vendredi 25 mai 2012

JK FLESH (aka Justin K. Broadrick) : "Subhuman"


Inutile de s'en cacher : en ce qui me concerne, la colère écrasante et sur-saturée de larsens des mythiques Godflesh fut une influence majeure indépassable au cours de ces 20 dernières années. Un rite initiatique et par la suite une grille de lecture pour toute production ultérieure tendance dure, lourde et sans concession. Les murs tremblants du Théatre de Ménilmontant se souviennent encore de leur premier passage à Paris, le public hypnotisé et passablement assourdi aussi (ben oui, « à l'époque », on se foutait bien de la limitation du volume sonore...). Depuis, j'ai toujours gardé une oreille distraite mais fidèle sur les productions pléthoriques de Justin K. Broadrick quels que soient ses avatars (Godflesh donc, Jesu, Techno-Animal, Pale Sketches et j'en passe) ou ses collaborations (sur un album de Painkiller, ou encore le premier Scorn, plus récemment The Blood of Heroes ou Necessary - derrière les manettes dans ce dernier cas). Pour ce son de guitare à la dissonance si particulière ; pour cette façon d'exprimer ses obsessions dévorantes en évoluant de manière systématique à la marge de styles définis (métal « extrême », industriel, hip-hop, ambiant, drum & bass...) échappant de fait à toute tentative d'étiquetage stérile, mais créant de la sorte un pont entre toutes ces musiques, un lien ténu mais par la suite évident.
JK Flesh est le pseudo utilisé par dérision avec K-Mart (Kevin Martin) au temps de Techno-Animal. Là, il est utilisé par JkB pour marquer son retour solo, certes, mais dans une veine proche sinon parallèle aux égarements hip-hop-indus de Techno-Animal. A moins que ce ne soit quelques étages en dessous du rez-de chaussée : car là, on ne rigole pas. Il semble que JkB ait délibérément emprunté le chemin inverse à la veine lumineuse et extasiée de Jesu, son projet précédent, dans un accès vital de bipolarité :
bien/mal
profane/sacré
clair/obscur
alpha/oméga
… comme autant d'extrêmes opposés s'équilibrant en leurs centres vides. Besoin, après s'être débarrassé des scories encore fumantes de Godflesh avec le doux Jesu, de renouer avec ses amours/haines initiales parce qu'inhumains, trop inhumains. « Subhuman », c'est l'intégration verticale du savoir-faire et des tensions accumulés dans les projets précédents au service d'une claustrophobie sans retour, le seul constat jugé viable (mais peu enviable) qui s'imposait à Justin Broadrick par ces temps cruels qui courent et s'essoufflent. On retrouve LA guitare de Godflesh, grain abrasif et stridences menaçantes, couplée de rythmiques au groove titubant, souvent souligné par un jeu de cymbales hi-hat appuyé (pas loin de Scorn en somme). Les basses restent sales et étouffées, et plus que jamais les grognements de JkB et autres sombres ruminations sont traités et déformés plus qu'à l'accoutumée. On avance la rage aux tripes, dans un cauchemar bétonné qui se craquèle insidieusement pas après pas : ce n'est pas du dubstep mais du post-step (?!), syncopes distordues et pulsations en boucles. Une façon comme une autre d'annoncer que les lendemains à venir ne vont pas nous sourire, mais plutôt nous laminer la gueule ; et avec méthode. Ouais je sais, c'est pas terrible, mais il est comme ça Justin Broadrick, prophète sonique énervé qu'il est à titiller de la sorte une improbable post-apocalypse et un bon paquet d'emmerdes à venir... Le mieux étant peut-être de rallumer son poste de télé une fois l'album terminé : fuck your dreams.

L'Un.

JK FLESH : "Subhuman" (3by3. 2012)
blog de Justin K. Broadrick (avec liens vers d'autres pages)

extraits promo de l'album
deux interviews intéressantes et (pour anglophones, sorry !)

vendredi 18 mai 2012

UNSANE: Wreck


Rien ne change, l’effondrement du système se poursuit, consciencieusement. De chute en dévastation, les sonorités restent les mêmes, les cris sont des hurlements, le déchaînement exponentiel engendre de nouvelles fractures, de nouvelles colères.
Bâtir son œuvre là-dessus a contribué à ce que nous regardions ce nouvel album d’Unsane avec l’émotion de recevoir une lettre d’un frère d’armes. Surgit dans les années 90, le trio a d’entrée basé son travail sur un son puissant, au confins de la noise et du métal. Nombreux furent les musiciens à se prendre une claque lors de leurs concerts violents soniquement, attisés qu’ils sont (encore) par les distorsions de la basse et de la guitare, traînantes et porteuses de courtes mélodies de Fender, d’une voix écorchée, le tout appuyée par une incroyable batterie de bûcheron.
Bûcheron oui, mais d’une finesse étonnante : car la force se trouve ici dans le choix précis des moments où la caisse claire claque, où des roulements vont changer la rythmique, contrairement à ce que font beaucoup d’autres dans une recherche technique et une surenchère. Notre bûcheron s'ingénie à produire des allumettes avec un séquoia...
Pour la petite histoire rappelons que la batterie est tenue par Vinny Signorelli, ancien batteur des Dots, puis des Swans et Foetus, rien que ça.
Leur blues à eux vient des tripes comme tout bon blues. Et tant qu’ils continueront à hurler le mal être d’une génération, leur musique continuera de se manifester au creux de nos âmes jusqu’à ce que cela change. Enfin quand on entend ça, on a carrément pas envie que ça change… au cœur même de l’album, ils enquillent un hommage à l’hymne « hahaha » de Flipper combo défunt (partiellement) que certains survivants souhaitent faire revivre ; pas de revival ici, une réaffirmation que la génération des groupes hardcore made in 90 en avait à dire. Ouf on est rassurés !
La seule différence est l’élaboration d’un son extrêmement travaillé sur l’instrument, justement retranscrit dans les enregistrements, fidèle adaptation de la scène. La chose n’était pourtant pas entendue dans les premiers albums. Toujours est il que depuis deux décennies, des centaines de concerts, un line-up stable a écrit une page de l’histoire du rock. Il y a eu quelques tentatives parallèles, qui malgré les personnels participant faisant partie du gratin (comme dans Celan) le résultat peinait à me convaincre sur disque. Ils ont bien fait de se concentrer finalement sur Unsane !
Dès le premier morceau, on retrouve l’efficacité remarquée dans l’album Scattered, Smothered & Covered. Certaines phases sont d’ailleurs proches d’un Scrape. Stuck montrera plus loin que les nymbes peuvent parfois être proches d’eux, que générationnellement ils furent frangins des Melvins et Nirvana, et bien évidement de Neurosis, que l’énergie produit la technique, et que la respiration et les silences produisent l’émotion.
Les voilà donc posant leur rock puissant, souligné par un harmonica sur No Chance, avançant inexorablement et lentement, comme le rouleau compresseur qu’il sont. L’image n’est pas usurpée ou même affadie : il y a quelque chose de violemment implacable et féroce dans cet abattage qui ne laisse le terrain que transformé. Un vide sans vrai silence, une résonance fantôme. Le souffle intérieur de l’ancien monde moribond.

L'Autre

vendredi 11 mai 2012

Damien JURADO : "Maraqopa" et son folk astral...

C'est dans un univers extrêmement sensible et fouillé qu'on rentre d'emblée dès le feu d'artifice « Nothing is the news » qui ouvre ce nouvel album de Damien Jurado.
Ce genre de morceau envoûtant qui à lui seul justifierait le disque. Plongée fortement patinée d'un certain esprit 70's dans un folk-blues aux errements psychédéliques, pour ne pas dire acides. Sa voix suave se place, flottante, au milieu de solos de guitares agrégés en nappes mouvantes. Atterrissage en douceur sur des sentiers d'un folk légèrement plus dépouillé (qui ne lâchera pas la suite de l'album) avec ce « Life away from the garden » troublant, les chœurs d'enfants répondant au chant de D.J. Une certaine nostalgie, un regard tendre sur un passé révolu et généreux s'installe là et pose toute la couleur de l'album. Et ce n'est pas le suivant « Maraqopa », et son folk astral incantatoire qui contredira cette impression.
En fait ces 3 premiers morceaux justifieraient bien à eux seuls l'existence d'un tel disque.
Une courte pause le temps de griller un bâtonnet d'encens, pour s'enfiler la suite d'une traite, un peu plus « convenue » à mes oreilles profanes en matière de folk,  mais si bien balisée par les morceaux sus-mentionnés, avec une petite touche exotique en plus ça et là ( « This time next year »...) et en évitant la redite. Ne connaissant pas la carrière de JURADO, je me permettrais seulement d'affirmer après l'écoute rapide de quelques morceaux piochés dans sa discographie pour le moins conséquente (...8 disques depuis 2003 !!), qu'un effort de production sans équivalent fait toute la différence, étayant chaleureusement le propos. L'univers de JURADO resté intact mais transcendé de la sorte lui permet de se hisser de quelques crans et de pouvoir rivaliser l'air de rien dans la cour des grands, qu'ils s'appellent Bonnie Prince Billy, Timber Timbre ou encore Bon Iver. Si, au fil des titres, se décèle une évidente connexion avec un certain Neil Young, loin de là l'idée d'une copie envieuse ou d'un crime de lèse-majesté : « Maraqopa » reste un album en phase avec son époque, puisant sans complexe son inspiration dans un passé riche et généreux. Il y a de la place pour tous... Sans aller jusqu'à affirmer que 2012 connaitra un avant et après « Maraqopa », on sait déjà qu'il faudra compter avec, à ce moment crucial de fin d'année lorsque s'établiront ça et là les inévitables « Bestof2012 »...

L'Un

Damien JURADO : Maraqopa" (SecretlyCanadian. 2012)
Le SITE de l'Artiste
on peut écouter son album sur Deezer

dimanche 6 mai 2012

chronique croisée: Guillaume Gargaud / Nicolas Dick


Un voyage en voiture, de la pluie, seul avec de la musique. Pas de distractions autres que les aléas de la route, ce qui est déjà plus que vautré dans son salon, j’avoue. 4 heures d’isolement empreint d’un accompagnement sonore complice, grâce aux deux disques que je vous présente aujourd’hui. Chroniques croisées pour deux albums solos de guitaristes émérites et sereins. Envols apaisés en nappes volatiles, soutiens électriques de rêveries naturalistes.
L’introduction minimaliste de Guillaume Gargaud annonce d’entrée que l’on va devoir s’abandonner à l’écoute : une nappe sonore longue, étirée, d’apparence simple monolithe mais construite de légères aspérités qui provoquent des sons fantômes dans l’abandon de l’écoute : les harmoniques se succèdent, s’enchevêtrent, construisent au creux de l’oreille de l’auditeur des mélodies. Ce mode de composition architectural va se prolonger tout le long des morceaux à suivre. L’ordinateur sert la composition et non l’inverse, dans le sens qu’il se tient au service de la guitare en aménageant l’espace pour mettre en lumière les interventions de guitare.
Mode opératoire approchant pour le disque de Nicolas Dick (guitariste de Kill the Thrill), qui lui ne s’est armé que d’instruments : de sa guitare pour la majeure partie, mais aussi d’un accordéon méconnaissable tant la douceur et la suavité séduit. Ajoutons à cela un morceau à la voix, et le morceau titre de l’album à la pédale steel.
Loin de l’esprit folk lui aussi, c’est l’approche naturaliste, paysagiste pourrait on dire qui provoque la construction des morceaux. Hymnes syncrétiques où les effets de mise en boucle sculptent un enchevêtrement d’accords, dont la bonne partie se trouve exempt d’attaque : on n’a ni le coup de médiator ou le frottement de la corde, mais plutôt la vibration créée. Le souffle de ce qui vient de se produire construit le présent. Tant l’un que l’autre, les rémanences ambiantes sont soit urbaines, tendance désert post nucléaire, où l’humain n’est plus présent, ou de grands espaces parfois désertiques, ou bien fleuretant avec l’aquatique, le vent dans les arbres.
Nicolas sculpte des paysages, Guillaume navigue dans les siens. La force surgit des travaux, créant des symboliques étranges et familières. La suggestion d’images fonctionne à merveille. Un film s’invite au creux de nos méninges, lent document nous soulevant de terre. Future Sound Of London n’est pas loin, première période. L’électronique des Young Gods époque Heaven (« only… » & « …deconstructed »), sage épilogue de l’industriel sans vocaux. Ou encore le Baddalamenti ambiant sombre et minimal qui provoque une angoisse rien qu’en une note.
La poésie électrique existe donc encore, de par la légèreté, la complexité et la sensibilité qui servent de base à l’édifice des ces deux solistes. Une petite merveille d’horlogerie pas suisse. C’est humain, les titres des morceaux évoquant des états, des personnes, de SHE pour Guillaume Gargaud à UNE BELLE JOURNEE de Nicolas Dick
Un voyage à faire, à vivre en fait, comme tous les voyages, même intérieurs.

L'Autre

http://www.myspace.com/nicolasdick 
sur LES DISQUES DE PLOMB
désolé pas d'autre lien d'écoute que MS de M....