"Rien ne vaut la peine de rien
Il n'y a plus rien...Plus, plus rien" (Léo Ferré)
A part peut-être une attirance
marquée pour les infra-grésillements pré-apocalyptique qui saturent l’air vicié
de notre contemporanéité au bord du gouffre, quel est le point commun entre ces
trois entités ? Pour faire simple, The BUG (aka Kevin Martin) a collaboré avec
DIS FIG, cette dernière avec The BODY qui eux auront prêté main forte aux gars
d’UNIFORM. Entre musiques extrêmes ou postures underground aux avant-postes,
les frontières sont poreuses et les collaborations coulent de source et renforcent les
connexions souterraines.
Quitte à se râper les oreilles, autant
commencer en souplesse avec les reptations dub-esques du vétéran Kevin
MARTIN. Avec ses esquisses corrodées de beats squelettiques et étouffés, son dernier
"Machine" convoque autant les grands espaces introspectifs tissés sur l’erratique "Concrete Desert" (avec Dylan "EARTH " CARLSON) que son récent "Fire", aux
rythmes plus affirmés (et peuplé de guests de chois derrière le micro, ce qui n'est pas le cas ici). L’exercice de séclusion instrumentale révèle la vacuité menaçante larvée
derrière ses boucles lancinantes. On pense à une version anémiée d’un SCORN
passé au compteur Geiger. Ni réconfortant, ni vraiment excitant : "Machine" distille suffisamment de groove
statique empoisonné gras pour anesthésier toute velléité. Parfait pour passer
des journées grommeleuses à attendre le jour d’après, avachi dans son vieux
canapé.

C’est
probablement ce canapé dangereusement douillet tissé avec The BUG sur un "In
Blue" monocorde que Felicia CHEN (aka DIS FIG) aura délaissé : en quête de
sensations plus contrastées, En quête de sensations plus fortes, autant aller
voir ce qui se passe sous la lumière blafarde de The BODY. Duo spécialisé dans
des collaborations tous azimuts avec une attirance marquée pour des terrains (très)
bruyants (on parle de THOU, BIG/BRAVE, FULL OF HELL… et UNIFORM), on en arrive
à oublier qu’ils ont aussi produit d’excellents albums sous leur seul patronyme.
Des albums pétris de bruits et de fureur synthétiques. Bonne pioche pour DIS
FIG que d’avoir frappé à la porte des schizophrènes à capuche : la
rencontre s’avère symbiotique, le matériau sonore produit à la fois dense, incandescent
et cousu de velours noir anthracite. Simple juxtaposition d’univers respectifs,
croisements de textures systématiquement granuleuses ou fusion abyssale ?
La réponse est ouverte et permet surtout à Felicia CHEN de dévoiler pleinement
son potentiel dans cet exercice cathartique aux accents incantatoires
perturbés. Une navigation au signal brouillé dans des confins où les notions de
bien, de mal ou encore de possible rédemption ont souvent tendance à faire
corps commun. Un univers post-industriel le plus souvent gothique qui tend à se
rapprocher du travail de LINGA IGNOTA pour les contemporain(e)s ou encore
JARBOE & NEUROSIS… Voire du dernier PORTISHEAD pour cette machinerie
implacable (le papier abrasif en option).

C’est après leur imparable "Long Walk" que UNIFORM
aura croisé les démiurges et omniprésents The BODY dans ce long chemin de croix
sur les genoux. Avec ces parrains tutélaires tout désignés, ils sortent alors
un "Everything That Dies Someday Comes Back" définitif,
claustrophobe et enragé. Mais loin de s’arrêter là, le groupe a choisi de
laisser derrière lui cette formule en duo connotée indus et tribale pour fortement
doper leur son à grand renfort de métal. En quintette cette fois, flanqué de 2
batteurs et le bassiste d’INTERPOL. Les thématiques chez UNIFORM n’ont jamais
été des plus joyeuses, et cet album qui emprunte son nom à une célèbre marque
de sanitaires (les Jacob Delafon version u.s…) nous colle le nez devant
l’évidence : celle d’une cuvette de chiotte. On y parle du dégout de soi,
d’addiction, de boulimie. Leur sludge
fielleux s’ouvre sur des injonctions presque militaires d’un Michael BERDAN aux
hurlements de gorge toujours plus décharnés. Les martellements et
grommellements convulsifs nous entrainent d’une traite sur une première plage
de plus de 20 minutes. Férocement désespérée, cette lourdeur saturée expiatoire
n’est pas sans rappeler du GODFLESH sur le fil émoussé d’un rasoir
sur-vitaminé. Expérience punitive jusqu’au-boutiste qui pousse dont on ne ressort
que terrassé ; ou accablé (si on en sort).
On navigue avec aisance dans un marigot d’eaux
lourdes et saumâtres à arrière-goût tenace de cauchemar mécanique. Des œuvres pas vraiment en phase avec nos tentatives
désespérées d’installer un cercle zen et harmonieux dans le cadre paisible de
nos existences infra-ordinaires. Mais qui colle si bien à l’envers du décorum
de notre contemporanéité sise au bord d’un abîme confortable.
Ne resterait plus qu'un The BUG vs UNIFORM pour boucler cette spirale infernale ?
L'Un.
The BUG "Machine" (Relapse. 2024)
The Body & DIS FIG "Orchard is a Futile Heaven" (ThrillJockey. 2024)
UNIFORM "American Standard" (SacredBones. 2024)