Un titre qui invite à la rêverie, une photo de pochette dans l'esprit du label ECM ; savoir en outre que Chris Abrahams officie depuis des lustres comme pianiste au sein du trio post-jazz The Necks, ne va en rien aider à l'appréhension de sa toute dernière production, atypique s'il en est. Car du jazz, il n'en aura gardé que l'esprit, sa pulsation, de The Necks, d'hypnotiques réflexes pavloviens de continuum, et du piano, quelques notes éparses quand il ne s'ingénie pas à le découper méthodiquement à la scie à métaux ou au chalumeau comme le premier morceau « Leafer » le laisserait entendre. Car Memory Night est une musique d'exploration iconoclaste, un projet solo qui prend sa place au sein de la grande tradition des musiques electro-acoustique à la fois savantes et un brin pince-sans-rire. On pense à Nurse With Wound, Hafler Trio voire Z'ev (pour l'aspect percussif « industriel »), mais ce ne sont là que des balises auxquelles notre auteur ne se reconnaîtra en rien, ce genre de musique se voulant précisément idiosyncrasique. Ainsi au gré des morceaux, une vaste palette de techniques et de sources sonores sont sollicitées, de l'electronique pure, aux captations sonores directes, avec une prédilection pour un traitement sonore rigoureusement rugueux de ces sources , que ce soit en boucles, strates, textures ou collages. Une mise en place lente et résolue, systématiquement organique, à la croisée de chemins ouverts et fragmentés. Myriade de cliquetis et de frôlements que ponctuent décharges d'infra-basses, manipulations d'objets qui se perdent dans la cinématique décomposée, là où d'autres parleraient de glitch. Le piano (ses notes éparses), histoire de rapprocher d'Alva Noto+Sakamoto qui seraient un tant soit peu sortis de leur réserve minimaliste. Memory Night, sans nous perdre, sinue dans un envoûtant travelling frontal et statique. Rarement petite musique de nuit ne s'en était à ce point éloignée, pour se figer dans la profondeur de l'acte rituel. Alors à la question de savoir à quoi pense un pianiste de jazz qui a du vague-à-l'âme, on est tenté de souffler la réponse : probablement à rien ma bonne dame, sinon à « ça ». Disque de chevet.
L'Un.
Chris ABRAHAMS : "Memory Night" (Room40. 2013)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire