vendredi 13 novembre 2020

Disco secrète de l'Un 10/10 : Jim SAUTER & Don DIETRICH (2/3 BORBETOMAGUS) : "Bells Together"

" La colonne d'air est le volume d'air, premièrement emmagasiné dans les poumons, deuxièmement mis en pression à l'aide du diaphragme […] et des muscles de la sangle abdominale […], troisièmement géré par les lèvres ou la langue […], enfin poussé (en débit et vitesse) dans un instrument de musique à vent créant ainsi des vibrations. Ces vibrations ont à une ou plusieurs fréquence en relation avec la note entendue, et correspondent à un régime de résonance. Il est fondamental de conserver pendant plusieurs secondes la colonne d'air et de moduler les débits et vitesses afin de créer des sons harmonieux, justes et précis". – wikipedia

« - oh you’re a musician, what do you play? -I play saxophone.  - I love the saxophone ! - Well, I bet I could change your mind!”  (Jim SAUTER)

 

On va pas se mentir : pour parvenir à appréhender les assauts de ces terroristes sonores, il aura fallu un paquet de petits dej’ à s’enfiler le « Free Jazz » d’Ornette Coleman avec un café froid. S’imposer les stridences Ayleriennes  comme ascèse quotidienne aussi, sous le regard bienveillant d’un Hendrix égaré dans des espaces interstellaires. On ne débarque pas dans un monde aussi chaviré sans une préparation martiale, et quelques boules Quiès dans les poches. Février 1997, un bar borgne, The Nightingale, dans l’East Village. Borbetomagus se prépare à jouer, et la simple vibration de leurs pas sur la scène en bois déclenche un barrage de larsens avant même que ce trio de bucherons ne s’empare de ses instruments. La suite se perd dans des nappes saturées d’un son inouï qu’on aurait pu croire noyé dans colonne d’eau, tant la submersion (ou un rejet épileptique) de ce wall of sound halluciné est totale. Un nombre incalculable de bières à même le comptoir pour se remettre de cette expérience cathartique. Avec sa guitare et ses deux saxes suramplifiés, le combo newyorkais ne s’est jamais vraiment senti appartenir à la "scène" (free) jazz, ou à la musique improvisée, revendiquant plutôt ses influences vers ce bruit blanc qui dégueule des murs d’amplis d’un concert rock, sans pour autant se définir comme « rock ». Ces pionniers du bruit ultime opèrent depuis près de 40 ans, offrant des performances qui relèvent le plus souvent d’un potlatch psychédélique. Se coltiner le Metal Machine Music de Lou Reed en boucle sur un vieux radiocassette poussé dans ses retranchements peut donner
une idée de la force centripète féroce qui se dégage de leur musique cathartique.
Le temps de ce disque, Jim Sauter et Don Dietrich s’affranchissent de la Stratocaster de Don Miller et de toute amplification pour se la jouer en duo. C’est quelque part l’album unplugged de Borbetomagus. Les deux acolytes se connaissent et pratiquent les cuivres depuis l’école primaire. « Bells together » est le nom donné à la technique développée pendant leur adolescence qui consiste à plaquer le pavillon des saxes l’un contre l’autre, cherchant ainsi la collision des masses d’air en équilibre, de fines distorsions et autres harmoniques qui dégueulent sur les côtés. Sur cet enregistrement, Sauter et Dietrich peaufinent et déclinent cette technique dans toutes les directions possibles ; forcément extrêmes, même si « Monk Jimbo on Safari » s’éloigne des stridences d'usage pour se cantonner dans les infra-basses des 2 ténors,  sautillant gaiement comme un éléphanteau échappé d’un zoo. Avec les micros planqués dans les cuivres, qui vont au plus près du souffle à capter, on peut parler là de musique électroacoustique au sens le plus pur et radical du terme. Le fantôme lointain du « Bells » de feu Albert Ayler, lui, continue de hanter le disque depuis cette East River maudite, même si le groupe ne cesse de s’en défendre.  
Les 3 membres du ‘Magus poursuivent ça et là leur carrières en solo (Don Dietrich pousse encore plus loin le radicalisme de son saxe couplé à l’électronique), en duo (Sauter & Kid Million, Don Miller & William Hooker…) ou en trio (Sauter et le cryptique Rudolph Grey), et ne répètent guère ensemble depuis le temps, mais cette formule de trio décapant reste la meilleure lorsqu’il s’agit de nous délivrer leur bon vieux snuff-jazz : ce shoot roboratif d’endorphines sauvages n'atteignant notre cerveau reptilien qu'une fois la stupéfaction initiale dissipée.

 

L'Un.

Jim SAUTER & Don DIETRICH : "Bells Together" ( AgaricRecords. 1985)

 

 

 

  

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