mercredi 19 avril 2023

The SHITS : You're a Mess

“My life means nothing and neither does yours” (The Shits)

 

« Quelque part entre les Stooges, Brainbombs et Hammerhead ». Ce genre d’accroche suffisamment racoleuse lue je sais plus où sur la Toile qui aura capté l’attention…. Alors okay, les Stooges on les cite souvent histoire de filer quelques crédits à un groupe en devenir plein d’énergie, de morgue et d’attitude* (en anglais dans le texte). Mais dans ce cas, on doit parler des bootlegs les plus perraves du quatuor d’Ann Arbor que même des labels comme Skydog n’auraient jamais osé éditer… Les Stooges donc, pour le son et la flamme vacillante… Hammerhead ? Ouaip. Ou n’importe quel autre groupe plus-lourd-et-plus-balaise-tu-meurs des grandes années des labels de la trempe d’Amphetamine Reptile, et ça le faisait tout autant. Mais ressortir le rock industriel et poisseux des misanthropes de Brainbombs c’est plutôt rare et bien burné. Et surtout alléchant. Le cadre de référence est ainsi posé et avec un nom qui vous flanque d’emblée une bonne diarrhée cérébrale, The Shits a tout du groupe de baltringues menaçants, appel d’air vicié dans le petit écosystème propret des productions musicales estampillées "rock". Mais il est vrai que le genre est moribond depuis une bonne trentaine d’années jusqu’à ce que NME s’entiche du next big thing à perfecto et acné encore juvénile qui fera tripper grave la swinging London pour quelques semaines éphémères. Mais là on pioche la case mauvais sang, mauvais coucheurs et mauvais trip tatoué sur le front : ces gars-là on va pas les voir en concert pour se taper une bonne tranche d’humour anglais proverbiale. Là on est juste dans une interzone fangeuse, comme savent si bien en produire les sinistres banlieues post-industrielles des villes du nord de la perfide Albion. Le constat est ainsi dressé avec ce You’re a Mess à l’index - sinon le majeur - accusateur et sans possible rédemption qui vous renvoie à vos minables petitesses. Avec l’inaugural In My Hotel Room, infra-ballade flippée (et effectivement stoogienne en diable) qui tourne en rond avant de régurgiter toute sa colère rentrée, on voit à peu près la galère de soutier qui nous guette. Parce que musicalement ça vole pas haut : oui c’est du rock (ou c'est comme ça que c'est censé être). Du vrai, avec des poils, quelques grognements primaires et une poignée d’hormones sous vide. On rampe littéralement à essayer de s’extraire de cette fosse sans fond. Bouillie sonore parcourue de ce qu’il faut d’électrochocs, de rythmes linéaires et concassés qui peinent à dépasser le mid-tempo. Les riffs basiques et efficaces tournent jusqu’à l’écœurement pour mieux porter un chant imprécatoire et vaguement dilettante. Musique d’égouts et de dégout. Catharsis crasseuse. Eloge de l’aliénation et de l’oblitération sociale. No Fun chantait l’Iguane; Waiting (ou Alone…) martellent les Shits à ne plus rien espérer qu’éructer un fatras dissonant entre deux bières tièdes. Bienvenue dans le 7° cercle de l’enfer : au dernières nouvelles ce dernier est péri-urbain, avachi dans une banquette d’un pub de seconde zone. Quarante ans plus tard, le punk n’a toujours pas  fini de nous affliger à grand coups de bastonnades sédatives.

  

L’Un.

The SHITS "You're a Mess (RocketRecording. 2023)

jeudi 6 avril 2023

OXBOW & Peter BRÖTZMANN : An Eternal Reminder of Not Today

« Whatever people think, I’m a jazz musician. And what is jazz without blues? Okay, saying that might sound funny because I’m a European guy. It might sound funny to American people, but I think you can have the blues in very different ways, and I don’t think that as a European you can’t have the blues. My god, no. You have them often enough. Listen to Bartok and those guys. They aren’t playing the blues, but they have their own way to express things. My thing comes from being German. You won’t find a guy in France playing like me. They’re good players, fantastic really. But they’re so fucking French. Everyone is a victim of their own environment. » (Peter Brötzmann)

 

 

Punaise ! Au rythme de plus en plus erratique où les albums d’Oxbow paraissent (10 ans entre Narcotic Story et Thin Black Duke…), ça a beau être un live, on ne va pas bouder son plaisir, d’autant que notre quatuor franciscain assure autant en studio que sur la scène, espace de confrontation cathartique par excellence. Une passion forcenée pour la scène que l’octogénaire Peter Brötzmann partage tout autant, sauf qu’en près de 6 décennies de carrière on ne compte plus trop le nombre de fulgurances épileptiques gravées sur des galettes de vinyle. Mais le bonhomme et fringant souffleur est toujours prêt à relever le défi d’une collaboration improbable. C’est pendant le festival allemand de Moers en 2018 qu’on aurait suggéré à ces musiciens qui ne se connaissaient pas, de partager la scène. Et nul doute que ce super quintette adhoc  n’a pas dû être difficile à convaincre et réunir, l’énergie brute constituant leur plus petit dénominateur commun. Peu de répétitions donc ; place à l’action directe avec cette petite dose de sauvagerie contrôlée pour supplément d’âme. Le répertoire du concert est pioché dans la discographie d’Oxbow, de l’initial Fuckfest au récent et surproduit Thin Black Duke. Les morceaux seront étirés au gré des errances et improvisations. D’emblée un terrain d’entente plus ou moins balisé est trouvé à louvoyer sur Angel et son format de balade bluesy : après tout le guitariste Niko Wenner a toujours prétendu qu’Oxbow n’était rien d’autre que du blues chauffé à blanc avec des riffs de guitare simples qui tournent en rond. La suite se corse, et se radicalise, le vieux briscard prenant ses marques à enrouler son ténor autour des vocalises et déclamations imprécatoires d’Eugene Robinson dans une course poursuite en arabesques encore hésitantes. Brötzmann joue bien du Brötzmann, et des années d’improvisations et de collaborations lui donnent cette aisance naturelle à s’adapter instinctivement avec ses partenaires en crime du moment. La levure prend parce que des liens invisibles tissaient déjà un réseau de rhizomes  entre les univers respectifs de ces deux monstres scéniques bien avant leur rencontre. On sent qu’un rapport de force amical s’installe entre le saxo et le chanteur, tous deux bien rodés et totalement à l’aise dans cet exercice de contrôle territorial. Ils se cherchent l’un et l’autre, aux aguets, à l’affût, pour mieux rebondir et prendre un élan cathartique et expiatoire. Les deux colosses tirent la couverture, épaulés par les autres musiciens légèrement en retrait, un peu confinés dans un rôle de backing band triple AAA. La basse est ronde et bien appuyée, sereine. La guitare de Wenner se permet quelques instants paroxystiques, quand Greg Adams, royal et imperturbable derrière ses fûts, assure la cohérence et relance la machine. Et nul doute que ce doit être un régal pour Peter Brötzmann quand on sait l’importance qu’il accorde au batteur dans une formation. Deux « entités » au sommet de leur art qui savourent en temps réel ces indicibles fractions de grâce. Brötzmann au fil des ans à légèrement adouci les rugosités ayleresques de ses stridences pour développer une approche plus nuancée dans son jeu. Pour les Américains cette collaboration signerait presque leur consécration, leur apportant une aura de respectabilité méritée qui leur faisait pourtant tellement défaut. Ce que cet enregistrement ne nous dira jamais, c’est si Eugene est resté fidèle à lui-même, le micro dans le slip. Au moins il a su garder le scotch sur les oreilles… 

 

L'Un.

OXBOW & Peter BRÖTZMANN : An Eternal Reminder of Not Today (TrostRecords. 2022)