dimanche 5 octobre 2025

ALWAYS AUGUST "Largeness Without (W)holes "

 Chronique paresseusement rédigée par une journée orageuse du mois d’août 2025.

 

 

 

Quand on évoque SST Records, label phare et pionnier de la musique indé des années 80’s, on peut à minima distinguer 3 phases dans son histoire. Les débuts exemplaires d’un label DIY créé par les membres de Black Flag pour promouvoir son groupe puis les groupes des potes. Puis une certaine notoriété aidant, SST était passé en mode tête chercheuse, signant les groupes à tour de bras et ouvrant le champ des possibles, loin de se cantonner à un style (le punk), quitte à se faire honnir par le noyau conservateur et transi des fans de la première heure (on y croisait tout de même Sonic Youth, diverses formes de jazz, et une poignée d’allumés de la de la scène expérimentale de l’époque ZOOGZ RIFT, Elliott SHARP, Fred FRITH…). En gros, acheter un disque estampillé SST, c’était cool. La suite qui n’a toujours pas de fin se perd dans d’interminables procès pour malversations des artistes souvent lésés, le label délocalisé au Texas n’étant que l’ombre de son fond de catalogue et servant principalement à promouvoir la mégalomanie sans fond d’un Greg GINN avec ses innombrables avatars autistiques qui finissent par tourner en rond.

On va pas refaire la petite grande Histoire avec la première période et encore moins se salir les mains inutilement dans ce qu’est devenu cette parodie de label. Non : c’est la tête chercheuse qui signait des groupes à tour de bras qui nous intéresse, SST Records à incarnait parfaitement un certain esprit d’une certaine époque. Celui d’une scène qu’on ne qualifiait pas encore d’indé, presque naïvement ouverte à tout, avant la grande récupération par les Majors dans la décennie suivante… Depuis, le fond de catalogue (piètrement géré) a pris la patine du temps, des petites pépites surannées à (re-)découvrir, même si relevant parfois plus souvent de l’anecdotique sympathique.

ALWAYS AUGUST. Rien que pour ce nom doux-amer, qui rappelle les promesses perdues de nos derniers jours de vacances. Pour la pochette au graphisme naïf. Le propos garde cette même candeur indolente avec ses alternances de compos maladroites et de jams sessions un peu molles et paresseuses. Avec sa langueur candide, Largeness Without (W)holes est un disque d’à peu-près qui à lui seul résume la décennies 80’s (probablement mieux que tous les revivals surexposés qu’on nous assène). Le disque de potes, qui voient leur rêve se réaliser avec la signature inespérée sur le label le plus cool de l’époque. Pas un morceau marquant ou un air entêtant. Juste cette agréable sensation vaporeuse.On ne sait pas vraiment où finissent les répétitions de garage et où commencent les compositions en filigranes au fil des morceaux qui s’enchainent et s’effilochent sympathiquement. Un peu de flute, des échos lointains de section à cuivre ou quelques cordes frottées pour renforcer cette impression de jazz brouillé. Certains audacieux (ou fans transis) y voient la rencontre du GRATEFUL DEAD et du BLACK FLAG. On en est loin du compte, l’argument de supermarché ne tient pas la route face à ces mastodontes du solo de guitare à l’infini. Mais l’idée y est, et ALWAYS AUGUST est de ces albums qui vous donnent envie d’embrasser le reste du catalogue à bras ouvert (allez : je pense à TAR BABIES, OPAL, SLOVENLY ou ALTER NATIVES !). De les redécouvrir, sans filtre, juste pour apprécier l’air d’un temps révolu à l’ombre d’une belle journée d’un mois d’août caniculaire.

 

L'Un. 

 

ALWAYS AUGUST "Largeness Without (W)holes " (SST Records. 1987)

mardi 23 septembre 2025

BOWERY ELECTRIC : Beat

"New York I love you, but you're bringing me down" (James Murphy)

 

Du trip-hop, mouvement anglais qui combinait astucieusement des éléments d’acid-house, de breakbeat et d’ambient dans une scène électronica montante, on ne retiendra finalement qu’une poignée d’artistes : pensez MASSIVE ATTACK, pensez TRICKY ou MORCHEEBA. Et PORTISHEAD. Trilogie au carré qui laisse dans son sillage une myriade de groupes aux destins plus ou moins anonymes. Quelques seconds couteaux ont su tirer leur épingle du jeu dans cette scène plutôt ouverte et expérimentale (penser seulement aux excellents LAIKA…) .

Alors pas certain que les saillies boudeuses des Américains (qui plus est) de BOWERY ELECTRIC s’inscrivent parfaitement dans cette mouvance, mais à l’époque on ne parlait pas encore de drone-music, et au final l’essence du trip-hop réside peut-être dans ces expérimentations hybrides, ouvertes et inclusives. L’étiquette est vendeuse, mais à part ce très fort sentiment de vacuité vaporeuse qui vous étreint dès les premières pulsations, la musique de Beat semble davantage puiser dans les espaces infinis qu’offrent les bourdonnements continus tels que définis par La Monte YOUNG, ou les brouillards cafardeux du shoegaze, ce drôle de sous-style musical aux contours floutés. Atonale du début jusqu’à la fin évanescente sur cet album grésillant. Comme un lent cheminement vers la lumière pâlotte et vacillante. Les textures de cet album alangui sonnent comme une reprise sédative d’un No Fun vidé de sa substance iguanesque. Alors trip-hop pour l’atmosphère et ces boucles rythmiques répétitives à la proto-SCORN, pourquoi pas ? Ou sinon de jeter une oreille sur leur 3° et dernier album Lushlife plus accessible. Beat est de toute façon parfaitement en phase avec son époque faussement décontractée.  Pour le reste, ce n’est peut-être là que de la musique de périphériques déserts pour lunettes noires, nuit et lignes blanches…

 

 

 

L'Un.

 

BOWERY ELECTRIC : "Beat (Kranky. 1996)


 

dimanche 7 septembre 2025

DEADGUY "Near-Death Travel Service"

"Chantons la louange de Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ ! Dans sa grande bonté, il nous a fait naître une deuxième fois en relevant Jésus-Christ de la mort. Nous avons ainsi une espérance qui fait vivre" (Première lettre de Pierre 1:)

 

 

Au début des années 90's, les groupes qui dessinaient les contours de ce qu'on appellerait plus tard metal-core ou autre math-core n'étaient pas légion. Une poignée de groupes confidentiels qui cherchaient à s’écarter de la tendance viriliste du gang de gros lourdaud à casquette sous testostérone qu’était devenue la frange la plus visible du hardcore punk. Leur propos sera plus viscéral, enragé et engagé le tout servi par une exécution plus anguleuse, une technicité hors pair en insufflant une bonne dose de métal. J’en oublierais forcément alors autant citer les pionniers et grands oubliés de RORSCHACH (deux albums, deux pierres d’achoppement). BOTCH ou CONVERGE évidemment, mais qui prendront quelques années avant de décoller... Au mitan des années 90’s débarque DEADGUY, avec son «Fixation on a Co-Worker », coup de pied dans la fourmilière en en forme de patate chaude. Le groupe avait déjà sorti un EP sous pressé déjà alléchant, mais avec l’arrivée de Keith HUCKINS (ex… RORSCHACH donc…) la dissonance s’invite, propulsant le groupe dans la puissance ravageuse d’un chaos rigoureusement organisé. La première minute d'écoute sur l'inaugural Doom Patrol donne un aperçu de la déflagration dont les échos n'ont eu de cesse d'influencer une tripotée de formations à commencer par des trucs comme DILLINGER ESCAPE PLAN. Un EP un album en forme d'uppercut. 

Puis rien. 

Le groupe est tombé dans les oubliettes ou les bacs à soldes depuis un bail. Tim Singer a donné de la gorge avec Keith HUCKINS (et la section rythmique de RORSCHACH) dans l'éphémère KISS IT GOODBYE, ou encore dans BITTER BRANCHES. Mais non : rien de plus et encore moins avec DEADGUY. Puis une trentaine d'années plus tard, l'annonce inopinée d'un nouvel album tombe sans prévenir. Avec un tel laps de temps on ne peut même plus parler de come-back ou de reformation. Alors vaguement goguenard, on peut s'attendre à l'insipide ou au pire.

Non.

 

D’emblée le groupe frappe fort avec un Kill Fee pied au plancher qu’écrasent littéralement les suivant Barn Burner et New Best Friend. Les gars se jouent de la pesanteur des années écoulées. Les hurlements de Tim SINGER sont intacts, les riffs restent vicieux et dissonants appuyés par une artillerie rythmique lourde : DEADGUY est réactivé. Les morceaux s’enchainent sur la corde raide, la rage contrôlée alternant parfois avec le groove rampant d’un Forever People ou The Long search for Perfect Timing. Il faut attendre le vague ralentissement de War With Stranger et sa progression tendue implacable, faux temps calme de l’album, pour tenter de reprendre son souffle.

 

Alors oui.

 

A l’instar de ce que j’avais pu écrire sur la réactivation de JESUS LIZARD, DEADGUY joue bien du DEADGUY. C’est sans équivoque et surtout sans aucun compromis. Les gars avaient visiblement encore quelques trucs à cracher à la face du monde, avec le plaisir évident de le faire ensemble. Ils jouent du DEADGUY revenu de tout dans un monde pourri qui n’a finalement pas beaucoup évolué comme l’illustre la pochette intrigante (au logo dispensable.). Bizarre d’évoquer cette bande de vétérans dans une époque où on trouve autant de formations estampillées hardcore que de morpions dans la culotte d’un chanoine. Sauf que ces gars-là ont précisément pavé la voie à toute cette descendance mal assumée. Un disque sorti dans un anonymat relatif. Qui valait bien une homélie bancale.

 

 

 

L'Un.

 

DEADGUY "Near-Death Travel Service" (Relapse. 2025)