mercredi 22 mai 2024

Les Disques de l'Un #16/10 (?!) : et si on ne parlait pas vraiment du dernier To All Trains de SHELLAC pour évoquer un Steve ALBINI sous un angle autrement plus incisif ?


« J’aime le bruit. J’aime le bon gros son vicieux qui donne le vertige. Je veux le sentir me transpercer comme une super décharge électrique. On est si délabré et anéanti par nos existences pitoyables qu’on en a autant besoin que d’un fix » (Steve ALBINI, cité dans Forced Exposure circa 1985)

 

 

Le monde est ainsi fait : on crie souvent au génie une fois passé de vie à trépas. C’est inutile, mais probablement là un besoin exutoire et rituel enfoui en chacun de nous.
L’algorithme des résos socios est ainsi ficelé, à force de likes et d’effet trou de serrure, on en arrive à ne lire QUE ça, comme une onde de choc qui parcoure petit monde de la musique indie (même Bfntv y est allé de sa rubrique nécro, avec quelques jours de retard !) : l’intransigeant et prolifique Steve Albini est donc passé de vie à trépas dans les locaux de son studio Electrical Audio. Sans bonne raison, merde, et à une semaine de la sortie du 6° album. De SHELLAC, ce groupe discret et efficace, finalement un peu culte à force d’un jusqu’au boutisme savamment cultivé envers et surtout contre les corporates… Alors honnêtement, à lire ce concert de louanges où tout un chacun y va de son anecdote et de sa larmichette posthume, on va pas s’essayer à le chroniquer ce dernier album, hein ? De toutes façons tous les trains connaissent une voie terminus même si ce To All Trains n’était absolument pas censé être un chant du cygne (comme le Blackstar de ce vieux renard de Bowie). On ne doute pas que l’ironie grinçante de la situation n’aurait pas forcément déplu à ce stakhanoviste de l’enregistrement qui prenait très au sérieux sa mission de documentation sonore de tout un pan de la musique (généralement) indépendante. Non, ben on va pas le chroniquer ce SHELLAC : il est, bon, très bon de toutes façons ! Témoignage d’une amitié indéfectible qui aura duré près trente ans. Sorte d’à côté pour des amateurs au sens noble du terme, qui ont distillé leur noise rock décharné et poussé jusqu’au concept contre vents et marées. Trio plus resserré que jamais, moins ardu aussi, et qui sonne peut-être plus live que jamais : la qualité du son de la batterie (marque de fabrique du technicien Albini) frappe d’emblée, ample, avec ses belles ruades au groove sec et rigide.
 

Non, on va plutôt faire un grand bond en arrière, pour cet hommage inopiné, vu que dans la série « Les Disques de l’Un » de ce blog, l’album à la pochette verte était souvent revenu au sommet de la liste.  Quand on a à peine 15 ans, découvrir ex-nihilo Songs About Fucking de BIG BLACK, c’est entrer dans un territoire inconnu avec une scie circulaire vissée aux oreilles. Et on sait déjà qu’on ne sortira pas nécessairement indemne à se repasser le vinyle avec l’autocollant de censure sur le Fuc---g. C’est le truc qu’on n’osait même pas faire découvrir à ses potes de lycée par peur de passer pour un psychotique en phase terminale. On se sent un peu seul face à ces 13 déflagrations d’une agressivité inouïe. Sans le savoir pas mal de barrières venaient d’être transgressées, entre provocation et agressivité chauffées à blanc, et finalement loin des codes déjà sagement balisés du punk-rock. Là, le préfixe post-quelque chose prenait enfin son sens, préfigurant déjà ce que pourrait bien être le rock-indus (GODFLESH n’était pas encore né). Avec une boite à rythme TR-606 déshumanisée qui balance ses rythmes concassés sur cette avalanche de riffs compressés et joués à coups de lames de rasoir, BIG BLACK sonnait comme le truc indépassable en termes de violence sonore. Déchiffrer les imprécations hurlées d’Albini dans ce chaos métallique s’avérait impossible et surtout risqué : sans chercher à en comprendre quoi que ce soit, on sentait déjà que les textes allaient chercher dans les tréfonds d’une âme dérangée. Ou encore d’une de ces existences anonymes tristement américaines : the quiet kill on the country road  comme disait dit l’autre. Au milieu de cette volée de morceaux tendus sur un fil épileptique, se profile gentiment la plus belle reprise qu’on puisse attendre du The Model des KRAFTWERK. Ce qui a achevé de rendre l’album presque fréquentable, tout du moins pour une certaine presse. Après cet épitomé paroxystique qui clôturera la courte et caustique carrière du groupe, Albini montera le très finement nommé RAPEMAN (avec David Wm. Sims de SCRATCH ACID plus tard bassiste de JESUS LIZARD - avec David Yow de… SCRATCH ACID). Avec une vraie batterie cette fois, soit à parfaite équidistance entre la furie de BIG BLACK et les expérimentations au long cours de SHELLAC. Dommage que les controverses autour du nom du groupe (rapeman = violeur, ok ?..) aient occulté les qualités exceptionnelles de cet unique album (certes flanqué d’un EP « BUDD »), mais il en était ainsi de cet art consommé de la provoc’ qu’Albini cultivait avec malice et férocité.

Alors un seul regret désormais : c’est cette certitude de ne plus trouver au détour d’un bac à disques, un album d’un de ces petits groupes inconnus, avec cet autocollant un peu putassier « enregistré par Steve Albini » collé à son insu par les labels.

Thank you Sir Albini

 

(ps : je file chercher les anciens SHELLAC encore sur le marché avant qu'ils ne deviennent  objet de culte hors de prix sur Discogs. Le dernier To All Trains sera vite re-pressé...).

L'Un.

 

SHELLAC : "To All Trains" (Touch&Go 2024 )

BIG BLACK : "Songs About Fucking"(Touch&Go. 1987)

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