mardi 19 septembre 2023

Les Disques de l'Un #15/10 (!!!) : SACCHARINE TRUST : Surviving You, Always

 « Blues (free)JAZZ is the teacher, punk is the preacher » (The Bellrays)

 

 

Au départ, c’était une photo de pochette d’un album live de Black Flag  sur laquelle on pouvait voir Greg Ginn arborer un tee shirt à l’effigie de  ce groupe au nom étrange : Saccharine Trust. Logique hypothético-déductive d’un ado qui découvrait l’effervescence des groupes « indés » des années 80’s : « si mon guitariste préféré fait de la promo pour ce groupe, alors ce groupe est forcément cool ». Il me FALLAIT dénicher leur album. Denrée rare chez les disquaires de province à l’époque, c’est finalement le soyeux We Became Snakes qui inaugurera la collection, faisant figure au passage de bonne introduction à l'univers parallèle du jazz…  Surviving You, Always je le trouverais dans un bac à soldes des années plus tard. La pochette semblait ultra cool, jusqu’à ce que je réalise que la photo l’illustrant relatait en fait d’un suicide par défenestration et non d’une naïade un peu évaporée, mais bon…  De toute façon je n’étais pas préparé à l’uppercut que j’allais prendre dans les oreilles.

 

Compagnons de route dès les débuts du label SST, le groupe a toujours eu toute sa place avec ses pairs avec un premier EP qui traduisait également la rage et l’urgence de l’époque avec des intonations néanmoins plus arty que les potes du label. Si tous ces groupes ont suivi des trajectoires artistiques remarquables et affirmées, Saccharine Trust est peut-être le plus décalé et atypique de l’écurie (même si les Meat Puppets..... ). Affublés de l‘aura ingrate des grands outsiders, le groupe avait un succès d’estime auprès des Sonic Youth qui rêvaient de les rencontrer lors de leur brève signature sur le label. Et nul doute que Surviving You, Always y est pour quelque chose avec ce magma d’avant-rock qui cherche (et trouve) son propre équilibre, forcément instable, entre l’énergie punk, un groove en accéléré passé au hachoir, quelques dissonances et ruades free de rigueur, une poésie beat traversée d'accents bibliques.  Et une passion sans faille qui suinte de part et d’autre de l’album. Pareil objet musical dénotait au sein d’une scène punk assez bas du front et somme toute conservatrice et quelque peu sectaire, leur sincérité restant leur meilleur laissez-passer dans cette jungle urbaine bouillonnante. Le virage free-furieux et radical opéré après le Pagan Icon des débuts doit beaucoup à la forte personnalité du tandem Jack Brewer, Joe Baiza, la légende voulant que ce dernier faisait ses gammes en avalant son petit déjeuner. Un chemin emprunté qu’il ne démentira pas par la suite, s’enfonçant toujours plus dans les méandres d’un jazz chaleureux et absolument cool avec Universal Congress Of. Mais on est loin de ce cool ou de la note bleue pour l’instant, avec des morceaux survoltés ou riment rapidité d’exécution et maitrise d’une énergie penchant dangereusement pour les dissonances et la syncope. Quelques plages au rythme ralenti comme pour  halluciner sur Our Discovery ou encore Yhwh On Acid aèrent l’album pour finir avec une reprise radicale et inattendue des Doors… Impérial et possédé tel un prophète de rue, les accents de voix, humeurs et autres imprécations de Jack Brewer parcourent et incarnent tout l’album avec l’impression de se voir administrer un prêche ou quelconque sermon de bas-étage sur chacun des morceaux…  

Par la suite, Saccharine Trust produira trois très bons albums, tous différents et lorgnant davantage vers un jazz urbain aux formes plus « classiques ». Le dernier The Great One is Dead a été produit une quinzaine d’années plus tard dans un anonymat relatif, avec une section rythmique différente, et toujours, les inséparables Baiza/Brewer aux commandes. « Surviving » reste un mètre-étalon pour tout bon apprenti musicien se frottant au math-rock, punk-jazz et autre forme de musique composites. Un disque qui aura influencé pas mal de monde et témoignait aussi d’une scène paradoxalement restée ouverte aux expérimentations et autres fusions bourgeonnantes. Très représentatif quelque part de ce qu’on été les groupes « indés » avant de se trouver qualifiés de la sorte.

 

Bon, cette fois, on va la clôturer pour de bon, cette série des Disques de l’Un. On a dépassé les 10/10 depuis un bail… Mais ce groupe revenait régulièrement dans la balance. Pour être honnête j’aurais dû évoquer We Became Snakes vu que c’est avec lui qu’a commencé cette longue aventure. Et puis il a une pochette parmi les plus cool (avec le Huevos des Meat Puppets et les artworks de Pettibon pour Black Flag….)… Mais Surving You, Always reste jusqu’à ce jour une pierre d’achoppement, un marqueur fort dans un parcours hétéroclite et inspirant. Et somme toute « bien content » de toujours posséder leur vinyle qui devient denrée rare sur le marché. Même dématérialisé.

 

 

 

L'Un.

 

SACCHARINE TRUST : Surviving You, Always (SST Records. 1984)

mardi 5 septembre 2023

LOUD AS GIANTS "Empty Homes"


Quel que soit son avatar, on ne chronique plus trop les productions de Justin K. Broadrick. Parce qu’on peine à le suivre dans cette boulimie sans fin ; parce qu’à force d’aligner sortie sur sortie, les lignes se brouillent, lorgnant parfois vers un déstabilisant sentiment de déjà-vu en forme de grand continuum sans queue ni tête. Les obsessions de ce démiurge se rejoignent dans une œuvre presque trop cohérente dont les desseins cachés se révéleraient à la fin. Je ne sais pas trop où on se situe dans ce chemin de croix en forme d’échos lourds et de bruit blanc, et ne sais pas non plus s’il y a vraiment une fin à une production pléthorique qui semble être le prolongement naturel de Broadrick et surtout le meilleur exutoire à toutes ses angoisses. Au final devant tant de matière impalpable, on se retrouve submergé et confus, abordant chacune de ses parutions avec une certaine circonspection. Mais Loud as Giant est un nouvel – énième - alias (qui plus est une collaboration avec un certain Dirk Seeries), ce qui justifie ce petit arrêt sur image (oui, la photo de la pochette a capté mon attention !). A la première écoute de cet Empty Homes, un possible biais peut faire penser qu’un seul homme est aux manettes, Justin K. Broadrick tirant la couverture vers lui. Mais c’est ignorer la vieille et profonde amitié entre les deux protagonistes, ceux-ci partageant ce goût pour les textures granuleuses noyées dans les brumes électrifiées, les paysages désolés et les postures introspectives. Alors oui, tout au long de l’album (ou sur les ¾ des titres) on pourrait tout à fait penser à écouter un album de JESU (encore un…), ce projet exutoire et véritable miroir en négatif de Godflesh qu’a développé Broadrick au fil des années. Les nuances collaboratives se cachent dans le détail des boucles de nappes sonores finement appliquées, une rythmique discrète et rampante qui s’impose au fil des morceaux. Les pistes se brouillent à la croisée des chemins entre une dark ambient cinématique jamais loin, en embuscade, et ce shoegaze aux relents industriels corrodés qui masque (ou distille) si habilement les émotions derrière ce mur hypnotisant de résonances insistantes et d’échos soutenus. Comme la somme de deux regards rétrospectifs convergents sur un sacré paquet de décennies cumulées à forger le son et la matière de la sorte dans les éthers de plus en plus éloignés. Exercice de topographie sonore aux marges de la claustrophobie comme ont pu le faire CoH & Abul Mogard récemment dans un registre plus mystérieux, ou encore The Bug vsEarth sur des terrains arides… 

 

L'Un.

LOUD AS GIANTS  "Empty Homes" (ConsoulingSouls. 2023)