"Seul au milieu d'une foule d'inconnus, je chante comme le soliste d'un chœur céleste- ma langue un nuage de miel- y a des fois où j'me dis que je suis bizarre" (R. Brautigan, Journal Japonais)
Vous connaissez Stephen
O’MALLEY ? Pas forcément facile à identifier le gars, encapuchonné dans sa
robe de bure lorsqu’il officie au sein du duo SUNN O))) (=> une bonne
fois pour toutes, ça se prononce « sun » - sʌn,
ok ?). A côté de ce légendaire combo de goules vrombissantes, il a
aussi fait partie de KHANATE ou encore NAZONARAI, lorsqu’il ne se produit pas
en solo ou dans de multiples projets collaboratifs. Soient
autant de façons de décliner le métal dans ses formes les plus extrêmes, voire
conceptuelles en entretenant un rapport physique au son. A côté de la bête de
scène, l’animal est aussi un plasticien féru d’art contemporain. De toute
façon, un gars qui a quitté Seattle pour Paris et cite tranquillement la b.o de
Vertigo, On the Corner de Miles DAVIS ou Paranoid du SAB’ FOUR ne peut pas être
fondamentalement antipathique. Et jusqu’ici tout va bien, non ? Parce que sur une petite dizaine de lignes j’ai réussi à vous parler d’un velu
à capuche sans aucun lien avec la silhouette fluette de la pochette... Et AI
ASO dans tout ça ? Eh bien en plus de ce CV long comme la manche d’une chasuble,
il faut ajouter aux activités de cet hyperactif la gestion du label Ideological
Organ (co-fondé avec feu Peter REHBERG (du superbe label electro pointue Editions MEGO). Et Fainted Hint dénote agréablement sur
un catalogue où la ligne éditoriale très sérieuse oscille entre divers drones,
et autres pratiques rituelles et hypnotiques. Deuxième album signé sur le
label, la discrète direction empruntée reste la même, désarmante de simplicité
et de candeur. Débarrassée en apparence de tous les artifices de production, on
fait toujours face à ces squelettes chansons, dans lesquelles les notes de
guitare égrenées avec parcimonie ou autres rares synthés, se confondent avec la
silhouette fluette de sa voix solitaire. Des ritournelles aux abords simplistes
qui se transforment en un conte d’un infra-ordinaire aussi impalpable que le
flot d’un fin filet d’eau fraiche continu. De ce format anémié qui emprunte
beaucoup à une dream-pop japonaise passée au mixer d’un minimalisme à
l’austère zénitude, ne subsistent que doutes et solitude existentielle d’une jeune
tokyoïte face aux affres de la trentaine. Ou la quarantaine peut-être. Parce
que d’AI ASO, one ne sait pas grand-chose. Sinon qu’elle a collaboré avec le combo
métal Boris (et quelques autres formations énigmatiques). Joli paradoxe
renforcé par le fait que le groupe l’accompagne sur un ou deux morceaux (c’est
Atsuo qui assure les percussions). Ce mur de son tout de velours diaphane est
renforcé par la présence de Stephen O’MALLEY derrière les autres instruments.
Rencontre de deux extrêmes qui établissent une sorte de long dialogue entre les
silences suspendus de l’album. AI ASO semble souvent au bord de quelques
abîmes, précipices et autres équilibres précaires, à exposer sa voix dénudée
sans pudeur et sans filet. Posture incertaine où tout est pourtant soupesé et
parfaitement mis en place, jusqu‘aux tensions qui s’installent entre deux notes
hésitantes. Petite musique nocturne faussement naïve, désespérément honnête,
qui distille sa mélancolie comme un poison sucré, un peu amer. Dehors le monde
peut bien s’écrouler et courir à sa perte, la pluie bat derrière la vitre, le vol
d’un piaf qui se perd dans un horizon cafardeux, les lumières de la ville, en
bas : AI ASO s’en fout, elle continue d’avancer à la manière d’un koan
hésitant.
L'Un.
AI ASO : "The Faintest Hint" (Ideological Organ. 2020)
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