« Il bruinait ce soir-là sur les hauteurs. Nous trinquâmes tous deux de quelques verres de vin, contemplant l’amoncellement de nuages qui étouffait lueurs et rumeurs de la cité orgueilleuse qui s'étalait en contrebas. Nous étions transis et encapuchonnés, l’air sentait l’eau, le carillon de l'église rythmait un temps arrêté. »
L’individu possède un curriculum long comme le bras qui s’étend facilement sur les deux dernières décennies écoulées ; une génération. Artisan producteur de bas-côtés de tout ce que la musique électronique a pu générer comme sous-genres et à-côtés épileptiques, de la techno, drum & bass au dubstep, grime ou dancehall … Un parcours scrupuleusement cantonné dans un underground de bon aloi qui néanmoins n’explique en rien ce deuxième album sous son nom, qui flirte davantage avec une idée presque surannée de l’ambient et des musiques de traverses qui se pratiquaient au mitan des années 70’s… Sain retour vers une protohistoire fantasmée et assumée comme un atterrissage en douceur au milieu de la surenchère et des excès des productions contemporaines. Une épure introspective qui oscille entre nostalgie et froide contemplation opérée à une saine distance. Lent et progressif drone d’introduction, portant en son interrogation nominale toute l’ambiguïté de l’album : les directions sont ouvertes et multiples, calme et sérénité n’empêcheront pas un certain malaise de poindre derrière cette solitude nébuleuse de matin gris. On s’envole et s’évapore avec « Give It Your Choir », qui au fil des synthés séquencés, ancre définitivement l’album dans une temporalité révolue ; la présence spectrale d’un hypothétique Brian Eno en imprègne le chant diffus. Vignettes musicales en forme de jeu de miroirs qui se suivent et déclinent dans l’infini d’échos doux et amers. Thom Yorke prête le spleen de sa voix filtrée pour un électro-blues sous sédatifs. Ambiances planantes et rêveuses jamais loin de cette complaisante sensation d’inconfort. « You Wash My Soul » tire l’ensemble vers une pureté spirituelle éthérée lorsque « The Blind Cage » nous maintient la tête à la surface de l’eau, dans le flux continu d’un exercice d’introspection aride. De ce subtil écheveau de fils d’Ariane enchevêtrés, l’éponyme morceau « Under the Sun » convoque le contrepoint médiéval dans une mise en abyme feutrée. Saut dans le vide, plongée sans filet, on s’immerge et on se noie à la recherche d’un soleil effacé sous nos pas. Retour de trip dont on ne s’en extirpe qu’à contrecœur. Ebahi. Hagard. Hébété.
Dehors, la violence toute ordinaire du théâtre des choses bat son plein ; sous le soleil, exactement.
L'Un.
Mark Pritchard "Under the sun" (Warp. 2016)
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