lundi 28 avril 2014

JUANA MOLINA : "segundo"



Juana Molina fut un temps une présentatrice star de la télévision argentine. Puis elle s’est un jour tournée vers une carrière musicale en solo. Et bien lui en pris, car on est là aux antipodes de l’accident de parcours malheureux ou du caprice de star : Juana Molina écrit, chante, joue et compose. Et elle le fait bien. Ou plutôt de manière idiosyncrasique.
Elle tisse des ritournelles entêtantes et décalées au moyen d'une guitare dépouillée, d'une boîte à brouiller délicatement les rythmes et de quelques filtres bidouillés, calquant dessus son timbre de voix éthérée, qui vous susurre quelque chose de discrètement agréable non loin du creux de l’oreille. Un folk aérien sorti d’une imagination enfantine qui s’amuse à surfer sur de fins filaments d’électro-ambiant. On tourne les pages d’un herbier sonore aux vibrations graciles dénué de toute intention précise ou haute ambition. Ovni intime du moment précieux qui nous rappelle au passage qu’il existe bel et bien deux hémisphères dans le monde de la musique ; l’un, cependant plus léger que l’autre.

Segundo, comme son nom l’indique, est le deuxième album de la Miss Argentina (ndlr : chanson d’Iggy Pop) paru en 2000. Depuis au moins 3 albums creusant la même veine (le très bon dernier "Wed21" se distingant néanmoins de ses précédents en allant empiéter sur les traces de Björk, par exemple)à ; tous sont recommandables mais je garde une tendresse particulière pour ce petit second où tout son univers se pose et se définit là.

L'UN 

Juana MOLINA : "Segundo" (Domino. 2004)



lundi 14 avril 2014

OISEAUX TEMPETE ...ou plongeons un peu au coeur de la tourmente...

Lorsqu’à la première écoute d’un disque on  commence flanquer des épithètes  dans tous les sens,  à lui trouver pleins d’analogies  avec d’autres illustres artistes, c’est peut-être précisément qu’on tient là un album qui ne ressemble qu’à lui-même, qui en rien ne mérite qu’on lui accole le petit qualificatif  putassier qui rangera sagement l’ovni dans une catégorie pré-mâchée  pour le bonheur bonheur du consommateur compulsif de musique au gigaoctet… 
En fait, on ne parle même pas de rock ici, mais on déroule nappes, ambiances et climats, comme d’autres font la pluie et le beau temps pendant un avis de tempête. Ample trio de musique instrumentale dont les seules voix parcourues proviennent  d’enregistrements glanés sur le fil tendu de rencontres, les Oiseaux Tempête  pratiquent  l’art consommé de la nuance en demi  teintes  comme une plongée toute en retenue dans l’œil du cyclone. Longs arpèges de guitares grises. Les morceaux prennent le temps de se poser dans un temps cotonneux qui s’étire. La basse entretient les braises. Quelques touches de field recording qui ancrent un propos sombre et tendu dans une réalité à fleur de peau. On essuie un grain à prudente distance entre de longues accalmies. Ce goût de requiem aussi fragile qu’un obsessionnel battement d’ailes. Echos crépusculaires. Invitation au voyage désabusé vers des zones insoupçonnées de notre conscience résiduelle. Il y a là dessous un discret concept, éminemment social et politique, qui donne le cap à cette équipée. Comme une colère sourde nourrie de ces drames silencieux dont le trio rend compte, passeur de témoin et  flâneur aguerri aux déroutes d’un monde occidental vacillant, le notre. Ambition simple de nous narrer l’histoire d’un temps arrêté qui s’écoule sur des existences de bas-côté plombées.  De l’art et la manière d’accoucher de la bande-son poignante  de notre splendide déconfiture sociale shootée en plein vol. 

L'Un

OISEAUX TEMPETE : s/t  (SubRosa. 2013)



mercredi 2 avril 2014

Greg FOX : "Mitral Transmission"




Un « disque de batteur » en solo devient intéressant précisément quand celui-ci ne joue PAS de son instrument, à moins qu’il ne le détourne. Il révèle une personnalité musicale complexe, souvent mise en sourdine par les exigences plus binaires de la vie en groupe... On pense aux trajectoires électroniques de Jason Kahn,  Andrea Belfi ou Burkhard Beins, ou celle toute en poésie d’un Thomas Belhom.
Même derrière ses futs, Greg Fox est de toute façon un peu plus qu’un batteur, adepte beatnik d’une polyrythmie sans concession. Il aura auparavant officié dans un (très bon) groupe de black métal atypique (Liturgy), pour devenir le pivot central du power trio Guardian Angel, sensation écolo-hipster newyorkaise du moment (qui aura sorti en parallèle un tourbillonnant « Spiritual Emergency » hautement recommandé). Un batteur en vue qui n’oubliera pas d’aller se ressourcer en toute humilité dans l’antre de Milford Graves, batteur lui aussi, légende du free-jazz, gourou et guérisseur holistique ( !!).
Et c’est cette rencontre qui aura inspiré le projet solo de Mitral Transmission. Graves a développé tout un attirail permettant grosso-modo d’enregistrer le son, les flux et le rythme cardiaque (>> mitral…), que Fox aura évidemment expérimenté. Le matériau brut résultant de cette « physiophonie » constitue la base de travail de Greg Fox, par la suite séquencée, manipulée et traitée dans les filtres de l’ordinateur.
Le résultat s’apparente à un brouillon de raga improvisé qui ravira Terry Riley, du cyber-gamelan bordélique, des déflagrations de shamisen amplifié, le tout passé à la moulinette de la programmation aléatoire.  Si on occulte le côté inévitablement  new-age de la chose, on appréciera son caractère organique stricto sensu. On est pas bien là, quelques électrodes patchées sur le poitrail, à l’écoute de son biorythme intime ?

L’Un


Greg FOX : "Mitral Transmission" (DataGarden. 2014) 
une interview de Greg FOX sur Noisey (in french !)



(Greg Fox, volcanique dans le trio Guardian Angel (live)...)