lundi 8 décembre 2025

2025 dans le périscope (pt 1/2)


2025 touche à sa fin. Le 21 siècle n’en est pas loin non plus. L’année nous a laissés pantois à contempler le nouveau visage du fascisme 2.0, qu’il soit blondin peroxydé et coprophage ou improbable et tout aussi vulgaire Mussolini sans prép-ce. Un troisième ? Il est blanc comme un cul, froid comme un iceberg gavé au césium et marine dans un bouillon toxique de rancune et de rêves de grandeur d’Empire retrouvée. Pendant ce temps, plus près de chez nous un petit monarque jupitérien s’est cramé les ailes sous le plafond de verre de ses compétences, aveuglé par son propre éclat.  Pendant ce temps-là le bon petit peuple forcément vertueux et hyper-consumériste attend encore le grand soir et les lendemains déchantant qui en découlent pendant que les autres glorifient un passé glorieux qui n’a jamais existé, c’était tellement vieux amant, hein ? Tous ignorant probablement que l’emballement des crises et l’horizon économique qui n’a de cesse de reculer est pieds et poings lié à une sainte croissance qui prend des airs d’arlésienne évanescente depuis que le pic pétrolier a été dépassé dans un silence minéral. Mais comme ce bon vieux philosophe aimait à nous le répéter à l’heure du petit déjeuner « l’art nous est donné pour nous empêcher de mourir de la (post-)vérité ». Philosophie de comptoir boudeuse qui en a pris pour son grade depuis que Shein (prononcer « Scheiße », ça signifie merde en allemand) ou Temu (prononcer t’es mou) ont pris le contrôle de nos esprits et de notre porte-monnaie. Que reste-t-il de nos amours musicales alors ? Evil-Spoty et Shitcamp joués dans des @irpods de contrefaçon vendu par un agitateur culturel franchement largué? Lassitude moderne guettant à tous les étages, le parti pris cette année était comme d’habitude fainéant ; et peut-être plus rétrograde que jamais aussi. A chercher le réconfort en puisant dans tous ces vieux trucs surannés pour lesquels mon appétence n’a pas faibli : il y a certes le présent pour fouiner dans l’actualité féconde mais une vie entière ne suffirait pas pour piocher dans les archives de la petite histoire musicale… Alors désolé pour les vieux beaux de la génération X qui s’accrochent désespérément à une morne branchitude : pas ici qu’on pourra dénicher le next big thing qui donnera l’illusion d’encore en être… Les jeunes s’en foutent, ils ont compris à piocher allègrement n’importe où et n’importe comment : c’est vrai qu’entre Jimi Hendrix, Bananarama et Mister Gims il n’y a au plus qu'une poignée d'années d’écart.

 

Récemment, c’est le "It’s a Beautiful Place" du duo WATER FROM YOUR EYES qui aura résumé l’année écoulée à lui seul. Pas cherché plus loin vu que ce petit bijou de pop déjantée et inclassable semble balayer crânement le spectre des « musique actuelles ». Un grand bond en avant dans leur discographie restée jusqu’ici pertinente mais plus hermétique. (allez : on leur accorde un 9/10. Et ce sera la seule note). 

La suite a été confuse avec ces deux albums à la source de dilemme intime : « ça vaut une chronique ou pas ? » (« oh et puis merde, trop la flemme »). De ce genre d’album presque parfait qui semblait cocher toutes les cases mais cette petite voix intérieure lancinante qui vient pourrir la vision lissée…  

Choke Enough d’OKLOU est un petit omni d’électro-pop adoubé par FKA Twigs. Même France Culture se confondait en louanges excessives, allant jusqu’à relier l’album de la jeune française à la culture rave des années 90’s (les poignées d’ecstas en moins). Certes à la rédaction ils n’avaient pas encore eu Siràt à se coller sous le palais pour tripper de la sorte. Non, c’est peut-être le refrain niaiseux sur Harvest Sky ; note discordante qui a réussi à faire vaciller un si bel édifice… (8/10 pour la peine, sinon on frôlait l’absolu ! Promis : plus de notation).

 

Je ne connaissais pas Eiko ISHIBASHI, artiste discrète et versatile, avec un net penchant pour les textures expérimentales. La compagne de l’exilé Jim O’ Rourke revient avec un Antigone de facture très classique : une pop jazzy, sombre et mélancolique qui vous murmure des horreurs à l’oreille. Les chansons pareilles à d’amples mouvements veloutés sont portées par de somptueux arrangements « à l’ancienne ». Mais le malaise se niche dans l’indicible à traquer de la sorte le détail qui cloche alors qu’il n’existe pas : à force de chicaneries il fallait bien admettre que les parois du chef d’œuvre étaient dépourvues de quelconque faiblesse ou aspérité. Mais c’était trop tard (catégorie « trop la flemme après coup, hein » ). 

Complètement passé à côté du dernier BIG BRAVE malgré un teasing prometteur. Le trio doom se renouvelle complètement, se libérant des tensions et du volume pour ne garder que drone et pulsations. La liberté de ton semble être la seule règle pour ce brulot de dark ambient rituelle et tactile. Un pas de côté réussi dans une discographie elle-même à part.

MULE JENNY n’est peut-être pas aussi connu que les autres groupes dans lesquels les membres officient (WE INSIST ! et LYSISTRATA quoi…), mais avec ce Take Enough Leeway, le trio a de quoi prétendre à se hisser très haut dans le petit microcosme (parfois étriqué) du noise-rock. C’est fluide, nerveux et alambiqué. Sincère aussi. L’enregistrement sec met en valeur tout le potentiel scénique : MULE JENNY,merci de passer près de chez moi !  


Après avoir délicieusement perdu pas mal de fans de la première heure avec leur   Infinite Granite aux accent shogaziens marqués, DEAFHEAVEN se recentre sur sa marque de fabrique initiale avec ce Lonely People With Power qui distille son post-black-métal (ou black post-métal ??) avec la même ferveur terrassante du séminal Sunbather. Le genre d’album qu’on va retrouver à coup sûr dans le top 10 de l’année (dans sa sous-catégorie…).

C’est bien parfois de sortir de sa zone de confort… En compagnie de Steven Wilson. Ne connaissant PORCUPINE TREE que de nom, j’ignorais que WILSON traçait sa route obstinément avec une discographie longue comme un bras; et des morceaux longs comme un bras avec « Objects Outlive Us » de 23 minutes qui inaugure un The Overview généreux et plus prog-rock que jamais. De là se retaper la disco intégrale Yes ou VAN DER GRAAF GENERATOR il n’y a qu’un Rubicon que je ne franchirais pas (flemme…).

On peut toujours contrebalancer les escapades prog’ coupables avec le (post ?) punk riot girls du trio irlandais.e.s MHAOL (se prononcerait « mule »…). C’est anguleux, engagé et enragé. Le tout plié dans l’urgence (punk) en moins de 30 minutes. What the fuck else ? Si : le collectif canadien LA SECURITE qui délivre autant d’énergie énergie avec moins de papier de verre et plus de hype bien groovy.

Dans des registres plus obscurs qui ne versent pas dans l’austérité du genre, la newyorkaise Lew NIYOMKARN propose une musique électro-expérimentale qui reste cependant ludique et exploratoire (à rapprocher des Mathias PUECH ou Gonçalo F. CARDOSO). 

Belles surprise glanées sur un blog « ami» (Inactuelles) qui fait de la résistance : le quatuor IKI dont le travail sur The Body (qui peut rappeler Meredith MONK ou Terry RILEY ) est axé sur les voix ainsi que le Time of Change d’Angelina Yershova qui s’ingénie à brouiller le signal de son piano erratique (bel à-côté dans une discographie plutôt new age…).

Les travaux du marocain Ahmed ESSYAD ont été récemment réédités et c’est un plaisir de découvrir ses manipulations électroacoustiques arides, tendues et chargées de mystères. Et c’est forcément sur SubRosa que l’on trouve encore ce genre de surprises.

Autre réédition, c’est Mental Detentions de l’écossais Robert RENTAL. Associé à la scène radicale de l’époque (THROBBING GRISTLE, WHITEHOUSE) ses synthés délivrent une musique sombre et rituelle entre pulsation cardiaque et échos de friches industrielles.

Sinon il y aura toujours une place secrète pour un disque de Jérôme NOETINGER, cet infatigable activiste des musiques de traverses, et maitre dans l’art de pousser un Revox dans ses limites. Et Intensior Corda Sonus résume bien son esthétique (et son engagement) avec ces manipulations virtuoses et abrasives.

Ajout de dernière minute !! Jorge DURAN RODRIGUEZ. Evidemment inconnu au bataillon, Across Currents propose une collaboration live avec Takaro KUROKAWA sur laquelle ils explorent rythmes, glitches nappes et pulsations. Le concept n’est pas des plus original mais le résultat est d’une fraicheur (certes rigoureuse). Belle surprise de l’année…

 

Catégorie des vétérans qui d.étonnent toujours, on a une belle livraison cette année. Les vieux briscards s’entêtent, font de la résistance avec une carrière à rallonge. Mais ils ont souvent pavé la voie et participé à définir les esthétiques en cours (ou leurs fondations à minima…). Après leur réinterprétation espiègle du In C de Terry RILEY on ne les attendait plus vraiment, perchés sur leur petit nuage. Les YOUNG GODS nous balancent un Appear Disappear solidement ancré dans son passé avec les samples bien en avant et cette chaloupe electro-indus dont ils se défendent. Rien que pour le groove monocorde de Shine That Drone la longue route en vaut la peine. 

Autre habitué de ces pages c'est Mick HARRIS qui toaste sévère, sous son patronyme cette fois : après les Hednod Sessions qui proposaient une version du SCORN décharné jusqu'à l'os des années 2000, ces Culvert Dub Sessions pachydermiques font plutôt le parallèle avec les récentes sorties plombées dans des basses abyssales et cradingues. 

Après un hiatus de près d'une décennie, et pas loin de trois décennies d'existence, TORTOISE, vétérans du post- jazz ou rock, c'est selon, nous reviennent avec un Touch tout en velours matois et organique. De là à affirmer que c'est leur meilleur travail depuis Standards, c'est un raccourci que je ne prendrais pas, mais il est sûr que le collectif de Chicago a toujours su évoluer sereinement comme un seul corps. 

Cerise sur le gâteux, c'est le sludge-noise sociopathe des vétérans suédois de BRAINBOMBS qui sort du bois comme on crie au loup avec le très subtilement nommé « DIE ». Rien de neuf avec leur mid-tempo concassé, riffs saturés en boucle et cette voix monocorde qui débite l'horreur indicible. Non : rien. Mais ça fait toujours plaisir de savoir que BRAINBOMBS existe toujours, juste tapi dans un coin d'ombre et prêt à vous sauter à la gueule ; histoire de ruiner une journée qui s'annonçait prometteuse. 

Et puis on peut toujours parler de ZËRO sans pour autant parler de rien. Les transfuges de BÄSTARD/DEITY soit ce qui s’est fait de plus excitant dans la scène noise française des 90’s ont toujours continué leur cheminement avec une belle flopée d’albums dont leur dernier Never Ending Rodeo qui continue d’ouvrir de beaux espaces entre fougue « noiseuse » et post-rock illuminé.

jeudi 27 novembre 2025

Heta BILALETDIN : "Nauhoi"


Album en chausse-trappe dangereusement fait maison. Et grand bond en arrière à flirter avec la no-wave et les expérimentations basiques (= analogiques ?) de la face sombre et cachée de ces années 80’s trop rutilantes pour être honnêtes. Le Nauhoi de l’artiste finlandaise Heta Bilaletdin, bien que daté de 2021, semble tout droit sorti de cette époque à la créativité embryonnaire et foisonnante où le DYI ne s’appelait pas encore home-studio. Les techniques sont mixtes et presque désuètes ici : heureuses rencontres entre vieux objets trouvés, vieux synthés, vieilles bandes magnétiques, vieilles guitares désaccordées (et probablement vieux computer…) et une musicienne tapie dans l’ombre à glaner ses sons et ses trouvailles de chez Castorama au fil de la dernière décennie écoulée, là où d’autres accumuleraient paisiblement les strates sédimentaires au fond de l’océan. Musique de bricolage donc, comme un acte de résistance inconscient aux techniques de productions lisses et millimétrées d'une époque qui se veut aseptisée. Ça fleure bon le 4 pistes et une kyrielle d’effets analogiques qu’on peine à modéliser en plugins pour Ableton : le cauchemar du beatmaker d’aujourd’hui, quoi (ou une source d’inspiration inespérée…). Et on tient là une espèce de synth-pop foutraque, un peu ambient, un peu dark, un peu cold aussi, et dont les reptations anémiées ne cessent de vriller nos oreilles, nos sens et notre sourire. Nostalgie 2.0.

 

L'Un.

Heta BILALETDIN : "Nauhoi" (Fonal. 2021)

mardi 11 novembre 2025

Gonçalo F. CARDOSO : "Exotic Immensity"

« La tentation d'une île »

 

Biais de confirmation : à la première écoute, certes distraite, de se  laisser berner, persuadé qu’Exotic Immensity s’inscrivait dans le sillage des travaux précédents de Gonçalo F. Cardoso qui documentait les contours sonores des iles traversées : Canaries, Açores, Zanzibar ou Borneo. Pas forcément du field-recording pur et dur, mais plutôt des reconstitutions subjectives, des superpositions de paysages sonores enveloppées d’électronique plus ou moins prégnante. Un léger différentiel s’impose cette fois sur une île imaginaire pour laquelle le champ des possibles et des expérimentations est ouvert aux vents contraires. Si les sons captés semblaient souvent dominer sur ces « impressions d’îles », ils deviennent une matière souple et modelable à l’infini dans cette immensité exotique à (re)créer. Comme un paysage rêvé entraperçu à travers les battements de paupière d’un songe éveillé. Les strates sonores évoquent l’épaisseur de la couche nuageuse qui nimbe l’archipel d’un entêtant mystère. Tournoiements de boucles. Le quai d’embarquement est brouillé et semble s’éloigner de pair avec le reflux. La présence humaine est tapie dans l’ombre des détails luxuriants et filtrés ; comme un rituel ancien et oublié. A moins que ce ne soit une présence animale et crépusculaire. L’analogie insulaire se confirme : derrière un exotisme de façade aux contours aguicheurs et veloutés, une âpreté lui succède au fur et à mesure que l'on s'enfonce dans la moiteur de cette nature encore intacte.... Gonçalo F. Cardoso a composé un panoramique d’une dark ambient qui n’est pas sans rappeler On Land d’Eno ou Substrata de Biosphere. Avec ce supplément de rugosité propre à ces reporters de terrain, chasseurs de sons plus en phase avec une réalité - même imaginaire.

 

L'Un.

 

Gonçalo F. CARDOSO : "Exotix Immensity" (Discrepant. 2024) 

 


mardi 28 octobre 2025

GOAT (JP) "Without References / Cindy Van Acker"

Derrière GOAT (JP) on trouve un certain Koshiro HINO, obsédé par l’électronique les percussions et STOCKHAUSEN. Le monsieur a du croiser le fer avec une des incarnations les plus récentes des BORDEDOMS et toute la clique avant-gardiste du pas si paisible archipel nippon. Un pédigré pas si facile à tracer sur le net, mais son projet GOAT (JP) est peut-être le plus en vue dans nos contrées occidentales. Le concept du quatuor est simple : une pulsation toute motörik : GOAT n’est que tourbillonnements percussifs et brouillage de timbres. Bah, juste un peu poussé dans ses retranchements, comme seuls les Japonais en sont capables lorsqu’ils s’approprient un objet exogène (ndlr : les clichés ont la peau dure parfois. Mea culpa, okay ?!). Entre techno froide et hypnotique et l’ivresse rêveuse d’un gamelan imaginaire, une musique de répétition 100% machine-free, dont les micro-variations sont issues de l’erreur humaine, trop humaine. Musique de commande aussi, « Without References » a été composé pour la chorégraphe Cindy Van Acker (qui collaborait habituellement avec feu Mika "Pan Sonic"Vainio). Ce qui peut expliquer une forme plus froide, presque démonstrative, contrairement aux 2 précédentes productions sur lesquelles la présence humaine est plus dicible, les résonances plus rugueuses. Mais cette rigueur fascine comme un objet qu’on observe à distance, les paupières mi-closes et incrédules. Une polyrythmie fracturée inaugure l’album avec le tribalisme clinique d'un « Quest », comme si le NEUBAUTEN des débuts avait troqué les amphétamines pour une tasse de kombucha bio avec une batucada de quartier. « Factory » s'inscrit dans cette ligne en pointillés nerveux avec un rigorisme minimal encore plus marqué. Entre, s'intercale une rêverie saccadée pour gamelan réinventé ou encore un « G-H-S » qui flirte avec les tangentes heureuses d'une ambiant percussive de salon. « Orin » relève du tour de force opiniâtre avec ses pulsations carillonnantes dont les saccades rythmiques se révèlent à l’oreille aguerrie après une bonne dizaine de minutes à l’épreuve. Il y a comme des échos distants et fragmentés de CHARLEMAGNE PALESTINE dans ce morceau et le final « CR » qui s’éloigne dans les brumes massives de cymbales grommeleuses. L’expérience est tant physique que sensorielle avec GOAT (JP), à rechercher de la sorte la fluidité du mouvement dans le groove forcené d’une transe implacable et syncopée. Le travail exécuté est millimétré sans pour autant verser dans un rigorisme mécanique : on sent, on entend le travail de la main, qui nous emporte dans ce tourbillon subtilement asynchrone qui fait du corps et de l’oreille un seul instrument de résonance. A placer sous le saint patronage de Terry RILEY et à rapprocher des forcenés du rythme analogique comme leurs compatriotes de NISENNENMONDAI, KUKANGENDAI (que j’aurais dû chroniquer à 3 reprises déjà ; la flemme…), Oren AMBARCHI (et son Quixotism, par exemple) ou le binôme de choc INSTITUTRICE. Mais la liste est ouverte, comme l’échelle de Richter.
 
 
L'Un. 

GOAT (JP) "Without References / Cindy Van Acker" (Latency. 2025)