dimanche 24 octobre 2021

Mary LATTIMORE "Silver Ladders"


Instrument à la fois subtil et imposant, la harpe est à la rigueur associée à la musique classique, mais très rarement aux musiques modernes, qu’elles soient « actuelles », « populaires » ou « amplifiées ». On peut citer Joanna Newsom et son revival folk, ou le swing inattendu de Dorothy Ashby (aux petits malins qui avanceraient Alan Stivell, on leur rétorquera qu'il s'git là de harpe celtique, ok ?). Loin d’en être à son premier essai, la versatile Mary Lattimore a mis de l’électricité dans le corps de l'imposant instrument et s’est associée au son de guitare fuligineux de Neal « Slowdive » Halstead, qui produit l’album. Rencontre inopinée qui transcende ce que la harpiste avait écrit jusqu’alors. 
Effet fusionnel. 
C’est un jeu de textures épaissies qui noie l’ensemble, tout en donnant une vigueur inattendue à ces délicats tricotages de cordes aux harmoniques enlevées. On est toujours à naviguer dans un entre-deux cotonneux, dans le clair-obscur d’un cabinet de curiosité. Toujours difficile de distinguer la part de mélancolie qui imprègne ces petites histoires contées en filigranes, quand les compositions en dentelle disparaissent sous les échos d’une brume électrique onirique. On pense très fort aux ritournelles des mondes imaginaires de Coleen, qui se retrouvent là nimbées d’un voile de vapeur trouble. Avec ce superbe Silver Ladders, Mary Lattimore se rapproche dangereusement de contrées ambient que peu auront eu le courage d’aborder de la sorte ces temps-ci.


L'Un.



Mary LATTIMORE "Silver Ladders" (Ghostly International. 2020)

 

lundi 18 octobre 2021

KMRU "Logue" (et Peel, et Jar et....)

"La contemplation, c'est suspendre le temps à coups de beauté" (D. Lamotte)


Ce qu’il faut peut-être savoir sur Joseph « KMRU » Kamaru, c’est cette exquise discrétion qui gravite en fines volutes une approche rituelle et intimiste du fait sonore. 

Tout est dit. Ou presque. 

A peine 24 ans, et ce jeune prodige Kenyan tisse déjà sa toile gracile entre Nairobi, Berlin ou autre Montréal. Son travail ressemble à une profonde méditation, dont le préalable serait cette longue et attentive écoute de son environnement direct. Enregistreur portable au poing, il se penche sur la réverbération d’un lieu où la vibration d’une ambiance, le petit incident sonore qui relève de l’infra-ordinaire. La suite se fait dans le calme d’un home-studio, à caler nappes et volutes de synthés par-dessus. On est là dans les canons gravés dans le marbre d’une ambient des plus classiques, non ? C’est en gros les remarques de quelques auditeurs qu'on peut glaner sur la Toile… Et c’est vrai. Mais peut-être que ce qui différencie un chef d’œuvre bien ficelé d’ambient du tout-venant doit finalement résider dans ce petit plus indicible : cette finesse d’une granularité bien pondérée, une mise en place aérée qui laisse les sons captés respirer par eux même. Le reste relève de l’accident heureux ou contient cette part de magie innocente et légère. Joseph Kamaru est un sorcier analogique. Comparé aux précédents Peel ou Jar, Logue, s’il reprend le même modus operandi et s’inscrit dans la même veine contemplative, montre plus de complexité. Dans la forme déjà, avec des morceaux écourtés, dans l’ensemble moins statiques (avec ce qu’il faut de planants), où les éléments posés interagissent entre eux de manière plus affirmée et dynamique. Les field-recordings sont moins étouffés, davantage mis en avant, secoués par des synthés qui ont délaissé les nappes épaisses pour de jolis séquençages en pointillés. L’élément rythmique aussi est beaucoup plus prégnant, renforçant le caractère organique de cet écheveau sonore. Une chaleur lumineuse, affirmée et sereine se dégage de Logue. Une mise en abime troublante aux effets hypnotiques et introspectifs qui nous ramène à ce sentiment primal de confortable hébétude. C’est peut-être pas si éloigné, dans l'attitude,  du lowercase de Steve Roden.... Mais ce qui est sûr en revanche, c’est qu'ici, les disques de KMRU passent en boucle, en rond, en large ou en travers depuis plus d'une année…

 

 

L'Un.

 

 

KMRU "Logue" (Inzajero. 2021)