mardi 21 mars 2023

Michele BOKANOWSKI "Musiques de Concert"

 

On va la faire courte vu qu’on a pas trop l’habitude d’écrire des trucs sur des trucs qu’on a pas encore écouté (en tout cas dans son intégralité). Du coup l’exercice s’apparente plus à du teasing vaguement commercial qu’à une chronique écrite avec tout le recul subjectif nécessaire. C’est Sonoris, et sa ligne éditoriale toujours aussi pertinente pour ce genre de rétrospective pointue qui nous balance un coffret 4 CD’s en loucedé. Les amateurs avertis apprécieront, les profanes probablement. Certes moins connue que ses contemporain.e.s et pionnier.e.s d’alors. Michele Bokanowski a dû basculer dès son plus jeune âge dans les théories avant-gardistes frémissantes de l’époque. Elle a collaboré avec des Pierre Schaeffer et autres Eliane Radigue, parfaites cautions artistiques pour la situer et éviter de brosser un portrait à rallonge (oui : on va la faire courte…). Sa musique est caractérisée par une approche aux accents souvent cinématographiques, des manipulations jamais trop éloignées des sources sonores captées, et un art obsessionnel de la répétition. Un mouvement de fond à la fois sombre et puissant se dégage de ses morceaux leur conférant une sensualité hypnotique chargée de mystère. Des morceaux comme Tabou, Chambres d’Inquiétude ou Phone Radiation sont de petits monolithes immersifs aux inflexions proto-dark ambient très marquées dont la modernité ne cesse d’étonner quelques décennies plus tard. Travail d’archéologie sonore et de « réhabilitation » même, d’une artiste passée légèrement sous les radars des musiques d’avant-garde ?  Ça rappelle aussi que la place des femmes, même dans ce genre de musiques était quelque peu minorée voire occultée. Dommage de tenir ce genre de discours en 2023, mais on ne va pas bouder son plaisir là, à redécouvrir les travaux de comparses comme Eliane Radigue ou Beatryz Ferreyra avec les nombreuses rééditions proposées. Ne reste qu’à s’installer confortablement dans son vieux fauteuil pour savourer ces Musiques de Concert à la maison.

 

L'Un.

Michele BOKANOWSKI "Musiques de Concert" (Sonoris. 2023)

lundi 6 mars 2023

SIGHTLESS PIT : Lockstep Bloodwar

 « Quelle expérience de vivre dans la peur ! Voilà ce que c'est que d'être un esclave. » Blade Runner

 

 

Descendant en ligne directe de la période séminale de Napalm Death, le grindcore de Full of Hell est un nom qui compte ces temps-ci pour cette explosion de la tête très prisée et autres sensations corrodées… The Body c’est un peu le même esprit mais en duo, et sur des tempo doom plus abrasifs : nos deux formations évoluent dans les eaux graisseuses des musiques qu’on qualifie paresseusement « d’extrêmes ». Ils ont réuni leurs vitupérations et mélangé leurs sueurs sur le très bon One Day You’ll Ache Like I Ache. Alors, en toute logique, je vous vois venir : Sightless Pit ? C’est du 1/4 FoH & 1/2 The Body ; un projet dissident de frères d’armes qui s’attardent tard le soir derrière des cannettes de bières éventées. Oui. Et NON en fait. Si les deux comparses vont effectivement pousser les mêmes stridences, leur théâtre d’opérations s’est déplacé sournoisement vers d’autres terrains musicaux, phagocytés de la sorte par ce champignon à l’odeur de pourriture. Sur une base de beats concassés qui flirtent avec un canevas inextricable à base d’indus, de noise, hip-hop ou ambient, Lee Buford (The Body) et Dylan Walker (Full of Hell) se font à la fois sorciers du son et griots d’une apocalypse annoncée. Musique de danse pour un futur déjà condamné. Où l’on ne danse pas vraiment d’ailleurs sauf peut-être autour d’un feu, à conjurer cette peur des ténèbres chevillée au corps transi. Il est sûr qu’un projet né pendant l’hystérie confinée du COVID-19 n’est pas exempt des stigmates d’un sentiment de paranoïa viscérale. Et ce ne sont pas les quelques samples de musique sacrée du Resin on Knife d’ouverture qui dissiperont l’atmosphère malsaine de ce cauchemar dystopique qui dégueule au même rythme qu’une coulée de lave en fusion. Avec une approche comparable à The Bug, Les morceaux se succèdent avec des invité.e.s inattendu.e.s  qui viennent aussi bien du rap hardcore (Frukwan, Gangsta Boo…) que d’une frange plus expérimentale (YoshimiO de OOIOO ou encore l’intrigante Claire Rousay). Pistes brouillées où se mélangent des cris exutoires de goules encapuchonnées et ce groove méticuleusement sabordé. On ne voit pas le bout de l’ombre du tunnel dans lequel nous sommes retranchés, transformé à l’occasion en vertueux cercle de merde sans fin. Comme le précisait le groupe dans une interview : « Lockstep Bloodwar est la lutte pour comprendre et accepter le fait que nos vies sont sur une piste verrouillée, et que la piste est violente et douloureuse. Nous n'avons aucun contrôle sur nos vies à quelque échelle que ce soit et même l'existence la plus simple est égoïste et violente ». Birth of the cruel.

 

L'Un.

SIGHTLESS PIT : Lockstep Bloodwar (ThrillJockey. 2023)