vendredi 13 septembre 2024

THE JESUS LIZARD : "RACK"

 "Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi" (Apocalypse 3:20).

“I found my paddle around midnight” (D. YOW)

 

 

Les reformations de groupe m’ont toujours un peu fait chier pour être honnête. Cette impression tenace que les mecs, après cinq, dix voire vingt ans, n’ont finalement pas réussi à surpasser ce moment de grâce qui a pu les réunir le temps d’une enfilade d’albums et de tournées à rallonge. Gloire ou gloriole passée dont ils aimeraient reconvoquer l’excitation viscérale (quand ce n’est pas une simple histoire de pognon), ne serait-ce que le temps d’un instant.  Ou d’un album de plus, même si le résultat sera souvent poussif et assagi. Mais là on parle de THE JESUS LIZARD, diantre… quatuor de rêve s’il en est, dont on guettait aveuglément chaque sortie d’album. Un rock au groove taillé au cordeau qui pouvait très vite déraper. C’était indispensable pour tout apprenti rocker transi qui a grandi dans les années 90. Bêtes de scènes et éternels seconds couteaux… Le groupe flanqué de son chanteur au regard de fauve épileptique débraillé résume peut-être à lui seul une certaine idée de ce qu’a pu être cette scène sous amphètes, là, juste sous le radar des productions mainstream. Puis l’après : des carrières solos en pointillés…  David YOW a bien poussé de la voix ça et là dans son rôle de guest de luxe, avec les Suisses de VENTURA, le duo QUI (?), voire avec les mythiques FLIPPER (cette bande de clodos magnifiques qui s’auto-congratule et s’auto-parodie depuis près d’une trentaine d’années). Mais sans réellement convaincre. Duane DENISON lui, après son escapade feutrée au sein du trop confidentiel et jazzy DENISON/KIMBALL TRIO (un duo, en fait…) aura surtout occupé les années 2000 avec ce TOMAHAWK, supergroupe qui sonne un peu comme du Reptile boursouflé et amputé de son (vrai) chanteur… Le constat est un peu raide mais on se remet rarement de pareille aventure au sein d’un combo idéal. La barre est haute.

Puis la nouvelle est tombée en mai ou en juin dernier, sans faire trop de bruit au départ. Très vite, elle n’aura pas manqué d’affoler tous ceux qui pensaient à raison qu’il faudrait se contenter de souvenirs poussiéreux et de leurs galettes de vinyles usées ou autres cd’s rayés. Enfin quoi, c’est THE JESUS LIZARD fichtre : on perd un peu toute objectivité. Surtout quand on est un jeune quinquagénaire (et un futur ex vieux con). Alors à pointer le museau de la sorte sur notre planète noise-rock devenue plate après un bon quart de siècle de silence radio grésillant, autant dire qu’on les attend comme le Messie chaussé de santiags en peau de serpent… Histoire de voir ce qu’ils ont (encore) dans le cornet les vieux briscards.

Triste ironie d’un mauvais sort oblige, l’annonce d’un nouvel album en 4 lettres tombe quelques semaines après la disparition de leur vieux comparse Steve ALBINI (derrière les manettes du polyptique parfait PureGoatLiarDown…). 

Marketing des temps modernes oblige, ce sera par petites touches de teasing putassier que se dévoilera RACK (: bah oui, c’est fini le label Touch&Go…). Du coup la chronique va s’étirer au rythme des singles.

Début juin : ce sera « Hide & Seek » donc.

Première écoute : on reste circonspect…

Deuxième écoute : pas mal quand même.

A la troisième écoute le « pas mal » s’efface. Le titre devient obsédant. La peau du lézard tanné retrouve toute sa souplesse. Cet art consommé du riff efficace retrouvé, les élucubrations nasillardes de David YOW. Et cette section rythmique à la fois mate et ronflante.

Début juillet, un « Alexis Feels Sick ». Plus introspectif et torturé, la poésie matoise de YOW en pleine forme.

L’effet teasing fonctionne à merveille.

Puis « Moto(r) » en août, sur un tempo enlevé et presque trop mélodique.

THE JESUS LIZARD semble réactivé et dépoussiéré, ignorant crânement le hiatus de ces 26 années.
Après, si on oublie la malheureuse aventure du dernier BLUE qui reste à part dans leur discographie, ce RACK s’emble s’insérer dans la continuité de SHOT. Ou peut-être juste avant, avec ce regain d’énergie brute et un son débarrassé des boursouflures d’une production de l’ère mercantile de l’après Albini… (SHOT donc…).  Bah oui, ça sonne un peu college-rock en formation resserré tout ça. Mais juste un peu. Légèrement plus formaté que les fulgurances erratiques de leurs débuts, certes, mais what did you expect, hein ? Déjà, dans une discographie qui s’étire,  on ne pond pas un de ces chef d’œuvre pierre angulaire emblématique d’un genre et même d’une époque tous les quatre matins… Il y a peut-être une contradiction fondamentale dans les évolutions respectives d’un groupe et de sa fan base hardcore, cette dernière à espérer secrètement que le premier nous refile nos premiers frissons et affolements séminaux sans changer quoi que ce soit dans la formule. Sauf qu’entretemps les musiciens ont évolué en parallèle. Depuis le temps, hein…

Eh oui, le monde est divisé en deux mon vieux Tuco : il y a ceux qui, farouchement, pensent que c’était mieux avant, hein, à tranquillement idéaliser un passé pourtant révolu derrière leur couperose avinée, et de l’autre côté les inconditionnels aveuglés et transis qui suivront le groupe quitte à se noyer dans la rivière à grand coup de pipeau. Puis il doit bien exister une troisième division plus nuancée, à équidistance parfaite des deux précédentes (= moi ?!).

Alors non on n’aura pas forcément la démence larvée d’un PURE ou d’un GOAT, et peut-être pas non plus les embardées lyriques à fond les balloches d’un putain de LIAR (quoique…). Non. Mais on pépie néanmoins d’impatience parce qu’on sait désormais qu’à minima, avec ces 3 morceaux lâchés en orbite, on sera déjà rassasiés en ces temps de vaches maigres et rockers apathiquement pompeux. Allez, l’essai est presque transformé. Il ne nous reste qu’à découvrir la suite d’ici une bonne dizaine de jours.

Ce vendredi 13, l’album dévoile enfin ses charmes. Et conforte cette impression initiale : très orienté college-rock, donc, efficace et à classer juste avant SHOT (donc). Pas trouvé d’autre morceau aussi saillant que les trois singles à vrai dire. La patte du groupe est intacte, son énergie aussi. On grapille des vieux plans sur-vitaminés à la… à la JESUS LIZARD (Grind ou Falling Down…), mais l’essentiel des morceaux à tendance à tourner en rond dans cette dynamique carrée. Un poil trop direct et balisé, même si la balade étrangement flottante et tout en velours de What If illustre parfaitement le contraire. Ce n’est pas un manque d’inspiration. On sent au contraire un réel plaisir de jouer et surtout de se retrouver ; ça sonne très live tout ça. Mais manque sûrement ce petit quelque chose en plus qui rendait l’édifice instable et menaçant, à l’époque (dont un Alexis Feels Sick se rapproche)… Ou une de ces reprises dont le groupe avait le secret (TRIO, CHROME ou The DICKS…) Sempiternel album de la maturité alors ? Plutôt celui d’une réunion entre quatre potes de toujours qui auraient pu au passage se contenter de nommer cet album « PALS » tout simplement. Quatre lettres et un réel plaisir, même mitigé.

 

L'Un.

The JESUS LIZARD "Rack" (Ipecac. 2024)

jeudi 5 septembre 2024

K.K NULL & Joël GILARDINI : Psychic Drones 3

 "Music for Airports" (???)

 

On associe généralement le nom de K.K NULL au monstre ZENI GEVA, et ses prestations scéniques au fer rouge qui auront généralement laissé les audiences sur le cul les oreilles en sang. Un « après moi le déluge - sonique » qui interrogeait clairement sur la notion fallacieuse ou galvaudée de « noise » dans le « rock », même si K.K NULL ne se retrouvait pas vraiment sous cette étiquette. Mais il y a une vie après un groupe, même mythique. Alors on vire la guitare pour tout un monde insoupçonné de larsens, fréquences parasites et autres saturations blanches : et ça fait maintenant des décennies que Kazuyuki KISHINO officie dans le côté obscur d’une électro forcenée et hors-champ à côtoyer les extrêmes de la sorte. Musique de réclusion à chercher obstinément l’illumination ou la sortie du tunnel par la saturation du signal trituré. Quand le bruit devient fusion…. Ce troisième volet des Psychic Drones est le fruit consommé d’une rencontre prolifique entre le japonais et le guitariste suisse Joel GILARDINI. Les acolytes semblent trouver un terrain d’entente permanent dont l’équilibre ne tient qu’à quelques fréquences larvées près et autres aplats de masses sonores crépitantes. Avec ce travail patient d’orfèvres de la matière en fusion, ils se trouvent au seuil, hypnotique, d’une introspection ouverte où sacré et profane se confondent souvent pour sombrer dans un long continuum tourbillonnant : on touche les éthers à faire vaciller les couches profondes de la lithosphère de la sorte. On invoque possiblement des divinités effacées. Ou on s’assied, simplement, et on laisse le flot perturbé atteindre lentement notre lobe pariétal profond. Sensations extrêmes d’un apaisement incertain garanti. 

 

L'Un.

K.K NULL & Joël GILARDINI "Psychic Drones 3" (Give/Take. 2024)