Exercice rituel s’il en est. L’année se clôture une fois de plus dans un tourbillon tumultueux chargé d’incertitudes et d’angoisses existentielles : y aura-t-il de la neige à Noël, la Moldavie sera t’elle Russe en 2025 et la France déclassée AA- (sans pétrole et plus vraiment d’idées…) avec le retour furieux du blond peroxydé ? Le lavement au café, c’est vraiment bon pour la santé ? Hanouna c’est quoi ça, une marque de slips sales ? Ce n’est pas sur ces modestes pages qu’on pourra apporter des réponses évasives à de graves questions. Ni d’ailleurs offrir un panorama exhaustif de cette année musicale foisonnante. De toutes façons, dans le petit Landerneau des musiques indés, l’année aura été marquée par deux évènements polarisants : cette disparition soudaine d’un Steve ALBINI désormais sanctifié, suivie d’une résurrection du JESUS LIZARD. Le premier nous aura légué un de ses meilleurs SHELLAC et le second un « Rack » gaillard et inespérée (et bientôt canonisé). Si on rajoute le confortable « Rampen » des nobélisables EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN, on se dit que les années 80 – 90’s sont loin d’avoir tiré leurs dernières cartouches et n’en finissent pas de continuer à briller de leur sombre éclat sur les musiques actuelles. Une longévité certes adulée par les fans toujours plus vieillissants mais qui a de quoi exaspérer les générations actuelles : celles qui créent les vagues, mouvances et musiques de demain et qui grandissent dans l’ombre de ce c’était mieux avant que leur assène la génération X post boomer. Et il va probablement falloir continuer à vivre avec le poids du passéisme au vu des vagues de décès qui se profilent. Et leur corollaire d’hommages lénifiants qui vont de pair.
Alors vous l’attendiez tou.t.e.s, ce petit rattrapage in extremis (les stats de consultation du blog parlent. Un récap’ ou quelconque best-of des meilleurs albums c’est un peu comme un festival : pour le même prix on voit 10 fois plus de trucs qu’à un concert dans une salle de banlieue. Bah oui, la quantité prime sur la qualité, bande de lecteurs feignasses). Mais, à croire que le présent blogger vieillit au fil des ans, on ne va malheureusement pas franchement déroger à cette tendance passéiste édictée ci-dessus, une bonne partie des artistes sélectionnés provenant plus ou moins directement de ce putain d’âge d’or auto-proclamé. Ou s’en inspire goulument.
Comme ce Chris COHEN, plus connu comme guitariste des doux-dingues de DEERHOF qui signe probablement son meilleur album en solo avec Paint A Room. Une pop de traverse espiègle et finement maitrisée qui se joue des styles et des périodes avec des arrangements d’une richesse chatoyante. Un album de référence pour les dix prochaines années.
Figée (ou statufiée) dans les nimbes d’un PORTISHEAD indétrônable, Beth GIBBONS réapparait après un hiatus de dix ( ?), quinze ( ?) années. Peu importe quand on est une artiste intemporelle. Album de la maturité (etc…) on aura lu et entendu pas mal de conneries sur ce come-back inattendu et sans trop d’effets d’annonce. Mais cette diva britannique discrète et brumeuse a simplement produit un album généreux, entre incantations rituelles et lucidité à la fois apaisée et angoissée. C’est le corps vieillissant, le temps qui s’écoule qu’elle invoque et convoque au travers de ces compos aux arrangements riches et rêches.
Je ne connaissais pas les texans de LOMA, jusqu’à ce How Will I Live Without A Body littéralement suspendu dans une grâce introspective. Le temps peut s’arrêter, plongé dans leur ambient-folk sépulcrale et décharnée. Entre PORTISHEAD et LOW, pourquoi pas, mais dans des tonalités feutrées et retenues. Parfait pour affronter ses solitudes intimes.
Beaucoup, beaucoup tourné sur les platines, The SMILE. Avec deux albums en moins d’une année, le projet post-RADIOHEAD de Thom YORK s’étoffe enfin à mes yeux et trouve son rythme de croisière.
Sceptique pour de mauvaises raisons avec leur premier A Light for Attraction, ces deux successeurs ont plus de cohérence et de chaleur à accoler le préfixe « post » au rock ou au jazz. Cette impression confortable d’être au plus près dans leur local de répèt’ (ou dans les backstage du festival de Montreux) à les voir tricoter leurs thèmes à la (post-)modernité urbaine (post-)dépressive.
Si Lol THOLHURST n’est pas forcément un nom familier pour tou.t.e.s c’est pourtant le batteur originel des premières année d’un combo anglais qui s’appellerait The CURE. Tombé dans l’oubli et l'alcool depuis son éviction à la fin des années 80’s. Autant dire que ce « Los Angeles » revient de loin avec sa pochette illustrée d’un puit de pétrole ("drill, baby, drill" pour comme dirait le furieux blond péroxydé) et sa pléthore d’invités (James « LCD » MURPHY, the Edge ou Mary LATTIMORE…). Pop résolument moderne, anecdotique quelque part, qui fait la part belle aux rythmes concassés, quelques touches d’électro et gros arrangements. On pourrait « disque de batteur » pour reprendre un hashtag de ce blog. Je ne sais pas trop si c’est plus passionnant ou excitant que le dernier et tout aussi inattendu The CURE : je n’ai toujours pas osé écouter ce dernier, planqué à réécouter Faith ou Seventeen Seconds en loucedé (les albums avec Lol THOLHURST donc…).
Les bataves de TRAMHAUS ne reviennent pas de loin eux, bande de jeunes bien ancrés dans leur époque à ressusciter l’esprit post-punk à l’instar d’un URANIUM CLUB ou autre BODEGA. Ce n’est donc pas l’album de la maturité mais au contraire un petit brulot surexcité qui privilégie l’énergie frontale et communicative au détriment de quelques maladresse et plans/compos trop systématiques : TRAMHAUS, il faut les voir en concert.
Nul doute que les petits derniers suscités et une sacrée ribambelle de groupes plus ou moins contemporains n’ont pu qu’être influencés et biberonnés à grands coups de CAN dans les oreilles. Trois, quatre décennies plus tard, le collectif allemand ne cesse d’étendre son aura et de faire des émules. Avec une régularité maniaque, Irmin SCHMIDT, désormais seul survivant de l’équipée teutonne, n’a de cesse d’exhumer des enregistrements live inédits du groupe. Cette année on a droit à un live in Paris 1973, celui d’Aston en 1977 (et un single du concert de Kiele en 1977). Pick your king : les concerts de CAN étant réputés pour ne jamais se répéter, à sans cesse se réinventer au fil des humeurs et des impros… Meilleur groupe d’un autre monde possible ? Sans nul doute, ouais….
Issu de la même décennie (ces 70’s hurlantes…) et tout aussi mythique,dans une veine beaucoup plus abrasive, THROBBING GRISTLE a lui aussi ressorti quelques étrangetés de son tiroir de curiosités (même si je présume que c’est plutôt le label Mute qui continue de se repaitre sur le dos des T.G). A priori, The Third Mind Movements collecte des lives et impros de leur dernière reformation du groupe en 2007, nous proposant une facette presque (mais presque) ambiante et hantée de leur musique industrielle azimutée. Très rafraichissant entre deux sueurs froides.
C’est con, mais une des plus grosse claque cette année, de celle qui balaie tout ce qu’on écoute dans la catégorie des musiques expérimentales pures et dures, c’est bien ce « Studie I / Studie II / Gesang der Jünglinge » du père fondateur Karlheinz Stockhausen. Loin de connaitre toute sa discographie sur le bout des doigts, de se demander encore comment on peut passer à côté de ce bijou d’électroacoustique ciselé avec moults filtres analogiques passés dans une rapière sonore aléatoire. Sans exagération aucune, tout est là. Et bonne chance pour le dénicher à prix raisonnable chez un disquaire (virtuel).
Bonnes pioches dans les bacs à soldes des disquaires cette année, avec du gros dub à la Bill LASWELL : dans la wishlist depuis un moment, Dub Meltdown et Certified Dope vol. 1 de CROOKLYN DUB CONSORT délivre son flow silencieux, avec grosses baffes de basses soyeuses et sensations illbient tout droit issues des 90’s ronflantes. La compilation Abstract Depressionism enfonce le clou avec une poignée de complotistes du même acabit (Mick HARRIS, Ernaldo BERNOCHI, PRAXIS ou… MAMI CHAN !). Madeleines de Proust roboratives…
Côté jazz rien de nouveau parce que c’est tellement bon de piocher dans ce grand catalogue sans fond pour se repasser quelques vieilles merdes des années 70 ‘s (c’est Philippe Katerine qui l’a dit, okay ?). Et New For Lulu de John ZORN (alto), George LEWIS (trombone) & Bill FRISELL (gtr), reste un formidable disque de passeur plus de trente ans après. Trio sans section rythmique, qui nous réinterprète les grands standards des grands éternels seconds du post bop des 60’s (Kenny DORHAM, Hank MOBLEY et Sonny CLARK. Disque de chevet malgré un son un peu raide et froid… et malgré toutes les piques et critiques vachardes formulées à l’égard du ZORN. Mais on l’aime bien le ZORN !
Seconds couteaux (ou seconde génération ?) du free-jazz, les travaux de Marion BROWN et Sam RIVERS restent passionnants mais surtout offrent à ce genre parfois hermétique une grande bouffée d’air frais et noyés dans ce flux continu libérateur. A redécouvrir sans modération.
Hector ZAZOU ? Toujours passé à côté de son nom la plupart du temps associé au label Crammed. Là aussi, on passe des années à emprunter des lignes parallèles (ou fuyantes) face à une discographie touffue et généreuse pleine de bricolages heureux. Une attirance marquée pour la pop, une certaine idée de la world-music, les belles voix féminines, l’électronique et un peu d’avant-garde.
Faute de réelle palme d’or, un dernier coup de cœur de cette fin d’année pour le « Spiral » du duo (ou trio ?) new-yorkais DARKSIDE et son mélange introspectif et parfaitement équilibré d’electro-blues déstructuré, de dark folk, d’un psychédélisme où pointent même de vieux accents floydiens (si si ! ) voire de dream-pop éthérée.
Et si vous avez du temps à perdre et le chef d'œuvre touffu de James JOYCE pour projet de lecture alors faite-le en musique avec ce petit malin d'Antoni ROBERTS qui a tout simplement illustré ULYSSES en vingt-quatre heures déambulation musicale dans un dédale électroacoustique. Une gageure mais loin d'être indigeste (ndlr : j'en suis à trois heures...). Pour le plaisir suranné et anecdotique du geste et de l'oreille : et ça n'a pas de prix...
Voilà pour ce Hors-champs résolument tourné vers le jour d'avant-hier. Et pour
2025 qui s’annonce on essaiera plus qu’auparavant à conserver cette ligne
hasardeuse à remonter dans le temps, piocher dans l’histoire plus ou moins
proche pour exhumer quelques pépites sombres (en essayant de ne pas forcément
négliger l’actualité). Explorer des thématiques aussi, ou des petits labels à
la ligne éditoriale sympathique (et une poignée de chroniques de fond de tiroir toujours pas publiées; oups)… Avec toujours cette question lancinante :
pourquoi tenir un blog en 2021 2025 ? Pour le simple plaisir
peut-être, non ? Et pour ce "supplément d'âme" insaisissable, dernier rempart anthropique contre une I.A prédatrice de plus en plus efficace (demandez à Chatgpt de dresser une synthèse sur tel ou tel album, même obscur. Flippant). Alors comme disait notre bon vieux Jean-Louis COSTES : « bras d’honneur
au malheur » - Feliz ano, porra...
L'Un.
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