Il va falloir penser à mettre de
sérieux bémols sur les prétentions graphiques de Brian Eno, vu les
pochettes au design de plus en plus douteux proposées depuis quelque
temps, à moins que ce ne soit là une stratégie oblique pour
recadrer l'aspirant esthète sur l'essence même d'un disque :
son contenu en diamant brut. Si sa première collaboration avec le
label Warp donnait cette impression inconfortable de tiraillement
entre tradition et modernité, force est de reconnaître que l'album
a gagné à vieillir, à prendre ses distances, même si les réserves
en demi teinte alors exprimées restent fondées. Avec le présent
Lux, l'accueil est d'emblée plus franc, Eno nous proposant là ce
qui s'inscrit dans l'ambitieux et discret work in progress,
la trilogie « Music for Thinking » incluant le fondateur
Discreet Music et le par trop méconnu Néroli. Certes, mais on pourrait tout
aussi bien ajouter, ça un Plateaux of Mirror, là un Thursday
Afternoon, and so on...
Loin d'expérimentations parfois poussives, va plutôt se consolider ici
le concept obsédant d'ambient music, théorisé dans les années 70's coincé dans un lit d’hôpital.
L'idée alors en germination était d'écrire une musique...
discrète, donc, qui se fondrait au sein de l'environnement sonore
dans lequel elle est développée, les deux sources sonores étant
idéalement situées à des niveaux équivalents ; une musique
qu'on écoute sans l'entendre, comme on voit un passant dans la rue
sans qu'il ne frappe vraiment notre surface rétinienne ou que notre
mémoire ne l'enregistre. Sans vrai commencement ni fin malgré une
stricte structuration, les touches orphelines d'un piano toujours
aussi aérien prennent le temps de se poser en ponctuant une trame
continue de fins filaments vibratoires. Erratique, la musique colle
à nos digressions les plus intimes et se promène dans la pièce
comme le prolongement d'un bras ballant ou d'une pensée devenue
diaphane, tandis que se dessinent en filigranes les contours du
silence, ou de ce qu'il y a , entre. Un son plus cristallin et
diffracté, détache Lux des productions sus-citées, qui se
noyaient dans d'exquises textures indéfinies. Mais toujours le même
flottement statique, loin, très loin du tumulte, hypnotisé par une musique
pensée pour être oubliée, de plus en plus proche d'un John Cage ou
d'un Morton Feldman. On vit avec, à côté ou on rêvasse en passant à côté de son mystère :
c'est l'avis de Brian.
L'Un.
Brian ENO : "Lux" (Warp. 2012)
un trop court extrait par là
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