OXBOW & Peter BRÖTZMANN : An Eternal Reminder of Not Today
« Whatever people think,
I’m a jazz musician. And what is jazz without blues? Okay, saying that might
sound funny because I’m a European guy. It might sound funny to American
people, but I think you can have the blues in very different ways, and I don’t
think that as a European you can’t have the blues. My god, no. You have them
often enough. Listen to Bartok and those guys. They aren’t playing the blues,
but they have their own way to express things. My thing comes from being
German. You won’t find a guy in France playing like me. They’re good players,
fantastic really. But they’re so fucking French. Everyone is a victim of their
own environment. » (Peter Brötzmann)
Punaise ! Au rythme de plus
en plus erratique où les albums d’Oxbow paraissent (10 ans entre Narcotic Story
et Thin Black Duke…), ça a beau être un live, on ne va pas bouder son plaisir,
d’autant que notre quatuor franciscain assure autant en studio que sur la
scène, espace de confrontation cathartique par excellence. Une passion forcenée
pour la scène que l’octogénaire Peter Brötzmann partage tout autant, sauf qu’en
près de 6 décennies de carrière on ne compte plus trop le nombre de fulgurances
épileptiques gravées sur des galettes de vinyle. Mais le bonhomme et fringant
souffleur est toujours prêt à relever le défi d’une collaboration improbable. C’est
pendant le festival allemand de Moers en 2018 qu’on aurait suggéré à ces
musiciens qui ne se connaissaient pas, de partager la scène. Et nul doute que
ce super quintette adhoc n’a pas dû
être difficile à convaincre et réunir, l’énergie brute constituant leur plus petit
dénominateur commun. Peu de répétitions donc ; place à l’action directe avec cette
petite dose de sauvagerie contrôlée pour supplément d’âme. Le répertoire du
concert est pioché dans la discographie d’Oxbow, de l’initial Fuckfest au récent
et surproduit Thin Black Duke. Les morceaux seront étirés au gré des errances
et improvisations. D’emblée un terrain d’entente plus ou moins balisé est
trouvé à louvoyer sur Angel et son format de balade bluesy : après tout le
guitariste Niko Wenner a toujours prétendu qu’Oxbow n’était rien d’autre que du
blues chauffé à blanc avec des riffs de guitare simples qui tournent en rond.
La suite se corse, et se radicalise, le vieux briscard prenant ses
marques à enrouler son ténor autour des vocalises et déclamations imprécatoires
d’Eugene Robinson dans une course poursuite en arabesques encore hésitantes.
Brötzmann joue bien du Brötzmann, et des années d’improvisations et de
collaborations lui donnent cette aisance naturelle à s’adapter instinctivement
avec ses partenaires en crime du moment. La levure prend parce que des liens
invisibles tissaient déjà un réseau de rhizomes entre les univers respectifs de ces deux monstres
scéniques bien avant leur rencontre. On sent qu’un rapport de force amical
s’installe entre le saxo et le chanteur, tous deux bien rodés et totalement à
l’aise dans cet exercice de contrôle territorial. Ils se cherchent l’un et
l’autre, aux aguets, à l’affût, pour mieux rebondir et prendre un élan
cathartique et expiatoire. Les deux colosses tirent la couverture, épaulés par les autres musiciens légèrement en retrait, un peu confinés dans un rôle de backing band
triple AAA. La basse est ronde et bien appuyée, sereine. La guitare de Wenner
se permet quelques instants paroxystiques, quand Greg Adams, royal et
imperturbable derrière ses fûts, assure la cohérence et relance la machine. Et
nul doute que ce doit être un régal pour Peter Brötzmann quand on sait
l’importance qu’il accorde au batteur dans une formation. Deux
« entités » au sommet de leur art qui savourent en temps réel ces indicibles fractions de grâce. Brötzmann au fil des ans à légèrement adouci les
rugosités ayleresques de ses stridences pour développer une approche plus
nuancée dans son jeu. Pour les Américains cette collaboration signerait presque
leur consécration, leur apportant une aura de respectabilité méritée qui leur
faisait pourtant tellement défaut. Ce que cet enregistrement ne nous dira
jamais, c’est si Eugene est resté fidèle à lui-même, le micro dans le slip. Au moins il a su garder le scotch sur les
oreilles…
L'Un.
OXBOW & Peter BRÖTZMANN : An Eternal Reminder of Not Today (TrostRecords. 2022)
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