side-project de Dominic Fernow (peut-être à peine) plus connu sous le pseudo de Prurient. Un art du contournement qui peine à cacher un échec patent à chroniquer frontalement son éprouvant monolithe de dark noise, « Niagara Falls ». Il en est de ces chefs d’œuvre ultimes, auprès desquels on passera lâchement à côté, trop impressionné pour s’y coller, trop remué pour parvenir à pondre quelque chose d’à peu près cohérent. C’est ainsi que l’avant-dernier Swans n’aura pas eu droit de citer sur ces pages, n’importe quel Sunn O))) ou Wolf Eyes, et tant que nous y sommes, le somptueux et posthume David Bowie.
Dominic Fernow est à ranger dans la catégorie « grands névrosés » : un boulimique bipolaire dont les partis-pris dérangeants et radicaux ne sont pas sans rappeler la trajectoire convergente d’un certain Justin K. Broadrick (Godflesh, Jesu, JK Flesh…), partenaire en crime sonique. Vatican Shadow est le pendant faussement apaisé de Prurient, troquant ainsi la rugosité cathartique des décharges électroniques pour les strates souillées d’un dub-industriel lancinant et vaguement menaçant. Oui oui, « on est pas bien, là ? » Ben vaut mieux parce qu’on s’en mange grave sur plus de deux heures et demie, à ramper mollement dans l’inconfort feutré d’un crépuscule sans fin. « Death is unity with God » prend le temps de s’étirer. Drone, pulsation, beats minimalistes lents, compressés et écorchés, la tonalité est résolument lo-fi, les volutes sombres et rituelles de Vatican Shadow semblent reprendre l’œuvre de Muslimgauze exactement là où elle s’est accidentellement arrêtée,  se contentant de raccrocher les wagons en suivant le fil d’une Histoire contemporaine prophétique. Mais quand Bryn Jones (aka Muslimgauze) se posait en militant acharné de la cause arabo-palestinienne, Fernow, lui, se contente de proposer une contemplation froide distante et factuelle d’un monde à la dérive tiraillé de partout par les fondamentalismes en tout genre.
Musique narcotique d’un charmeur de serpents mécaniques, conteur muet et désabusé de temps modernes et apocalyptiques.

L'Un.

VATICAN SHADOW "Death is unity with God" (ModernLove. 2015)