lundi 18 janvier 2021

(épilogue) Les disques chevet de l’Un : et après ?


Une 12zaine de disques influents, de ceux qui guident des pas incertains, c’est certes à peine plus qu’une 10zaine et surtout très insuffisant ! Mais il fallait trancher dans le lard de la Bête et ne pas trop s’éloigner d’une ligne éditoriale qui n’a jamais vraiment été définie au passage. Ces disques de chevet constituent le pilier bien subjectif d’un cheminement personnel dans ces musiques qu’on pourrait qualifier de traverse, à défaut d’une appellation plus fédératrice. Sans ce filtre soustractif, la liste serait devenue pléthorique et polymorphe, vaste orgie musicale engluée où un « Highway 61 Revisited » de Bob Dylan côtoierait sans complexe, aucun, le Requiem de Ligeti, un jam fiévreux s’imposerait entre John Coltrane et les frères Ramones, quand les vieux soudards à clous d’Extreme Noise Terror peuvent enfin taper une causette apaisée avec Pierre Henry et un Skip James guilleret. Mais il n’y avait pas de place ni de « cohérence » pour tout le monde… Alors dans cette maigre sélection, toute la nuance réside dans la distinction entre ce qu’on aime et ce qui aura vraiment influencé la construction d’un univers sonore idiosyncrasique : ce qui nous ramène certes à convoquer quelques fantômes du passé plutôt qu’à coller à l’actualité récente. Aussi, il est difficile pour ma part de considérer l’objet musical pour lui-même sans essayer de le resituer plus globalement dans son écosystème. A la manière d’un arbre généalogique, on ne peut écouter la dernière production en date sans en remonter le fil, de ramifications en filiations plus ou moins valides, que ce soit en termes de pairs ou de prédécesseurs, de technologies ou de contexte socio-culturel… La musique prend place dans un continuum et ne s’écoute pas sans un certain recul historique : « au commencement était le son »… Probablement.  Mais peut-être que tout a commencé dans une grande flatulence et un éclat de rire stupéfait résonnants au fond d’une grotte. A moins que ça ne vienne de ces heures passées à rien foutre, allongé au pied d’un arbre à écouter le chant des oiseaux... L’Histoire ne nous le dira jamais, l’existence futile du blog de chroniques musicales restant au final très récente sur l’échelle de temps géologique. Et alors que le monde enivré de lui-même est en passe de clôturer l’anecdotique anthropocène, la question, lancinante n’a de cesse de m’obséder : car QUI lit encore un blog de chroniques musicales en 2021 ? Pas grand monde je pense, le world wide web évoluant à une vitesse vertigineuse, probablement enivré de lui-même, lui aussi. Parallèlement, le monde de la musique s’est considérablement ramifié, densifié, ayant su s’approprier les nouvelles technologies dites de la « communication », au grand dam de certains, et au grand profit d’autres (mais ce sont peut-être toujours les mêmes…) : jamais la production musicale n’a atteint un tel niveau ; sans être en mesure d’avancer les chiffres, pour faire très simple, on peut affirmer qu’aujourd’hui on trouve de tout, partout, tout le temps, ce pour tous les goûts et toutes les chapelles. Et de façon massive. La musique s’écoute maintenant sur des radios dédiées, en streaming sur des web-radios, des plateformes de vente « directes » (de l’artiste à l’auditeur), des plateformes de partage comme Soundcloud, voire de pillage comme Youtube… L’immersion dans un flow musical continu et globalisé prophétisé par David Toop n’aura jamais été aussi prégnante. Et boulimique. Délaissant peu à peu le format physique qui a contribué à la propager, la musique peut maintenant se consommer au kilomètre, remplissant des tera-octets d’espaces de disques durs d’hébergeurs froids et anonymes. Le peer-to-peer ou le téléchargement sauvage des Mégaupload et consorts appartiennent déjà à un lointain passé numérique (=> quelques années à peine…). L’avenir est aujourd’hui aux plateformes de streaming, qui ont su verrouiller le modèle initialement ouvert de l’internet en le rendant payant… sans pour autant rémunérer davantage les artistes. Mais en ça, le modèle a t’il tant changé ? Les « Majors » se reconnaitront. Pour l’instant, avec ce cynisme qui leur va si bien, elles sont surtout foutrement occupées à ressusciter le format vinyle qu’elles avaient largement contribué à enterrer avec l’essor à marche forcée du compact disc, dans le clinquant nauséabond des années 80’. Risible et rentable ironie comme un ultime chant du cygne d’une industrie aux abois qui a su trouver dans le gogo fétichiste de la génération X (dont je ne m’exclue pas…) une cible marketing somme toute assez fidèle et constante. Ces derniers temps, devant les propositions de plus en plus pertinentes des dites plateformes de musique en ligne, je me dis que l’I.A à peine balbutiante (mais on peut lui préférer le terme très en vogue « d’algorithme »…) est peut-être là en train de me jouer son dernier tour d’esbroufe, avant de se mettre à distiller une musique auto-générée, totalitaire et imparable, synthèse vorace des millions de morceaux digérés et recrachés ad nauseam par la matrice, pour étancher notre soif de consommation frénétique. Comme un aboutissement déshumanisé et terriblement mercantile des tentatives presque naïves de musique auto-générative de Brian Eno… Mais la musique créée par un cerveau et jouée par quelques paires de mains a encore de beaux jours devant elle : parce que là aussi, la révolution technologique a considérablement modifié le paradigme longtemps immuable, en démocratisant l’accès aux moyens de la production musicale : avec quelques 100taines/milliers d’euros on peut installer un home-studio basique, et avec force de bricolages opiniâtres, sortir un truc d'une qualité TRES correcte. Plus que jamais les techniques de la M.A.O peuvent assister efficacement la production quand elles ne remplacent pas les instruments pour devenir un espace ouvert de création en soi ; les frontières autrefois marquées entre analogique et virtuel s’effacent et fusionnent pour ouvrir des horizons parfois vertigineux. Au final, on n’aura pas forcément plus de bons artistes, ni même de musiciens qui vivent décemment de leur art; je pense que de tous temps le ratio doit être le même. En revanche, il est peut-être plus facile qu’auparavant d’être en mesure de produire une œuvre de chez soi, d’en faire sa promotion sur les réseaux sociaux et d’être diffusé instantanément aux quatre coins du globe, ce en trois ou quatre clics, et sans nécessairement passer par l’entremise autrefois incontournable d’une industrie musicale toujours aux aguets et en embuscade.

Alors, après toutes ces digressives considérations, à la question de savoir QUI lit un blog de chroniques musicales en 2021, je répondrais plutôt en demandant POURQUOI continuer d’écrire dans un blog (de niche, qui plu est) en 2021 ? Au-delà de la simple beauté du geste d’écrire, c’est pour le plaisir presque naïf de partager : si une seule personne est par là convaincue d’aller jeter une oreille, une seule, sur l’œuvre chroniquée, l’existence du blog est alors justifiée et moralement satisfaisante. Dans cette jungle musicale de plus en plus complexe et globalisée, une chronique anonyme peut parfois servir de lien, de lubrifiant ; minuscule courroie de transmission égarée dans les rhizomes d’une information tentaculaire.

Et sinon… Un petit dernier pour la route ?! On ne se refait pas… Pour sélectionner la dizaine d’albums (oui : douzaine…), celui-là revenait régulièrement dans la balance pour finalement se voir injustement écarté. Et pourtant son influence sur mon oreille interne aura été aussi sournoise que les infra-basses et les pulsations cotonneuses qui l’animent de part en part : n° 13 donc 
PLASTIKMAN (a.k.a Ritchie Hawtin) "Consumed» 
 
 

 

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