« J’aime le bruit. J’aime le bon gros son vicieux qui donne le vertige. Je veux le sentir me transpercer comme une super décharge électrique. On est si délabré et anéanti par nos existences pitoyables qu’on en a autant besoin que d’un fix » (Steve ALBINI, cité dans Forced Exposure circa 1985)
Non, on va plutôt faire un grand bond en arrière, pour cet hommage inopiné, vu que dans la série « Les Disques de l’Un » de ce blog, l’album à la pochette verte était souvent revenu au sommet de la liste. Quand on a à peine 15 ans, découvrir ex-nihilo Songs About Fucking de BIG BLACK, c’est entrer dans un territoire inconnu avec une scie circulaire vissée aux oreilles. Et on sait déjà qu’on ne sortira pas nécessairement indemne à se repasser le vinyle avec l’autocollant de censure sur le Fuc---g. C’est le truc qu’on n’osait même pas faire découvrir à ses potes de lycée par peur de passer pour un psychotique en phase terminale. On se sent un peu seul face à ces 13 déflagrations d’une agressivité inouïe. Sans le savoir pas mal de barrières venaient d’être transgressées, entre provocation et agressivité chauffées à blanc, et finalement loin des codes déjà sagement balisés du punk-rock. Là, le préfixe post-quelque chose prenait enfin son sens, préfigurant déjà ce que pourrait bien être le rock-indus (GODFLESH n’était pas encore né). Avec une boite à rythme TR-606 déshumanisée qui balance ses rythmes concassés sur cette avalanche de riffs compressés et joués à coups de lames de rasoir, BIG BLACK sonnait comme le truc indépassable en termes de violence sonore. Déchiffrer les imprécations hurlées d’Albini dans ce chaos métallique s’avérait impossible et surtout risqué : sans chercher à en comprendre quoi que ce soit, on sentait déjà que les textes allaient chercher dans les tréfonds d’une âme dérangée. Ou encore d’une de ces existences anonymes tristement américaines : the quiet kill on the country road comme disait dit l’autre. Au milieu de cette volée de morceaux tendus sur un fil épileptique, se profile gentiment la plus belle reprise qu’on puisse attendre du The Model des KRAFTWERK. Ce qui a achevé de rendre l’album presque fréquentable, tout du moins pour une certaine presse. Après cet épitomé paroxystique qui clôturera la courte et caustique carrière du groupe, Albini montera le très finement nommé RAPEMAN (avec David Wm. Sims de SCRATCH ACID plus tard bassiste de JESUS LIZARD - avec David Yow de… SCRATCH ACID). Avec une vraie batterie cette fois, soit à parfaite équidistance entre la furie de BIG BLACK et les expérimentations au long cours de SHELLAC. Dommage que les controverses autour du nom du groupe (rapeman = violeur, ok ?..) aient occulté les qualités exceptionnelles de cet unique album (certes flanqué d’un EP « BUDD »), mais il en était ainsi de cet art consommé de la provoc’ qu’Albini cultivait avec malice et férocité.
Alors un seul regret désormais : c’est cette certitude de ne plus trouver au détour d’un bac à disques, un album d’un de ces petits groupes inconnus, avec cet autocollant un peu putassier « enregistré par Steve Albini » collé à son insu par les labels.
Thank you Sir Albini
(ps : je file chercher les anciens SHELLAC encore sur le marché avant qu'ils ne deviennent objet de culte hors de prix sur Discogs. Le dernier To All Trains sera vite re-pressé...).
L'Un.
SHELLAC : "To All Trains" (Touch&Go 2024 )
BIG BLACK : "Songs About Fucking"(Touch&Go. 1987)
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