"Tu m’as vendue à un vieillard, père. Puisse Dieu détruire ta maison ; j’étais ta fille." (anonyme. Poesie pachtoune)
Il en va de certaines musiques
dont la charge émotionnelle est si forte qu’on sait dès le début qu’on ne s’en
remettra pas. Ce pourrait être un requiem au goût amer si l’espoir ne résidait
pas précisément dans ce témoignage sonore ténu qu’on tient entre les mains, fil
d’Ariane qui s’étiole. Même s’il date déjà de 2005. Dix-huit années : une
génération a prospéré depuis, dans la misère et la violence, et on ne sait pas
ce que sont devenus les musiciens qui hantent ces enregistrements de terrain
miné. S’ils ont seulement réussi à transmettre la flamme de leur héritage.
Kabul, année 0 depuis près de quatre décennies. Et même silence
médiatique : j’ai eu beau chercher sur la Toile, et pas une ligne sur ce
disque ; juste des exemplaires à vendre. Rien ; un vide 2.0. D’autant plus
étrange qu’Éric Aldea est une petite légende d’un underground hexagonal avec
des trucs comme Bästard ou Zëro… Pas de storytelling aguicheur donc. De
simplement imaginer que lui et Ivan Chiossone ont pris un A/R pour Kabul,
flanqués d’enregistreurs numériques compacts et quelques contacts en poche. Des
captations sonores précieuses et des rencontres, que les deux compères auront
su magnifier par un montage subjectif qui frôle parfois l’épure abstraite.
Bribes de sons, d’instruments et de voix qui reconstituent une sorte de
folklore imaginaire, blues décharné des haut-plateaux d’Asie centrale. Les
ambiances souvent austères et tout en retenue se déclinent dans un minimalisme qui
entre en échos (austères) avec la musique contemporaine : on sentirait
presque cette rotondité du son si chère à Giacinto Scelsi. Un vent
glacial parcourt l’album de part et d’autre, où chaque note orpheline est une
flamme frêle à la chaleur vacillante qui semble entrer en résistance.
Résistance contre l’oppression latente, l’obscurantisme érigé en maitre-étalon.
Comme les dernières traces audibles d’une culture millénaire menacée de
disparaitre à tout moment, le voile posé de l’ignorance crasse des générations
future pourrait devenir son linceul. Sans paroles et sans images, un
documentaire nécessaire qui nous relate une richesse encore vivace même si
enfouie dans les mémoires et le plus souvent cachées au vu et au su de tous,
les instruments souvent planqués sous les tapis élimés. Un disque poignant et
viscéral, une déambulation enregistrée au cœur des ténèbres. Pour qu’on se
souvienne, une fois nos atermoiements d’usage dissipés dans un confortable déni.
musiciens :
Mr Karimi (ghitchak)
Mr Atqullah (robab
Mr Amroddin (dilroba)
Mr Sakhi (zarb)
Mr Jabar (nay)
... and the Soufis from the old Kabul.
L'Un.
Eric ALDEA & Ivan CHIOSSONE " Kabul" (IciD'ailleurs. 2005)
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