Une vague madeleine aux accents proustiens foutrement rancis, déballée un matin glacial
et venteux d’une décennie aux abois déjà perdue (la notre…). Ca renvoie à pas loin de trois décennies en arrière au
cœur de ces années 80’s fétichisées à tout va. Prétexte d’une perpétuelle
réunion entre potes, d’une jam-session sans fin. Excuse mineure pour digresser sur
ce qui n’a pas été digéré… « It was
in a summer, of 1982, when she met, the redeemer ». Prétexte à un
roboratif voyage vers des temps insouciants et féconds sur un mode mineur
« que sont-ils devenus », une certaine nostalgie de mise.
Décortiquer cet Unknown Instructors, paru en 2005 (déjà),
c’est retracer un petit bout des prémices de ce que les majors auront par la
suite récupéré et labellisé «indie-rock ». Un pan d’histoire marginal aux
incalculables conséquences. Unknown Instructors, c’est ¼ de Saccharine Trust
(Joe Baiza : guitare), 2/3 (plus connus) de Minutemen (Mike Watt :
bassse, George Hurley : batterie), coreligionnaires du label SST alors à
son apogée, avec quelques Sonic Youth, Black Flag, Meat Puppets et autres Hüsker Dü. Si les Minutemen s’inscrivent aujourd’hui
dans une certaine légende underground de
bon ton, Saccharine Trust n’aura jamais connu de succès autre que l’estime de
ses pairs, avec leur crossover de beatnicks jazz-punk (Minutemen se chargeant pour leur part
d’établir un lien entre le l’urgence du hardcore punk, le folk imprécatoire de Dylan et le Blue
Oyster Cült). Retrouvailles entre
vétérans qui ne se sont jamais vraiment perdus de vue donc ; qui ne se
sont jamais vraiment arrêtés en fait, continuant de s’enfiler une heure de
gammes au petit déjeuner, comme d’autres baiseraient à la même heure en écoutant Parker ou Mingus. Retrouvailles informelles en forme de potlatch des
temps modernes : le but n’étant pas de marquer son temps avec des
compositions figées dans le marbre, mais de marquer l’espace d’un temps d’arrêt
rétrospectif. Unknown Instructors n’est rien de plus qu’un énième prétexte pour
de vieux punk rockers élevés au jazz et aux idées libertaires à taper le jam
ensemble, fidèles à cette tradition d’improvisation libre que la structure du
label SST - géré par des musiciens - entretenait : Minuteflag (Minutemen
vs Black Flag), October Faction (Baiza avec des gars de Black Flag et Tom
Trocolli), Tom Trocolli’s Dog (avec le guitariste de Black Flag, le power jazz
trio Bazooka, où Jack Brewer de Saccharine trust vient déclamer ses ver(re)s,
et l’intemporel « Worldbroken » de Saccharine Trust, musique et
poésie improvisées en une nuit avec l’aide de quelques casiers de bières et… un
certain Mike Watt à la basse. Rien de nouveau donc, 25 ans plus tard, les
protagonistes se posant là en gardiens d’une flamme alors déjà
vacillante : jouer, tourner et
taper le bœuf, les pieds nus dans la nuit californienne cannibale. Le trio
erratique porte la poésie urbaine et désabusée de Dan Mc Guire ( ?) et l’inénarrable Jack Brewer, ce dernier,
combiné au jeu de guitare délié de Joe Baiza, nous donnant surtout l’impression d’assister à une
répét’ d’un improbable nouvel album des Saccharine Trust. La musique louvoie et entre rock et jazz
distillant un groove épais et entêtant. Si elle peut interpeller le profane, il
est certain qu’elle ne brille pas par son originalité pour qui connait un peu
les curriculum vitae des protagonistes. Mais là n’est pas le propos : on
parle de célébration d’une époque révolue.
Révolue en ce qu’elle portait plus ou moins consciemment en elle une
fraicheur et une énergie presque naïve,
et à priori peu calculée. Aujourd’hui pareille démarche (des potes de labels
qui tapent le bœuf ensemble) paraitrait improbable. Ou alors on appellerait ça
un « super groupe », plan de carrière et de com’ en filigranes. Au
bout du compte, ces pieds nickelés semblent plus connectés à la Beat Generation
des années 60’s que véritablement adaptés au cynisme ambiant d’une époque
prédatrice et dépassionnée. Un disque anecdotique, comme une porte ouverte sur
tout un monde aujourd’hui fermé à nos cinq sens, pour
paraphraser le poète.
L'Un.
UNKNOWN INSTRUCTORS : "The way things work" (SmogVeil. 2005)
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