" La colonne d'air est le
volume d'air, premièrement emmagasiné dans les poumons, deuxièmement mis en
pression à l'aide du diaphragme […] et des muscles de la sangle abdominale […],
troisièmement géré par les lèvres ou la langue […], enfin poussé (en débit et
vitesse) dans un instrument de musique à vent créant ainsi des
vibrations. Ces vibrations ont à une ou plusieurs fréquence en
relation avec la note entendue,
et correspondent à un régime de résonance. Il est
fondamental de conserver pendant plusieurs secondes la colonne d'air et de
moduler les débits et vitesses afin de créer des sons harmonieux, justes et
précis". – wikipedia
« - oh you’re a musician, what do you play? -I play saxophone.- I love the saxophone ! - Well, I bet I could change your mind!” (Jim SAUTER)
On va pas se mentir : pour parvenir à appréhender les assauts de ces terroristes sonores,
il aura fallu un paquet de petits dej’ à s’enfiler le « Free Jazz »
d’Ornette Coleman avec un café froid. S’imposer les stridences Ayleriennes comme ascèse quotidienne aussi, sous le regard
bienveillant d’un Hendrix égaré dans des espaces interstellaires.
On ne débarque pas dans un monde aussi chaviré sans une préparation martiale, et
quelques boules Quiès dans les poches. Février 1997, un bar borgne, The Nightingale,
dans l’East Village. Borbetomagus se prépare à jouer, et la simple vibration de
leurs pas sur la scène en bois déclenche un barrage de larsens avant même que ce
trio de bucherons ne s’empare de ses instruments. La suite se perd dans des
nappes saturées d’un son inouï qu’on aurait pu croire noyé dans colonne d’eau,
tant la submersion (ou un rejet épileptique) de ce wall of sound
halluciné est totale. Un nombre incalculable de bières à même le comptoir pour se
remettre de cette expérience cathartique. Avec sa
guitare et ses deux saxes suramplifiés, le combo newyorkais ne s’est jamais
vraiment senti appartenir à la "scène" (free) jazz, ou à la musique improvisée, revendiquant
plutôt ses influences vers ce bruit blanc qui dégueule des murs d’amplis d’un
concert rock, sans pour autant se définir comme « rock ». Ces pionniers
du bruit ultime opèrent depuis près de 40 ans, offrant des performances qui
relèvent le plus souvent d’un potlatch psychédélique. Se coltiner le Metal
Machine Music de Lou Reed en boucle sur un vieux radiocassette poussé dans ses
retranchements peut donner
une idée de la force centripète féroce qui se dégage
de leur musique cathartique. Le temps
de ce disque, Jim Sauter et Don Dietrich s’affranchissent de la Stratocaster de
Don Miller et de toute amplification pour se la jouer en duo. C’est quelque
part l’album unplugged de Borbetomagus. Les deux acolytes se
connaissent et pratiquent les cuivres depuis l’école primaire. « Bells together » est le nom donné à la technique développée pendant leur
adolescence qui consiste à plaquer le pavillon des saxes l’un contre l’autre,
cherchant ainsi la collision des masses d’air en équilibre, de fines
distorsions et autres harmoniques qui dégueulent sur les côtés. Sur cet enregistrement, Sauter et Dietrich
peaufinent et déclinent cette technique dans toutes les directions
possibles ; forcément extrêmes, même si « Monk Jimbo on Safari »
s’éloigne des stridences d'usage pour se cantonner dans les infra-basses des 2 ténors,sautillant gaiement comme un éléphanteau
échappé d’un zoo. Avec les micros planqués dans les cuivres, qui vont au plus près du
souffle à capter, on peut parler là de musique électroacoustique au sens le
plus pur et radical du terme. Le fantôme lointain du « Bells » de feu Albert Ayler, lui, continue de hanter le disque
depuis cette East River maudite, même si le groupe ne cesse de s’en défendre.
Les 3
membres du ‘Magus poursuivent ça et là leur carrières en solo (Don Dietrich
pousse encore plus loin le radicalisme de son saxe couplé à l’électronique), en
duo (Sauter & Kid Million, Don Miller & William Hooker…) ou en trio
(Sauter et le cryptique Rudolph Grey), et ne répètent guère ensemble depuis le
temps, mais cette formule de trio décapant reste la meilleure lorsqu’il s’agit
de nous délivrer leur bon vieux snuff-jazz : ce shoot roboratif d’endorphines
sauvages n'atteignant notre cerveau reptilien qu'une fois la stupéfaction initiale dissipée.
L'Un.
Jim SAUTER & Don DIETRICH : "Bells Together" ( AgaricRecords. 1985)
L’archétype du disque
confidentiel qu’on se repassait sous le manteau. Sauf que c’était souvent sous
la forme de vieilles cassettes VHS : parce que Step Across the Border est
avant tout un film. Un film documentaire tourné caméra au poing.
Nicolas Humbert et
Werner Penzel suivent le troubadour anglais dans toutes ses tribulations
sonores, filmant ses soliloques aussi bien dans un bar à nouille tokyoïte que dans
la Knitting Factory newyorkaise. Des rencontres sur les chemins de traverses
musicaux aussi bien dans les constellations urbaines que dans la campagne provençale à taper le bœuf avec Iva Bittova et Pavel Fajt.
Parenthèses privilégiées, à capter des moments hors-champs, des confidences sur
la conception qu’a Frith de la musique ; de sa musique. Et on ne sait plus
trop, dans ces moments d’égarement, si la musique illustre des cadrages qui
captent et figent l’action dans un profond noir & blanc, ou si la trame du
documentaire se détricote à la manière d’une de ses partitions espiègles.
Aussi, ce documentaire s’inscrit peut-être dans la période la plus riche et
hétéroclite du musicien alors ouvert aux vents contraires : free-rock
(avec le power-trio Massacre ou encore Skeleton Crew - et le regretté Tom
Cora derrière l’archet), impro foutraque pour guitare et cacahouètes, quand il
ne tape pas le jam avec John Zorn. On sent aussi poindre des velléités d’une
musique plus écrite au sens classique du terme (« The as Usual
dance…. »). Le liant de cette bande-son kaléidoscopique réside
certainementdans les nombreux morceaux
extraits de ces 3 albums parmi les plus fameux (et probablement accessibles)
que sont « Speechless », « Gravity », et surtout « Cheap
at Half the Price " et son distillat de pop bricolée et ludique .
On tient au final le portrait intime et attachant d’un musicien à l’allure
bonhomme qui a su rester humble et décontracté, et dont la curiosité malicieuse
n’a d’égal que le plaisir de la rencontre et du partage. L’environnement
immédiat pour Frith s’apparente à une vaste caisse de résonance où toutes les
expériences sont possibles.
Pour nous, auditeurs, Step Across the Border
constitue peut-être un chouette antidote pour combattre morosité de
l’infra-ordinaire, la bande-son parfaite pour qui se surprend encore à être
émerveillé.
L’Un.
Fred FRITH « Step
Across the Border (Fred Record. 1990)
Cette impression tenace de tenir quelque chose de trop poisseux entre
mes doigts le jour où je l’ai acheté. Quelques écoutes plus loin et pas encore
prêt à affronter cette coulée de lave au ralenti, de le ramener vite fait au
disquaire du coin (un peu comme avec le premier Eyehategod…). Pour le racheter
une fois la stupeur et la confusion initiales balayées… Cet été là, Vae Solis
est devenu le compagnon, idéal sur ma platine pour se coltiner 3 ou 4 bouquins
de ce vieux réac’ d’Ellroy…
Mettons tout de suite
les choses au point : le concept de « fusion », aura peut-être
trop souvent imprégné les courants musicaux émergents des funestes années 90’s.
Mais les régurgitations métalliques de ce premier Scorn se situent probablement
trop bas dans le spectre des fréquences pour rentrer dans les radars de ce
genre putassier. Ce duo de forcené
transfuge de la première incarnation de Napalm Death aura troqué les vertiges d’un
grindcore séminal pour sérieusement enfoncer la pédale de frein sous
sédatifs : la sortie de route est inévitable. Pour driver les machines, samples
et la basse, Mick Harris et Nick Bullen se sont offerts les services d’un autre
transfuge du Napalm Death originel pour les parties de guitare plombée…. Un certain
Justin K. Broadrick, celui qui était parti monter le Godflesh de son côté. La
boucle vaguement incestueuse est bouclée et le groupe peut commencer à déployer
son cauchemar éveillé au ralenti. Les premiers morceaux (« Hit », « Spasms »…)
restent encore ancrés dans le métal de leurs origines, délivrant une sorte de sludge-metal
anémié et atonal. Pivot central de l’album, « Deep in Eaten Over and Over »
nous offre une plongée claustrophobe dans les affres d’une déréliction sans fin. La suite s’allège
et se teinte de techniques dub à grand renforts de samples et d’effets de
larsen pour finir par se perdre dans les éthers païens d’une ambient glaciale à
l’angoisse palpable avec ce « Still Life » qui clôture l’album comme
on referme une chape de plomb. Je m’obstine encore à
penser que Vae Solis aura influencé tout ce qui s’est produit par la suite dans
les marges sombres du métal voire de l’indus, sans en être certain au final, ce
brulot étant restésans réelle postérité. Dans la discographie
même de Scorn, les albums suivants resteront de faibles équivalents, jusqu’au
départ de Nick Bullen qui laissera alors les coudées franches à un Mick Harrris
paré pour de longues apnées isolationnistes. Mais c’est là une toute autre
histoire dont le chaos en expansion permanente se prolonge maintenant depuis plus de 25
ans et une flopée d'albums mutants…