Ça aurait tout aussi bien pu être la première phrase du présent livre, si elle n'était pas aussi connotée et sujette à controverse. Les trois points de suspension ayant toute leur importance, on ne voit pas après pareille assertion où l'auteur aurait pu nous emmener par la suite, tout étant dit et en suspension. Mais David Toop tient à développer quelque peu le propos. Avec la mitraille qu'il faut pour l'exprimer : journaliste musical (notamment pour le très pointu « the Wire »), chroniqueur, musicien pointu (compositeur, assembleur de sons, improvisateur...), découvreur d'instruments oubliés, il aura rencontré, fréquenté ou interviewé une pléthore de musiciens dont Sun Ra, ou encore King Tubby, Aphex Twin ou Brian Wilson...
Il pose les jalons de cette tendance à la musique immersive et globale, l'ambient aux alentours de 1889, lorsque Debussy fut confronté sans recul au gamelan balinais. En ces temps on ne parlait pas encore de métissages culturels et le terme commercial de world music n'existait pas encore. La partition était encore vierge, « un monde immense de délices fermés à nos cinq sens » (William BLAKE) à explorer, théoriser, expérimenter.
Auparavant, mais non sans oublier de mentionner quelques mésestimés de l'histoire musicale du 20°siècle (le bruitiste Russolo, ou les minimalistes américains), une certaine définition de l'ambient sans pour autant qu'elle soit restrictive : Brian Eno l'a quelque part définie, bloqué sur un lit d'hôpital, incapable de monter le volume de la musique qui passait, celle-ci du coup noyée dans le bruit environnant : évident mais radical.
Au fil des chapitres suivants, se dessine une histoire transversale de l’aventure sonore ; de sa plasticité, sa texture, sa multiplicité, au gré de théories et expériences aussi variées que les horizons de leurs créateurs. On navigue ainsi de Stockhausen à Biosphere, John Coltrane, Scorn, Hendrix ou Edgar Varese, tout en interrogeant et croisant la littérature (Pynchon, Josef Conrad), les sciences sociales ou occultes, ou encore les progrès technologiques sans transition, aucune ; et surtout sans complexe, aucun. Nul doute que l'érudition de l'auteur et sa capacité à reconnecter ces liens brisés ou indicibles rend possible ce tour de force improbable. Les notes extraites du journal de bord d'un voyage de l'auteur au cœur de la jungle amazonienne à la rencontre de ses habitants et de leurs rites sont à ce titre exemplaires, démonstration finale d'une certaine conception organique de l'écologie sonore (qui rappelle au passage les field-recording de Francisco Lopez ou de Chris Watson ou encore Geir Jenssen ), voire socio-politique sur les toutes dernières pages.
La forme employée est un patchwork confus d'articles, de chroniques, de notes personnelles ou de bribes d'interviews qui prend tout son sens sur les dernières pages : pris par la main par un chamane, un passeur, on aura fait un voyage kaléidoscopique aux sources mêmes de la vibration continue : le bruit du bruit, qui nous happe au cœur de paysages envoutants, sans autres limites que celles à la croisée de nos expériences sensuelles et intellectuelle… (hautement recommandé).
L'UN
DAVID TOOP : Ocean of Sound ; ambient music, mondes imaginaires et voix de l'éther.
tout aussi indispensable :
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