mercredi 13 novembre 2013

Kirin J. CALLINAN : "Embracism"



Nick Cave 2.0 ?
Proto David Bowie ? 
Tom Waits stroboscopique ? 
Juste Kirin J. Callinan, nouveau en ville qui semble avoir la compulsive habitude de se regarder le nombril quand il n’est pas occupé à organiser ce crucial concours de bite qui le départagera enfin… Du premier (Nick), il en garde l’accent (et la nationalité), du second (mon vieux Dave), cette classe protéiforme, les saillies fulgurantes et la gueule d'empeigne n'appartenant qu'au suscité bonhomme, le vieux Tom trop occupé à régurgiter son mauvais vin.
Toujours marrant de voir ce genre d’escogriffe sorti on ne sait trop d’où (si, un groupe : Mercy Arms. 1 album, 2 ep's), un album solo à peine au compteur, et l’envie d’en découdre avec l’arrogance de ceux qui prétendraient le contraire. Il essaierait bien de nous effrayer dans son affirmation chancelante et surannée d’une masculinité écorchée vive, qu’il nous fait plutôt gentiment sourire. Sans ironie. De l’inique incertitude d’être né mâle dès son plus jeune âge... C’est sur ce genre de vitupérations que se construit là un album baroque, vénéneux et hanté où les ambiances aux structures complexes se télescopent , de la ballade au mauvais goût de variété à une idée moderne et dark du glam rock (une touche de Depeche Mode, une once de Bauhaus). Production  au scalpel tendue de bout en bout, arrangements anguleux enveloppés de ce son glacial parsemé de scories électrostatiques ; un bout de son âme forcément meurtrie qui se laisse saisir, perdu dans ces grands aplats de gris nuancé : la présence borderline de Kirin J Callinan exsude sur tous les morceaux, bestialité crue à fleur de peau cherchant la confrontation du mâle lambda en proie à ses doutes et angoisses récurrentes, chair  étrange. 
Chef d’œuvre orphelin auto-proclamé ? 
Coup de glaive classieux dans l’eau fangeuse ? 
Si ce putain de blog éditait un best-of de fin d’année à a la con, nul doute que l’animal y aurait la place qui lui revient de droit : celle du prédateur épileptique.

L'Un

Kirin J Callinan : "Embracism" ( TerribleRecords. 2013)

ses ep's précédents sur sa page Bandcamp

mardi 22 octobre 2013

BROU DE NOIX : "000"


On le suivait depuis un petit moment déjà, le Fred « DeNoix » Debief, bien appliqué à concocter ses élixirs électro-roboratifs planqué dans son home-studio. Il faut dire que le concept initial était frais (parce que dilettante ?) et légèrement teinté d’une aura (ici une pré-couche avant application ?) de secret : parution bi-mensuelle pendant 8/9 mois sur sa sympathique page Bandcamp de petits ep’s 3 titres au format digital, un visuel unique décliné sous toutes les nuances possibles, des nombres à 4 chiffres en guise de titre. La musique bricolée avec quelques synthés et surtout l’humeur du jour semblait relever du cabinet de curiosités foutraques aux conséquences aléatoires de plus en plus incalculables.  Quelques mois plus tard, l’idée était de produire un bel objet CD, histoire de donner un certain sens à tout ça. Si la souscription via le site participatif KissKissBankBank n’a hélas pas pu aboutir, le Fred en question ne s’est pas laissé aller à broyer du noir pour autant : l’album serait tout simplement  autoproduit.  
 Il y a quelques semaines de cela je recevais dans ma boîte à lettres un objet au visuel des plus sobres, judicieusement titré « 000 ». Remerciements de rigueur,  deux ou trois écoutes et quelques verres de mirabelle, et  je crois lui avoir écrit quelque chose comme « putaing c’est bien ton truc, mais ça va être la merde à chroniquer » (bon, okay, c’est un peu dramatisé là mais bon, hein). On laisse décanter jusqu’à la date officielle de parution.
(procrastination de rigueur)
Puis il faut bien s’y coller, à plonger les mains dans le brou de noix, donc ; c’est toujours mieux que de la mélasse. D’emblée, « 000 » est catchy.  Agréable, feutré et plaisant, et ce n’est en rien rédhibitoire. En fait j’aurais dû dire immersif,  le remarquable travail  de production n’y étant pas étranger : cette homogénéisation du son rend l’invitation au voyage plus aisée que sur les ep’s. C’est confortable, cette musique au  grain analogique fuligineux, où les références affleurent à peine évitant de la sorte de devenir de plates évidences :  l’orientalisme, avec ce  goût marqué pour les arabesques, le cinéma SF malgré lui, une certaine idée d’un rock noise, cold, indus ou autre chose, des notes épicées de kosmische Krautrock, de progressif, et (donc) de psychédélique. Une écriture affirmée et parfaitement maitrisée (l’air de rien surtout…) qui, sans renier les hasards de l’accident électronique contrôlé, donne à l’ensemble la cohérence vertigineuse d’une (anti) musique lounge en  pleine déréliction. Des reptations  insidieuses qui nous tiennent par la main évitant de la sorte la dislocation imminente :  le glissement vers de plus sombres univers opère au fur et à mesure que les repères s'effacent mollement. 
Confortable et immersif disais-je en substance ?
Ne reste plus qu'à se passer dans l’autoradio, par une nuit pluvieuse sur une autoroute déserte à slalomer entre les flaques d’encre opaques (autobahn...).

L'Un.


Brou de Noix : "000" (autoproduit. 2013)
l'album et les ep's sur sa page Bandcamp. Une longue et instructive interview sur le blog A découvrir absolument


mercredi 2 octobre 2013

JESU "everyday I get closer to the light which I came from"

JESU, c'était ce titre glacial qui clôturait le dernier album de Godflesh il y a une bonne douzaine d'années où Justin K. Broadrick grognait en substance « you’re fuuucked !! you've lost !! »… Puis cette longue diatribe infernale se muait en une jolie mélodie acoustique, fragile et maladroite, comme un retour au calme résigné. Un apaisement plein de doutes et une façon inattendue de clore près de 15 ans d’une implacable carrière enragée, et de paver de la sorte une voie charnelle et vibratoire pour la suite des aventures : JESU, projet bâtard et fécond de Justin K Broadrick depuis ces 10 dernières années qui en aura au passage perdu une lettre. Depuis le premier EP « Heartache/Ruined », une sérieuse poignée d'albums entre, l'actuel titre résume le chemin de croix de l'épopée au ralenti du projet JESU : malgré des réminiscences obsessionnelles dont la pesanteur engluée ne cesse de convoquer un passé jamais définitivement refermé (et pour cause, après quelques reunion-shows, on parle d'un nouvel album de Godflesh), un travail d'épure chargé de cette indicible mélancolie cicatricielle opère. Une transsubstantiation permanente comme un retour amer sur ce passé difficile à dépasser, où la colère laisse place à une résignation lucide et nostalgique. dans un air lourd et vicié duquel le corps flottant ne parvient pas à s’en abstraire. A l'exception d'un premier morceau où l'évidente quête de lumière troublée croise un tempo anormalement rapide, la suite se veut toujours ralentie et sursaturée, toujours aussi proche d'une extase contrariée par les fantômes électriques qui hantent les rêves des moutons androïdes. Avec cette petite touche inimitable d'un doux rêveur revenu du tout abrasif. Le nouvel évangile délivré de son enveloppe corporelle païenne sera sonique, dans un climat post-industriel délétère. Justin K. Broadrick ne cesse là d'emprunter de nouveaux chemins de traverse catatoniques  et insidieux avec ce regard faussement angélique d’un inquisiteur informatisé.

L'Un

JESU :  "everyday I get closer to the light which I came from" (AvalancheRecordings. 2013)
l'album en entier sur son label



un petit retour en arrière, là où tout a commencé : 





mardi 24 septembre 2013

Chris ABRAHAMS & Alessandro BOSETTI : "we who had left"

L'erreur initiale aura été de vouloir obstinément cantonner le travail de Chris ABRAHAMS à sa collaboration au sein The NECKS, l'album solo précédemment chroniqué dans ces pages ressemblant alors à une petite aventure nocturne du pianiste dans un champ le plus éloigné possible des reptations hypnotiques de son post-jazz trio. En fait, albums solo et collaborations sont multiples, comme autant de facettes d'une œuvre kaléidoscopique qui n'a de cesse d'explorer les limites territoriales de son instrument, quitte à le confronter à quelques mises en abîmes au passage... Cette rencontre avec  Alessandro Bosetti, multi-artiste basé à Berlin,  est pour le moins déroutante. Superposition ou mise en parallèle d'univers très distincts, les interprètes ne tendent nullement une fusion entre l'instrument analogique et un skronk électronique, à la manière d'Alva Noto & Sakamoto. Là, les errances respectives se cherchent et furètent à la tangente sans jamais se rejoindre, un mode erratique en soliloques parallèles pour seule partition commune.
Etrangeté, comme les arpèges avortés du piano, bercés par une électro-acoustique fantomatique où se perd un chant atonal et décal é (« We Cannot Imagine »).
Luxuriance stérile d'un strumming pianistique confronté à la montée en puissance de bruissements et interférences sinusoidales (« When They Are Overheard »). 
Naufrage distant pour notes orphelines égarées et langage morse digital (« We see infancy »). Primitivisme organique de la note unique martelée sans cesse dans un tourbillon de cliquetis sous pression (« We Also Dress Today »).
Dérapage incontrôlé d'une (cyber?) reprise à côté de ses pompes d'un morceau crooner de Bill Evans («Waits for Debby ») .
A défaut de la symbiose attendue, c'est une fragile alchimie des extrêmes opposés qui opère lentement, avec cette assurance modeste d'artisans-défricheurs sûrs de leur bon droit en ce monde de certitudes canoniques éculées.
Et Miles Davis qui doit se retourner dans sa tombe...

L'Un

Chris ABRAHAMS & Alessandro BOSETTI : "we who had left" (Mikroton. 2012)