mercredi 17 juillet 2024

SUMAC : The Healer

 "Il n'est aucune bête sur la terre dont la démence ne soit infiniment surpassée par celle de l'homme". (H. Melville)

 

 

« Sur un malentendu ça peut marcher »…. De beau matin en vélo, je pensais m’écouter une de ces productions easy-listening au kilomètre : de celles avec cette patine culturelle vaguement snob  dont John ZORN a le secret. A chacun ses plaisirs coupables, okay ? Erreur de sélection sur la playlist car dès les premiers égarements d’accords d'une basse massive et suspendue à des grondements de fûts en roue libre, je sentais bien que quelque chose clochait. Trop frontal et rocailleux pour sonner comme un quelconque avatar lissé du ZORN. Ou alors c’est exactement le chemin de croix qu’il aurait pu emprunter il y a une trentaine d’année. Oui : « aurait pu ».

Alors on met l’anecdote de côté, pleins gaz vers à l’ouest pour se frotter à ce putain de super power-trio aux looks de bucherons mal équarris. SUMAC, c’est un des projets d’Aaron TURNER, grand braillard barbu au pédigrée post-hardcore long comme ma manche de chemise (de bucheron) : ISIS, OLD MAN GLOOM ; l’excellent (feu) label Hydrahead aussi. Flanqué de 2 acolytes au passé tout aussi bruyant (Brian Cook, ex-BOTCH entre autres, et Nick Yacyshyn des méconnus et excellents BAPTISTS), le trio formé lorgne vers un sludge-rock expérimental aux structures rythmiques complexes qui n’exclue pas des interludes ambiants. Lenteur, lourdeur et pas mal d’introspection forcée à tourner sans cesse en volutes pour s’extirper de cette vallée de larmes. Consumés par le feu ? Certainement. Le trio resserré a mis tous ses voyants intimes au point homéostatique pour mieux se jeter à corps perdu. Vumètres des amplis dans le rouge pour cette longue transe cathartique de plus d’une heure. Alors ça doome, ça drone à tout va. Des stop & go puissants avec ces temps d’arrêt sur des arpèges en lignes claires avant de replonger dans le chaudron métallique, voire des digressions franchement free. Au cœur de ce maelstrom sonique se dessinent de longs et amples mouvements, superbement servis par une production aérée. Les méandres dessinés à la hache obéissent aux connexions synaptiques subtilement établies entre les 3 protagonistes : impression de naviguer à vue entre écriture, improvisation et symbiose, où chaque instrument occupe pleinement l’espace sans effacer l’autre. The Healer est un objet (très) erratique aux textures et dynamiques variées. Un rollercoaster émotionnel, ou un bateau ivre noyé dans une lutte contre un léviathan intime. L’immersion est totale mais (très) exigeante, le malaise est prégnant et libératoire.

 

 

L'Un.

 

SUMAC : "The Healer (ThrillJockey. 2024)

 

mercredi 3 juillet 2024

Nicolas CUEILLE "Curiositi"


Il est toujours bon d’avoir une oreille ou deux qui trainent l’air de rien vers le label tourangeau Unjenesaisquoi. Des mecs sympas qui produisent des trucs artisanaux.... et sympas ; comme à la maison, avec un jardin ouvert aux apéros sans fin… C’est un peu comme ça qu’on ne s’est toujours pas remis de la découverte de TACHYCARDIE, le projet électro-rythmo-acoustique de JB « Pneu »…  Alors quand on parle là d’un premier album à base de bidouillages et autres triturations modulaires plus ou moins contrôlées, on ne fait pas trop la fine bouche. Le monde est ainsi fait et divisé en deux : ceux, majoritaires, qui passeront toute leur vie à côté des charmes de la synthèse analogique soustractive, et les autres, cette poignée d’initiés pour qui les forêts de câbles de patch sont un appel à des introspections aventureuses inouïes sans fin ni fond. Il existerait bien une déclinaison à cette dernière catégorie en fait, plus portée à exprimer tout le potentiel ludique et imprévisible de l’instrument protéiforme : ces gens-là monsieur, ne se prennent pas vraiment au sérieux. Et Nicolas CUEUILLE doit bien évidement en faire partie. Avec une Curiositi propice à faire éclater les lignes fuyantes sur un canevas de patches riches en pointillés, il déroule une myriade de paysages intimistes à la beauté souvent fugace. Un émerveillement secret sans cesse renouvelé à sculpter ses sons captés ou sa voix dans son dispositif de synthés crépitants. La liquidité sautillante des formes générées est aussi touffue que la forêt analogique au cœur de laquelle les sons se faufilent entre les clics et les pops modulés. Douceur passée dans des moulinettes que l’on pourrait croire auto-génératives si les accents de voix de Nicolas Cueille ne venaient remettre tout ça dans toute sa dimension humaine, à juste hauteur. Comme essentielle et espiègle. 

 

 L'Un.

 

(bonus pour les anglophones : cette fine chronique de Monolith Cocktail qui se permet foultitude de comparaisons osées et fouillées. Et ça tape juste).

 

 

Nicolas CUEILLE : "Curiositi" (UnJeNeSaisQuoi. 2024)


mercredi 19 juin 2024

STABBING JABS "s/t"

 

A force de nous ressasser que le rock est mort et bien froid depuis plus de 20 ans, on finit par le prendre pour acquis. C’est vrai que depuis la démission de Jon Spencer flanqué de son BLUES EXPLOSION qui était un peu le sommet fréquentable du truc, on avait perdu quelques repères et pas mal de certitudes…  Pendant ce temps-là le storytelling ambiant nous vendait un dernier queenofthestoneage comme le truc ultime – et bien propret - dans l’aventure rock, à l’image du flux continu et palot des productions contemporaines. Mais la Bête est toujours féconde, juste un peu reléguée dans une seconde zone qui ne lui déplait pas. Il est toujours là le rock, un peu punk certes. Le vrai, le gras, le velu, celui qui donne envie de se saouler comme dirait un pote. Et que ce soit à la bière bon marché, au bourgogne ou au mauvais bourbon, on va être servi avec ce STABBING JABS éponyme. Et dès la 1ère écoute, c’est pas faux de penser qu’on a là une vague resucée de CHROME CRANKS et son punk blues à la Crypt Records estampillé 90’s, vu que 2 des 4 gars de STABBING JABS en sont issus. Bonne nouvelle, la voix de Peter AARON n’a pas vraiment changé à toujours maltraiter de la sorte sa gorge et les membranes du micro. D’ailleurs il y a comme du John Bannon dans ses hurlements : le débat est ouvert, mais on se demande franchement s’il pourra tenir sur un 2ème album. Alors on va pas se faire chier à balancer tous les poncifs sous la dent avec cet art du riff consommé et cette morgue classieuse : ça sue et ça saigne sous les néons blafards. La batterie est littéralement martelée histoire de se frayer un chemin dans le rideau des guitares grasses. Entre ballades empoissées comme Uptown Blues et des morceaux beaucoup plus frontaux et incisifs comme Bad Slime ou Radiation Girl, on sent aussi des gros clins d’œil au punk américain à la DEAD BOYS… Et au mètres-étalon Stoogien, bien évidement.  La production étonnamment crade a ce petit effet madeleine de Proust que ne dénigreront pas les nostalgiques d’un certain âge d’or du genre (je vous rassure : il y a pas mal de genres et un âge d’or au moins à chaque décennies). Larsen sournois, distorsion et chanson d’amour ratées, je ne pensais pas qu’il fallait attendre 2024 pour renouer avec tous nos mauvais démons de vinyle… Go motherfucker, go


L'Un.

STABBING JABS : "s/t" (BeastRecords. 2024)

jeudi 6 juin 2024

HAINBACH "The One Who Runs Away Is the Ghost Soundtrack"

 « can you be homesick from a place you’ve never been ?"


On l’aime bien HAINBACH, avec sa bouille ronde, l’accent anglais made in Germany et son goût immodéré pour des pulls au design douteux. C’est le mec sympa et un peu old-school. Réconfortant, dans la nébuleuse hystérisée YouTube, avec sa façon posée de vous parler en vous fixant derrière ses lunettes professorales. Pas vraiment un influenceur à nous parler de vieux synthés d’une autre époque croisés sur son chemin et autres appareillages audio tout droit sortis de la guerre froide. Une profonde envie de partager son art consommé du DIY et du bricolage analogique. Le portrait type du passionné passionnant. Une pléthore d’albums qui sont un peu le carnet de notes de ses recherches (et découvertes) sonores. C’est souvent poétique, avec une patine grassement analogique. Parfois aride, à la limite de la démonstration. Et son dernier opus est peut-être une merveilleuse porte d’entrée pour un accès illimité dans son cabinet de curiosités oscillantes. Peut-être par cette homogénéité liée aux contraintes de la production : The One Who Runs Away Is the Ghost Soundtrack est une musique de commande, B.O d’un film dont on devine les contours troublants et oniriques avec le trailer : deux minots livrés à eux-mêmes et confrontés au spectacle de l’atelier du monde, l’industrieuse Shenzhen. Point de dystopie : le futur est bien là, avec ces gamins exposés aux radiations des signaux électriques et à la solitude des bâtiments. La post-modernité se veut douce-amère et l’éclairage au néon. Terrain idéal pour HAINBACH que ces errances flottantes propices à une musique d’ambiances analogiques d’arrière-plan, laissant les enfants à leur contemplations digitales. La musique est enveloppante, une certaine distance sur les (petits) sujets, caresse bienveillante de bandes magnétiques triturées dans d’infinies brumes d’échos…

 

L'Un.

HAINBACH :  "The One Who Runs Away Is the Ghost Soundtrack" (SeilRecords. 2024)