samedi 21 juillet 2018

KEVIN DRUMM : Inexplicable Hours, Trouble & Humid Weather

"vous croyez avoir atteint les marges de ce  monde alors que vous vous situez en son coeur même." (vieille note d'origine non-identifiée).


Ben mon cadet, lui, ça va pas être de la tarte de le chroniquer : page Bandcamp longue comme un bras, quand ses disques sont peu enclin à inonder les bacs des disquaires. Les angles d’attaque alternent en continu, l’abstraction de rigueur se veut hermétique, sans pour autant verser dans un conceptualisme d’usage. En passant la bio du Chicagoan  au crible, les seuls points d’ancrage possibles, sont cette collaboration  avec Jim O’ Rourke au sein de l’ovni proto post-rock Brise-Glace, et celle plus récente avec le bruit et la fureur de Prurient (n’y voir là aucune coïncidence dans les choix éditoriaux récents). Artiste actif depuis presque 3 décennies, sa discrétion contraste avec les déflagrations soniques de ses débuts, sa prolixité conforte et étire son orientation vers une oscillation apaisée. Artiste tout en paradoxes à résumer succinctement au fil de rencontres inopinées en forme de coups de cœurs épars dans sa discographie.

Avec « Trouble », Drumm signe peut-être là une de ses œuvres les plus radicales, aux limites de l’audible et des genres.  Comme délibérément sous-enregistré à l’instar d’un peu de neige salie d’un Bernhard Günter, les fragiles échos fantomatiques semblent figés dans un statisme erratique. Au contraire d’une ambient d’ameublement, ou d’un bourdonnement continu, le minimalisme en chausse-trappe de l’inconfortable Trouble expérience ne s’acquiert que  par une attention opiniâtre et soutenue quand bien même nous serions tentés de pousser le volume de l’ampli en permanence. Musique de flottements effacés qui se dérobent à nos sens et sous nos pieds.
« Humid Weather » doit se situer quant à lui quelque part aux marges transitoires dans la discographie de Kevin Drumm (ou au cœur de ses obsessions). A l’instar des travaux d’un Francisco Lopez, l’expérience se veut organique et immersive, à guetter et triturer le phénomène sonore. Méditation (souvent) bruitiste en forme d’écolo-trip dans un environnement humide, probablement chaud, et certainement hautement corrodé.
 
Dans la lignée « mais il avait encore quelque chose à dire ? » le label bordelais Sonoris remet le couvert après un somptueux coffret de 6 x CD’s que je prenais pour anthologique et définitif. Mais « Inexplicable Hours » continue de déployer un kaléidoscope perpétuel aux oscillantes facettes. Le premier morceau doit quelque part donner un La de façade, creusant le sillon chaleureux d’un drone profond et sinusoïdal, quand les autres morceaux se perdent dans des ondulations continues (« Blind Spot ») ou les résonnances d’un vaste dédale d’échos (« Social Interaction »), ou collent au plus près aux expérimentations séminales d’Eliane Radigue (« Reverse Osmosis »). Note discordante (et morceau de bravoure) avec « Old Connections » alternant manipulations rituelles de field-recordings et phénomène vibratoire des plus austères.

Artiste inclassable dont l’évidence de ses expérimentations  reste à une saine distance de l’académisme des avant-gardes de salon, Kevin Drumm instille une part d’âme intangible dans le signal de ses oscillateurs et captations en déroute, impondérable facteur H.
Pour une musique de sieste, d’émerveillements et de voyages imperturbablement immobiles (avec en prime cette exquise pulsation dans le canal auditif gauche).

L'Un.


(Inexplicable Hours. Sonoris 2017 / Trouble. Mégo 2014 / Humid Weather - 2012 auto-produit > Bandcamp)