vendredi 19 avril 2024

CHROME : Blue Exposure

 « A quoi sert la liberté d'expression, quand on n'a rien à dire? » (J.G Ballard)

 

 

Ah ouais ? on croyait CHROME québlo cheper dans une brèche spatio-temporelle depuis fin 70’s – début 80’s. Et ils viennent de publier un album au titre racoleur. C’est étonnant aurait dit l’autre. Et leur label claironne partout qu’iol serait même le plus abordable de la discographie ; sign of the time, diraient d’autres, surtout quand les temps sont durs. Avant d’avoir la dent dure, autant balayer un peu devant ma porte histoire de lever quelques malentendus :

- CHROME ne s’est PAS arrêté lorsque Helios CREED s’est barré (période CHROME Edge ?), okay ?

- Et oui, CHROME a continué après la disparition de Damon EDGE en 1995 : période Helios CHROME, mon vieil Helios pointant son nez et ses grosses papattes pour reprendre les rênes en main à la majorité d’une voix.

- Bref, depuis 3rd From the Sun ou Blood on the Moon, je pensais le groupe définitivement relégué dans la catégorie des légendes enterrées des musiques souterraines. Si ce n’est  une tentative vaguement acclamée et vite retombée en 2014 avec Techromancy (période Helios CHROME, ok ?).

Alors CHROME ? Un retour vers le futur dystopique d’alors s’impose avec cette bande de proto-junk punks schizoïdes aussi malfaisants qu’une armée vrombissante d’insectes mutants qui a réussi à régurgiter un truc qui aura en gros posé les bases d’une esthétique brinquebalante entre indus, space-rock sci-fi et autres expérimentations noiséeuses : du pré-post-punk en quelque sorte… Les 3 ou 4 albums de cette collaboration prolifique (période EDGE-CREED donc…) restent d’incontournables piliers dans la discothèque de tout apprenti bruitiste revendiqué. Même si « The Visitation », le pré-CHROME sans Helios CREED donc, s’apparentait plutôt à (je cite) du Santana mélangé à du Eno première période.

Je pense déjà avoir égaré quelques lecteurs, et grand bien leur fasse, parce que la suite n’est malheureusement pas à la hauteur de la légende. Parce qu’on est donc en pleine période Helios CHROME. En roue libre, le géant chapeauté seul aux commandes. Déjà le titre de l’album est un clin d’œil grossier au séminal Red Exposure, le premier titre aussi, Chromosome Damage II se référant au premier chromosome encore intact de l’indépassable Alien Soundtrack. Et oui, vous l’avez vu venir : on en est loin, très loin, avec cette bouillie de riffs stoner sans inspiration et noyée dans une avalanche (dégoulinante) de larsens poussifs. On a même le droit à une espèce de balade crépusculaire embarrassante qui (au moins) dénote du reste de l’album désespérément homogène, pataud et sans relief, comme du college-rock qui s’encanaille dans les vapeurs lysergiques. Vous l’avez compris, Blue Exposure est une pénible crotte de nez en forme de faux diamant bleu qui aura autant de mal à se détacher de vos narines irritées que les morceaux peinent à décoller. Une sorte de sous-produit CHROMatique qui finira vite dans les bacs à solde de la musique underground. Au final, on se demande pourquoi Helios CREED s’acharne autant à surfer sur le cadavre d’un groupe qui n’a réellement fonctionné qu’en duo.Il se démerdait très bien avec une carrière solo exemplaire avec des productions (très) rarement aussi affligeantes que cet album bleu. Et c'est plutôt là que je l'attendais au tournant (Helios CREED donc et non Helios CHROME), Blue Exposure s'apparentant plus au passage aux délires psychés de la formation éponyme d'Helios (CREED).

Bon, c’est pas trop dans nos habitudes de descendre en vol un artiste ou un album. Faute de temps et d’énergie déjà. Et puis il vaut toujours mieux partager ce qu’on aime plutôt que de distiller des impressions fielleuses et stériles… Mais le ton de ce billet est peut-être à la hauteur de ma déception. Et surtout, c’est une invitation à revisiter la discographie, la vraie, de ce groupe mythique, soient la poignée d’albums météoriques des 6 ou 7 premières années. 

 

 

L'Un. 

 

CHROME : "Blue Exposure" ( Cleopatra. 2023)

 

jeudi 4 avril 2024

ANDRE 3000 "New Blue Sun"

"Come to Daddy..."

 

Il aura fallu pas mal d’écoutes attentives, du temps et surtout de se débarrasser de quelques à priori. Et sans illusion, s’essayer à dépasser cette accumulation de poncifs lue dans une presse consciencieusement dithyrambique. Parce qu’il fallait crever l’abcès boursouflé du buzz vrombissant à la sortie de l’album. Bah ouais, ANDRE 3000, quoi, c’est OUTkAST et son rap bling bling qui aura régné sur les années 2000. Et au lieu de se la couler douce à écouler ses royalties dans un palace de papier parce qu’il n’avait plus grand chose à prouver, il nous fait ce come-back sous la forme d’un OVNI aux contours flous et insaisissables. Caprice de star revenue de tout ou sincère illumination ? Un peu des deux, la première proposition facilitant la deuxième : parce qu’il peut se le permettre, et sans trop de comptes à rendre dans une industrie prédatrice trop occupée à scruter les courbes des ventes du filon format vinyle qui s'épuise... Et il nous la joue à rebrousse-poil, suffisamment facétieux pour annoncer la couleur avec le bien nommé premier titre à ralooonge en forme de constat indépassable : « I swear, I Really Wanted To Make A "Rap" Album But This Is Literally The Way The Wind Blew Me This Time ». Sacré Dédé va. C’est armé de sa flute céleste (instrument qu’il pratique depuis toujours), de quelques bons potes fiables (dont Tyler, the Creator) et d’un endroit bien peinard qu’il s’en va défricher ce nouveau territoire sonore ouvert à ces cinq sens. Et c’est parti pour un full tripping de 8 morceaux dont la durée est souvent corrélée à la longueur des titres les qualifiant (bon, il a réussi à faire courtaud avec « Ninety three ‘til infinity & Beyoncé »). Les plages s’étirent donc, sans autre contrainte que le cheminement intime de ces errances qui oscillent paisiblement entre new-age, jazz cosmique, une pointe d’expérimentations très organiques, le tout nimbé de grosses nappes d’ambient et d’ambiances feutrées à faire pâlir un Eno (ndlr : encore lui…) en manque d’inspiration. Musique dépourvue de business plan cynique, sans autre but qu’une navigation introspective à cœur ouvert, sensible, qui prend simplement le temps de se poser au milieu de cette hystérisation interconnectée. Ce truc, qui invoque autant le flutiau de l’inégal Herbie MANN dans ses grands moments que des borborygmes d’un Pharoah SANDERS branché sur un vieux Moog désaccordé, c’est un luxe rare qu’ANDRE 3000 a su saisir au vol en pleine conscience. Pour le plus grand désarroi d’une bonne partie de ses fans. Pourtant il l’avait bien précisé sur la pochette : « no bars » (pas de rimes). Après, si ça peut ouvrir les profanes que nous sommes  à l’Eveil…


L'Un. 

Andre 3000 "New Blue Sun" (Epic. 2023)