Dans un pays où l'idiome
rock reste plutôt minoritaire, REPLIKAS
fait figure de parrain à lui tout seul. Replikas C'EST le rock en
Turquie. Trois ou quatre albums, mais il faut surtout retenir
« Avaz » (produit pas un certain Martin Bisi, qui a
collaboré avec Sonic Youth) et le plus abouti « Zerre ».
La musique est dense, solidement charpentée et flirte souvent avec
un rock teinté de noise et très urbain, les compositions
soulignées par une fine électronique, la magie des textes chantés
sans complexe dans la langue natale faisant le reste.
Une des surprises les plus inattendues de l'année 2009.
Personnellement, je passe
sur l'electro world propret d'ORIENT EXPRESSION, bien que leur
collaboration avec la chanteuse anatolienne SAHABAT AKIRRAZ efface
leur style emphatique au profit de la voix de la dame et de ses
chansons populaires bien ancrées dans le terroir.
MERCAN
DEDE, lui, n'a probablement pas besoin de ce
documentaire pour asseoir sa popularité (et une singulière coupe de
cheveux) en dehors des frontières. Mais là aussi, sa grand messe
ambient mâtinée de tradition mystique, puisant dans les
racines du mouvement soufi n'est guère intéressante. A moins qu'on
transforme sa piaule en autel avec des rideaux mauves, de l'encens et
du patchouli. Je regrette plutôt d'avoir raté une performance soufi
(un peu par flemme, un peu par radininerie...). Au moins aurais-je
rencontré au détour d'une ruelle, un maitre-artisan qui fabrique le
ney, flute de roseau indispensable à la musique soufie, et
instrument emblématique de la Turquie (avec le saz, le raki et le
loukoum, cela s'entend...).
Ce qui est beaucoup plus
intéressant, c'est de découvrir que la culture hip hop,
embryonnaire dans le pays est étonnamment vivace et en apparence
décomplexée. Le rappeur CEZA en est son parfait ambassadeur et la
rapidité de son flow tient de la prouesse vocale. Et si en plus il a
des choses à dire...
Les
rues d'Istanbul sont peuplées de chats nonchalants, de hordes de
sympathiques cleps et de ménestrels, seigneurs du pavé, que le
documentaire n'oublie pas. La réalité est crue, la mégapole
impitoyable et aveugle. Les espoirs des migrants s'écrasent souvent
sur ce pavé à la frontière de ce monde en mutation. Chanteur
de rue anonyme, moment éraillé de poésie urbaine et
crépusculaire, un peu perchée. Ça commence là, la musique : dans
la souffrance, la rue et la merde.
Clochard céleste par sa
descendance Rom, SELIM
SESLER lui, se ressource fréquemment dans les
bars de la ville frontalière d'Edirne, où il semble de bon ton
d'investir les bouges remplis de frères désabusés et de se saouler
méticuleusement, pour partir dans d'interminables joutes
instrumentales ; entre hommes, cela va de soi. Des Roms.
De la sueur, des larmes
et toute l'âme du monde. John Mc Laughlin y laisserait sûrement des
plumes et on y apprend une intéressante explication sur l'origine de
la guitare dite « classique ». Son album solo est
flamboyant ; quant à sa participation avec la chanteuse Brenda
McCRIMMON citée plus haut, elle relève de
l'archéologie musicale de la région.
Un autre clarinettiste
monument dans son pays, parmi tant d'autres est MUSTAFA KANDIRALI.
On touche là à l'âme populaire du pays (ou de la ville) quand il
daigne s'enivrer.
Fatih Akin n'oublie pas
de mentionner la communauté Kurde dans Crossing the Bridge en
magnifiant la jeune AYNUR, enregistrée seule avec son luth (saz),
la voix transportée par la réverb naturelle d'un ancien hammam. Et
de repartir aux racines du blues : nostalgie, tragédie et
souffrance.
Le documentaire se
termine avec des gloires de la musiques populaires, comme ce NUR
CEYLAN, qui daigne encore en vieux maître friqué, accorder une
démonstration avec un de ses luths fétiches parmi sa collection. Et
ça sonne étonnamment rock...
La performance de la
célèbre chanteuse Sezen
AKSU clôt le documentaire de façon plus
convaincante, avec cet « Istanbul Hatirasi » (le titre
original du documentaire) qui, des hauteurs d'un hôtel particulier,
transpire toute la mélancolie de la ville, autrefois capitale d'un
Empire déchu qui se relève à peine. On pense aux vendeurs de simit
ou de pilaf à la criée, aux murs austères et sombres, la fumée
des vapür (les ferries locaux) qui parcourent le Bosphore et
qui remmènent leur flots de pendulaires amers vers les banlieues
tentaculaires au sud D'Üskudar. Pas si loin des livres d'Ohran
Pamuk.
Le film fini, on peut
continuer la ballade en s'engouffrant dans les disquaires de Tünel.
Les rayons du plus sympathique d'entre eux, LALE PLAK, dans
trahissent la géographie et l'histoire perturbée de la ville
carrefour : la musique est perse, arménienne, bulgare, elle se
réclame du rembetika grec (popularisé au passage par les
punks cosmopolites de KLETKA RED...) des cultures hébraïques, rom,
parfois arabisante, une pointe de flamenco voire espagnol pour
sceller le tout. Une plongée totale au cœur du vieux bassin
méditerranéen, qui dénote un attachement toujours vivace à ces
régions autrefois sous la domination Ottomane.
Je citerais TAKSIM TRIO,
synthèse subtile d'un jazz discret et de tradition tourbillonnante
électrifiée, ainsi que le « Wind » de Kayhan KAHLOR et
Erdan ERZINCAN fusion parfaite de la musique de deux grands empires
de jadis, qui peuvent ainsi vous transporter jusqu'à l'Inde des
ragas, pas si lointaine...
Aujourd'hui, sur les murs
de Beyöglu et Istiklal Caddesi sont placardés les affiches des
tournées des stars internationales installées de l'underground
electro (Uffie, Trentmöller, Pantha du Prince) qui semblent faire
vibrer toute une jeunesse confiante à qui un avenir tout occidental
va bien finir par sourire. Pour ce qu'il reste des soufi, le goût du
raki, ou la pointe de nostalgie qui convient, il faudra chercher dans
les faubourgs éloignés et populeux, dans les cafés pleins de
moustaches à bérets ou même encore dans les ruelles autour du
Grand Bazar. Au détour d'une porte dérobée, on pourra entendre à
la sauvette quelques bribes de musique traditionnelle (que l'actif
label KALAN
s'évertue à faire revivre), crachotées par un petit poste radio,
ou sifflées par un gamin qui livre les verres de thé léger et
fumant aux commerçants tranquilles du quartier. D'oser pousser plus
loin encore, que s'ouvriraient les portes discrètes des ateliers où
sont toujours martelées à la main les fameuses cymbales qu'elles se
dénomment ISTANBUL
(Agop ou Mehmet, rivalité fratricides obligent...), TURKISH ou bien
sûr Zildjian.
Puis l'appel à la prière
des muezzin se mêle aux fumées de la ville, se répond de collines
en collines dans un écho lointain et confus rythmé par les cahots
réguliers du tramway.
Rumeurs d'une ville qui
se fait musique.
Un pont trop loin, (Going
East...).
L'Un
L'Un
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire