vendredi 27 avril 2012

DISAPPEARS : "pre-language"


Les vu-mètres de la blogosphère sont dans le rouge avec le dernier DISAPPEARS. Normal : c'est du rock qui renvoie discrètement à un certain post punk des années 80's et en ces temps de vaches maigres arty et de post-rockers gras, ce genre de parution relève du petit miracle anachronique, flattant les oreilles quadragénaires les plus blasées. Du coup on a droit à une avalanche de chroniques truffées de très flatteuses références comparatives qui s'abat sur « Pre-language » comme une nuée de mouches excitées flairant LE disque du mois, de ceux que le marasme actuel des productions calibrées et débitées au kilomètre ne laissait plus espérer. Avec ce 3° album qui s'inscrit dans le rai de lumière laissé par « Lux », son prédécesseur, les chicagoans se sont adjoint à la batterie les services sobres d'un certain Steve « SonicYouth » Shelley, celui-ci se retrouvant au chômage après la mise en veille du combo new-yorkais. Mais là s'arrête toute ressemblance ou analogie avec Sonic Youth, la musique de DISAPPEARS étant trop directe (donc efficace ?) pour se mesurer aux dissonances de leurs ainés. Un garage-rock séminal, mécanique et désossé à l'extrême qui claque froid et sec, enveloppé d'une couche de brume électrique scintillante de distorsions noyées de reverb'. Les sarcasmes de la voix nasillarde et monocorde du chanteur distillent cette menace sourde qui fait tout le charme suranné de l'album: ça renvoie à un Mark E Smith (The Fall) sous perfu. Si « Lux » flattait déjà nos oreilles dans ce même sens, c'est ici l'adjonction par petites touches d'éléments appartenant à un registre pop qui aère « Pre-language », le rendant de fait plus ouvert et accessible (le perché "Hibernation Sickness" en est l'illustration parfaite), sans pour autant rogner sur le caractère sombrement hypnotique et caverneux, marque de fabrique du groupe ; et là, les errements acides et rampants de "Joa" s'imposent. La réussite dans cet album tient peut-être dans le fait que DISAPPEARS nous jouent là crânement leur musique, au mépris des modes et du temps qui passe. Le genre d'album qu'on a toujours eu en tête et qu'on repasse à l'envie, vous replongeant dans les excès neutres et stériles de drogues pas des plus recommandables, lunettes noires de rigueur. Une plongée hallucinée dans le grand nulle part de la nuit sans fin au rythme du grésillement des néons blafards, la veste en cuir élimée. Genèse d'un langage oublié, on en perdra probablement notre latin et gagné à la place quelques sueurs froides insomniaques.
Une madeleine de Proust avariée et addictive.
Une place de choix sur l'étagère entre les Cramps, Wire et the Fall.

L'Un.

DISAPPEARS : "pre-language" (Kranky. 2012).

vendredi 20 avril 2012

EXTRA LIFE: Dream Seeds


Cet album fait partie des moments surprenants, ceux où l’on s’arrête de faire les choses, étant pleinement absorbé par un événement inattendu. Ou encore en utilisant l’image de l’extra-balle, l’album que l’on attendait pas et qui nous ouvre de nouvelles perspectives, permet d’espérer un peu plus.
C’est en effet une particularité de ce disque que de nous emporter hors de tout, chez eux : loin des modes, des formats convenus, ils ont construit ces 45 minutes comme une balade, une histoire que l’on nous susurre au creux de l’oreille. C’est leur troisième album, l’énergie est omniprésente, dès le début dans cette balade acoustique : on sent la tension, la voix si particulière fait son effet, toute tordue et gutturale. Elle pourrait revenir des années 80, de cette période gothique, ou plus loin encore baroque ; puis elle est atemporelle car originale. Alors tout ce qui est dit devient fantomatique histoire.
Le terme n’est pas choisi par hasard, ils ont cherché par ce concept album à raconter une histoire sur des rêves d’enfants, des histoires autour de la mort, toutes issues de subconscients innocents, enfantins. Les thèmes tournent sans relâche comme des figures récurrentes d’une pensée pouvant être tantôt obnubilée, tantôt angoissée, ou encore hallucinée. Une bien étrange aventure intérieure qui fait mouche via cette voix étrange elle aussi. Elle est incarnée, et dès la première écoute j’ai laissé le lecteur repasser le disque. J’ai ensuite deux jours après, suite à un questionnement sur ce que pouvait donner à nouveau une nouvelle écoute, et dans d’autres conditions comme un voyage en voiture : expérience faite, le lecteur a tourné un moment, me permettant de m’imprégner, d’enregistrer les mélodies, de trouver ma place à accompagner le chant, l’espace est ouvert à cela, comme ayant pu faire partie de la composition.
En effet, cela est particulièrement marquant sur les phases harmoniques, les voix doublées, les répétitions de thèmes, les montées en puissance. Une expérience personnelle par l’immersion. Long morceau de 14 minutes, du mathrock à 2 kms/h sonnant comme une incantation : on ne peut que suivre cette magnifique incantation, pour tenter un moment de la submerger elle-même. Une vivacité roche des profondeurs de Earth.

On retrouve sur scène cette obsédante présence, ne les ratez pas !
Bien sûr tout cela n’est que subjectivité, comme tout ce qui a précédé, et tout ce qui suivra. Vous voilà prévenus !

L'Autre
En écoute :
sortie avril 2012

vendredi 13 avril 2012

Clark : Iradelphic

Warp reste un de ces labels qui ose, et donc sait nous surprendre. Plusieurs de ses artistes sont plutôt discrets sur scène, dans la lignée des présences non remarquables des électroniciens. Mais on remarque que Christopher Clark au milieu de tous ceux là, met les mains dans le cambouis : son irréprochable, mélodies fines et travaillées, instrumentations présentes (un peu de synthés et d’oscillateurs et surtout des instruments filtrés), et gros -massifs même- rythmes, qui ont fait sa renommée.
Ici dans ce dernier album qui n’est tout de même pas au niveau de Turning Dragon, un de ses sommets, on est dans le remarquable. Au fil des morceaux vous vous trouvez embarqués dans des rythmiques alambiquées et intelligentes : pas de binaire, des roues carrées pourraient on dire, sur des hymnes assez courts. La particularité tient en la diversité des textures utilisées, fleuretant régulièrement avec l’acoustique.
On pourrait dire tantôt baba, tantôt psychédélique, aux confins d’un dub plus que dubstep contrairement à la mode actuelle, des envolées qui font comprendre la présence récente de Brian Eno au sein de ce pool anglais. Clark joue des claviers, des synthés, du moog, et des instruments à cordes (guitares acoustiques essentiellement), le tout sans frime aucune : hanté par les fantômes des Floyd période Syd Barett, les sons s’égrènent simplement. Alors on n’écoute pas cet album autrement qu’en chaussons, fini le danse floor, même si certaines patterns nous donnent des démangeaisons.
Le morceau « Open » fait un clin d’œil à cette ouverture sur la diversité dont il fait preuve, confirmant tout les bonnes choses que produit ce courant IDM. Chanté à deux voies, cette mélodie est aérienne, sans peur de la répétition, l’utilisant comme un gimmick salvateur. Juste avant un rythme où l’on retrouve les grosses basses et profondes batteries qui ont fait sa patte : là plus loin, la voie féminine est doublée, la mélodie se déstructure encore, frôlant la comédie musicale (Michel Legrand pour le clin d’œil) où deux demoiselles chanteraient dans les rues d’une ville française sur des sonorités venant de plusieurs époques.
La mélancolie que nous transmet « Black Stone », seul au piano repose l’ensemble, très fortement. Instants nimbés de tristesse qui fait écho aux sonorités warpiennes typiques. Son réverbérant du profondément urbain. Le « Ghost » s’en est allé. à noter son travail sur les prises de son, présentent dans son clip ci-dessous.
La trilogie qui suit enfonce le clou, les titres s’enchaînent nous perdant définitivement dans un labyrinthe de réverbérations, de rémanences, un hymne pop à la Floyd première période à nouveau…puis quelques sautillements tout de même rappelant la belle ouvrage de ce jeune homme aux prestations scéniques puissantes et émouvantes, de ce frêle grand anglais timide, à la puissante mane créatrice, complexe et magnifique.


L'Autre


samedi 7 avril 2012

SHOI EXTRASYSTOLE ; installation sonore pour l'exposition photographique de Sophie Carles

Le présent cd, présente la bande son que SHOI (aka « EXTRASYSTOLE ») a composé et produit pour l'exposition photographique de Sophie CARLES qui se tient à la Collégiale Saint Pierre le Puellier d'Orléans. C'est là le fruit d'une collaboration avec la photographe, SHOI désirant mettre en valeur le travail se Sophie et établir des résonances.
La gageure dont SHOI s'est acquitté est d'avoir réussi à s'intégrer discrètement au sein d'une problématique triangulaire : trouver les point d'équilibre entre abstraction et narration avec le sujet principal de l'expo (… les photos !), tout en tenant compte de leur agencement dans cet espace particulier, ainsi que des contraintes acoustiques du lieu (une collégiale, c'est une église...).  Histoire de démultiplier l'affaire, les bandes-son sont produites en multidiffusion : la principale donne le ton à l'expo en général, la seconde se veut plus concrète (au sens noble du terme) avec sa diffusion sélective et orientée (on peut l'écouter sous de chouettes paraboles en plexiglas !) pour illustrer spécifiquement une série de photographies.
Globalement, la musique dont le caractère fantomatique est amplifié par la réverbération forte du lieu souligne l'absence directe d'humains dans les photos de S. CARLES, des traces de leurs activités seulement leur subsistant. Organique, elle se pose aussi en parfait écho aux vues panoramiques de ces vieux greniers remplis d'objets relégués et chargés d'un passé intangible. Elle est aussi suspendue dans les voutes de la collégiale quand elle répond à la stase de paysages de neige silencieux, eux-même reliés à ces mêmes voutes par de fins filaments métalliques.
La deuxième bande diffusée dans les paraboles est ce qu'il est convenu d'appeler l'empreinte sonore (sic) de vieux objets photographiés comme des portraits. Les spécificités sonores des dits objets sont mises en relief là aussi dans un rapport oscillant entre le son concret, et le grain du filtrage et des manipulation sonores. Ici, la proximité quasi physique du son vient s'opposer à la masse diaphane de la bande-son principale.
Sur le support digital joué sur un système hifi ou avec un casque audio, le travail de SHOI, diffère des conditions de diffusion pendant l'exposition prenant de la sorte un second souffle. D'une part, dans la collégiale, le volume est relativement faible et se mélange aux bruits des visiteurs et la réverbération très marquée du lieu, d'autre part deux bandes sont jouées simultanément avec le décalage inhérent à une diffusion en boucles. Le détail est gommé pour une approche globale confuse, comme un brouillard enveloppant les sens de l'auditeur et l'ensemble de l'exposition.
Sur le cd, toute la richesse et la complexité du travail de montage apparaît alors. On peut percevoir une approche progressive particulièrement sur le premier morceau, ou une montée en puissance s'opère au ralenti pour ensuite s'apaiser dans un vague flottement. L'ensemble est cohérent et s'articule en une succession de manipulations de sons concrets (dont la source est plus ou moins identifiée) qui s'emboitent et se télescopent, accentuant l'impression de drone. Si, depuis les bricolages de ses débuts je n'avais jamais douté des qualités de sa musique, j'ai pu au fil du temps observer ses productions s'affiner pour atteindre le degré de cohérence et de maturité avec la présente œuvre. De mon point de vue, il y a un important travail de l'épure dans cette œuvre, qui assied et confirme la position de SHOI dans le petit monde fermé et exigeants des sound-artists.

   


(note : l'exposition se tient à la Collégiale Saint Pierre le Puellier à Orléans jusqu'au 28 avril 2012. Les gens ayant LU cet article sans avoir VU l'expo ont encore une chance d'aller y faire un tour : un émerveillement pour les yeux. Sinon ils mourront dans la crasse et l'ignorance, sans avoir vu la lumière - ou ce qu'on peut en faire...)

L'Un.

- SHOI EXTRASYSTOLE : "bande-son & installation multidiffusion pour une exposition photographique" (autoprod°. Mars 2012)
- photographe : Sophie CARLES  
- scénographie : Audrey BOEY & Tiphaine MONROTY

- le site de SHOI et un extrait de la bande-son. 
- site de Sophie CARLES