lundi 17 octobre 2022

Oren AMBARCHI : "Ghosted"

Jamais mon esprit, estant tousjours en transe aux escoutes de l'advenir pour le regard du bien public, n'a jeté ceste crainte arriere de soi , (Amyot, P. Aem)

 

Toujours à graviter autour des petits écosystèmes fermés que sont l’improvisation radicale et l’avant-garde qui va avec, classieux, discret et vaguement obsessionnel, Oren Ambarchi ne cesse de faire exploser les cadres musicaux qu’il approche. Avec une certaine appétence pour les schémas répétitifs utilisés comme puissant sédatif ou autre psychotrope. La formation sur Ghosted a tout du trio de jazz conventionnel, pensez donc : la contrebasse de Johan Berthling, la batterie d’Andreas Werliin, et la guitare d’Ambarchi. Ce trio formé n‘en est pas à sa première expérience, ayant eu l’occasion de croiser le fer en 2019 lors des sessions live du projet Hubris, dans une veine plus radicale mais tout aussi hypnotique que le tranquille Ghosted qui nous intéresse : là, on part dans des terrains familiers et chaleureux à faire tourner lentement des petits patterns rythmiques en mode ternaire. Un groove syncopé s’installe dès la première partie, laissant la guitare trafiquée se poser en longs trémolos aux formes fuyantes. Les morceaux suivants sont construits à l’identique, le lead de ces petits patterns rythmiques étant assuré alternativement par la contrebasse (ou basse dans le 2° morceau) ou les percussions. La solidité de ces structures musclées aux subtiles variations donne libre court à Ambarchi de passer ses échos de guitares dans la moulinette d’une cabine Leslie…Histoire de faire imploser le cadre… Avec des accents d'ethno-jazz, de doom jazz, de musique sérielle même, les quatre morceaux délivrent une musique de trio solide et chaleureuse où l’improvisation avance par touches subtiles et graduelles. 

 

L'Un.

Oren AMBARCHI "Ghosted" (DragCity. 2022)

dimanche 2 octobre 2022

Mathias DELPLANQUE : O Seuil

"La fin du monde est un concept sans avenir" (Paul Virilio)

 

On va pas se le cacher : il était attendu depuis un sacré moment, le nouveau Delplanque solo ! Petit moment de réjouissance en soi et trépignements d’impatience avant même de le jouer sur la platine. Il en va de ces sorciers du son dont la musique tisse des écheveaux qui rentrent en résonance directe avec la partie la plus enfouie de votre cerveau reptilien… Après la verticalité de Chutes, ou un Drachen tout en frémissements statiques, la question est de savoir où positionner O Seuil et sa pochette à la verdure intrigante. O Seuil de quoi déjà ? De nos attentes les plus folles ? D’une dislocation imminente, de la fin de la corne d’Abondance (oui oui, ça on sait…) ? Ou encore d’une nouvelle direction que Mathias nous inviterait à emprunter ensemble, en le franchissant ce seuil, comme tapi à l’orée d’une forêt périurbaine (?)… Ah ah, probablement un peu de ça, et un peu de tout le reste. Car si les choses semblent se caler d’une manière qui nous semblerait presque coutumière sur les premières secondes de O Seuil #1, on sent un glissement s’installer dans le modus operandi avec cette note pulsative rampante qui ne nous lâchera plus au fil des morceaux, évoluant vers des figures rythmiques plus ou moins hypnotiques. Au fur et à mesure s’invitent dans cet étrange carrousel ces lignes mélodiques lointaines et hantées. Elles proviennent d’un instrumentarium que l’on ne connaissait pas chez Mathias Delplanque. Pas forcément identifiées, elles prennent place  sur ce tapis de frémissements sonores strictement contrôlés auxquels le compositeur nous avait habitués. La direction empruntée oscille entre un post-rock diaphane et un doom étrangement solennel, entachée par les vieilles habitudes de parasitages électroacoustiques. Des  field-recordings comme en contrepoint espiègles parcourent certains morceaux renforçant cette lancinante sensation d’une proximité en léger décalage. Disque aux titres éponymes qui se consomme comme un long travelling sonore d’une bande-son statique et empesée. Et on tient peut-être là une partie de notre réponse : après les précédent Chutes et Drachen donc, O Seuil s’inscrit dans un ample mouvement panoramique, réponse dystopique aux angoisses qui nourrissent notre époque et nous taraudent. Mais Mathias Delplanque le fait avec une maitrise et une élégance qui restent là son véritable savoir-faire.

 

L'Un.

Mathias DELPLANQUE : "O Seuil" (Ici, d'Ailleurs. 2022)