mardi 23 juillet 2013

MonteIsola : "Niebla"

on peut toujours y voir un signe : j'ouvre la fenêtre de la chambre, et par delà un gazouillis insistant d'oiseaux , le fond de l'air sent la chaleur douce d'un été qui tarde à venir, une vague odeur de résineux en suspens dans l'humidité. Peut-être n'aurais-je rien senti ce soir là si cette musique ne tournait pas en boucle sur les fragiles haut-parleurs. Peut-être ne prenons-nous jamais assez l'air du temps pour appréhender des moments aussi simples qu'évanescents.

Avec Niebla on peut d'emblée parler d'un coup de maître dans tout son éclat feutré. Et au passage exactement ce genre de perle de bas-côté pour lesquelles on se dit que ça vaut encore et toujours la peine d'allonger des phrases à rallonge sur un blog à la fréquentation confidentielle. Anatomie d'un chef d’œuvre secret, donc, dont le minimalisme vaut bien quelques divagations explicatives.
MonteIsola (aka Myriam Pruvot) travaille en amateur, au sens le plus noble et sincère du terme, les meilleurs musiciens étant souvent ceux qui n'en sont pas, débarrassés de la sorte de toutes contraintes formelles. Une posture fraîche et sincère puisant ses racines décharnées autant dans une ébauche de blues intemporel que dans une confrontation discrète avec le réel et l'instant du moment, la philosophie du moins c'est mieux revendiquée pour tout compagnon de route. On s'embarque aux marges de la musique et de l'expression artistique, Myriam Pruvot ne cherchant pas à se définir. Plastique du son avant tout pour un périple vers d'autres marges géographiques celles-ci, en bute à l'onirisme d'une frontière intime en perpétuelle redéfinition.

                              latitude : -39.8667 / 39° 52’ 0’’ South
                             longitude : -73.3833 / 73° 22’ 60’’ West
                                                                                       
                                                                                     ...maigres paramètres à intégrer pour une musique qui n'en dira pas plus. Ici ou d'ailleurs, mais là c'est sur des côtes chiliennes. On débarque, et les sons captés ébauchent un cadre précaire qu'une guitare percussive comprime. Sons sculptés sur la jetée d'un port comme un rituel inévitable de passage. Quand Myriam Pruvot chante, elle convoque toutes ces voix, époques et pratiques qui s'amalgament en strates indécises dans le fil de sa voix altière. Le chaman a toujours été un passeur. Sa musique est hantée ; l'endroit noyé par cette brume côtière empêchant toute tentative de topographie précise, pour nous laisser tenter de définir par nous-même une ébauche de nos propres contours à la fois lointains, immémoriaux et abrupts.
La MonteIsola nous a simplement jeté un pont entre ces deux rives. 


L'Un.

La MonteIsola "Niebla" (WildSilence. 2013)

lundi 1 juillet 2013

Mathias DELPLANQUE : "Chutes"

Enfin.
On tient là un troublant travail d'orfèvrerie en perte d'équilibre.
Enfin, car depuis le dernier Murcof, la fructueuse collaboration entre un Steve Roden volubile et Steve Peters, il était inconsciemment très attendu ce trop discret Mathias Delplanque, les oreilles avides de vertiges aux couleurs fractales. Suite discontinue dans une discographie d'ordinaire plus encline aux préoccupations géographiques (« Parcelles 1-10 », « le Pavillon Témoin », « Passeport », « Ma chambre quand je n'y suis pas »), « Chutes » est une absence de repères stables, un appel d'air qui se dérobe sous nos pieds, les titres souvent composés d'une suite aléatoire de 3 lettres, improbables syllabes. Divagations erratiques d'une installation électroacoustique éprouvée au gré de concerts improvisés ça et là, electronica qui s'ignore, le plus tranquillement du monde occupée à décomposer avec méthode tout un jeu de matriochkas, jamais assez près d'une dislocation imminente,  invitation à la  flânerie casse-gueule entre lignes de fractures et perspectives fuyantes. Avec un contrôle parfait sur cette mise en abîme télescopée, Mathias Delplanque rend accessible cette part indicible en nous qui existerait, entre le sol et sous les pieds, avec ce sens intime de la relation à l'instant, armé de trois bout de ficelles électroniques, une guitare disséquée et un petit xylophone.
Guère plus, je crois, pour qui compose sans filet.

L'Un

Mathias DELPLANQUE "Chutes" (Baskaru. 2013)


Mathias Delplanque : "Fell" from Bruit Clair Records on Vimeo.

mercredi 19 juin 2013

Chris ABRAHAMS : "Memory Night"

Un titre qui invite à la rêverie, une photo de pochette dans l'esprit du label ECM ; savoir en outre que Chris Abrahams officie depuis des lustres comme pianiste au sein du trio post-jazz The Necks, ne va en rien aider à l'appréhension de sa toute dernière production, atypique s'il en est. Car du jazz, il n'en aura gardé que l'esprit, sa pulsation, de The Necks, d'hypnotiques réflexes pavloviens de continuum, et du piano, quelques notes éparses quand il ne s'ingénie pas à le découper méthodiquement à la scie à métaux ou au chalumeau comme le premier morceau « Leafer » le laisserait entendre. Car Memory Night est une musique d'exploration iconoclaste, un projet solo qui prend sa place au sein de la grande tradition des musiques electro-acoustique à la fois savantes et un brin pince-sans-rire. On pense à Nurse With Wound, Hafler Trio voire Z'ev (pour l'aspect percussif « industriel »), mais ce ne sont là que des balises auxquelles notre auteur ne se reconnaîtra en rien, ce genre de musique se voulant précisément idiosyncrasique. Ainsi au gré des morceaux, une vaste palette de techniques et de sources sonores sont sollicitées, de l'electronique pure, aux captations sonores directes, avec une prédilection pour un traitement sonore rigoureusement rugueux de ces sources , que ce soit en boucles, strates, textures ou collages. Une mise en place lente et résolue, systématiquement organique, à la croisée de chemins ouverts et fragmentés. Myriade de cliquetis et de frôlements que ponctuent décharges d'infra-basses, manipulations d'objets qui se perdent dans la cinématique décomposée, là où d'autres parleraient de glitch. Le piano (ses notes éparses), histoire de rapprocher d'Alva Noto+Sakamoto qui seraient un tant soit peu sortis de leur réserve minimaliste. Memory Night, sans nous perdre, sinue dans un envoûtant travelling frontal et statique. Rarement petite musique de nuit ne s'en était à ce point éloignée, pour se figer dans la profondeur de l'acte rituel. Alors à la question de savoir à quoi pense un pianiste de jazz qui a du vague-à-l'âme, on est tenté de souffler la réponse : probablement à rien ma bonne dame, sinon à « ça ». Disque de chevet.

L'Un.


Chris ABRAHAMS : "Memory Night" (Room40. 2013)





mardi 11 juin 2013

Boards of Canada : Tomorrow’s Harvest



Ce qui fait la marque de fabrique du nouveau BoC, ce sont les nappes de synthétiseurs. Millésimés F.S.O.L., lorgnant vers des puretés à la Eno, petits gimmings en boucle faisant penser aux Pink Floyd… pas d’effets inutiles donc, nous restons dans ce qui caractérise d’habitude des artistes, la recherche d’un équilibre inspirant à l’auditeur la douceur sous toutes ses formes. On observe l’étirement des phrases, les lentes mises en place, les décalages qui vont répondre à des batteries minimalistes. Se suivent donc les morceaux éthéré de ce nouvel opus, sans débauche de technologie.

Le pitch s’utilise avec parcimonie mais tout de même, on sent que l’école anglaise post ambiant est passé par là : sur Sick Times le bien nommé, le pitch déscéllère certaines nappes de synthé donnant un effet de retenu, voire de roulis, d’où le « sick » du titre…certaines couleurs rappellent aussi U ziq, chantre de cette électro anglaise du début des 2000, stylée, classieuse...

Jetez vous sur ce disque, un certain easy listening né de bribes de sons proches de territoires connus, mais nourri de leur propre chair, celle luisante d’un digital mêlé de l’analogique des années 70.
Ils connotent des vapeurs d’une fin de soirée, un matin calme, une mer d’huile après la tempête. Un souffle sans renouveau, mais avec une belle personnalité.

L’autre

sorti juin 2013, Warp