mardi 19 avril 2022

Marina ROSENFELD "Index"

* un dubplate désigne un disque microsillon en acétate très fragile gravé en un seul exemplaire, créé à l'origine pour faire les 2 moules matricielles du futur disque, ceux des Faces "A" et "B", qui permettront de presser des disques vinyles par la suite. (wikipedia)

 

 

Sur cet Index qui compile quelques années de pratiques en concert, le format des dubplates* reste le support privilégié par Marina Rosenfeld pour fixer ses manipulations. Mais on est pourtant loin de la fumée des dancefloors jamaïcains et de leurs soundsystems saturés. Cette mise à l’Index est plutôt à caler précautionneusement entre les travaux de Christian Marclay, eRikm ou Basinsky, et c’est plutôt sur le parquet stratifié des galeries d’art contemporain des grandes métropoles qu’on pourra entendre l’artiste distiller son groove discordant. Et envoutant. S’il est difficile d’établir le lien précis entre ce support spécifique et les sources sonores utilisées dans la démarche de l’artiste, mieux vaut se concentrer sur le résultat final produit où forme et fond sont intimement imbriqués et fusionnés. Les oreilles effectuent un mouvement d’aller-retour incessant entre la main, son intention et le médium en question. Les dubplates utilisées restent une surface fragile qui se dégrade dans le temps : les grésillements électrostatiques du matériau s’invitent dans l’œuvre écrite/improvisée (?) pour fusionner ou batailler avec les sources sonores initialement gravées dans l’acétate. Jeu de boucles dégradées où se télescopent des crépitements à l’éclat sombre et granulaire. Au gré des morceaux on oscille entre drones approximatifs d’une early-électronique fractale et bribes d’une musique contemporaine austère et parasitée auxquelles le son du vinyle apportera cette note de chaleur analogique, à la fois saturée et distante.
Toute l’ironie tient peut-être dans le format commercial de l’œuvre délivrée sous la forme aseptisée d’un compact-disc qui fige le processus précaire pour une éternité toute relative… 

 

 

 

L'Un 

 

Marina ROSENFELD "Index" (Room40. 2021).

mercredi 6 avril 2022

YU SU : Yellow River Blue

Ce bon vieux blues du Fleuve Jaune, lorsque la canadienne Yu Su interroge ses lointaines racines par-delà le Pacifique. Le voyage en Chine comme fil directeur ténu, quand les styles, rythmes et ambiances se télescopent avec l’élégance discrète d’une électro-pop diaphane et dansante. On est loin d’un (extrême-) orientalisme aux accents appuyés, l’influence de cette Asie rêvée se fait par petite touches : en usant de la gamme pentatonique chinoise, de samples de chants traditionnels, des roulements de gros tambours où le timbre des notes de synthés qui singent le son d'instruments à cordes exotiques…. Yellow Blue river se tient aussi à la confluence du parcours musical de Yu Su. Les influences, qu’elles soient pop et sautillante, orientées dancefloor ou marquées par le dub, sont savamment distillées sans jamais verser intégralement dans un genre ou dans l’autre. Cet art subtil de la mise en retrait donne aux morceaux plus de spontanéité voire de mystère, lorsqu’ils semblent ne jamais vraiment vouloir décoller. Au final, ce petit kaléidoscope cinématique et bien ficelé distille son swing nostalgique... qui n’est pas sans rappeler la musique de Midori Takada. C'est un objet singulier et plutôt à part dans le monde des musiques électroniques actuelles qui évoluent parfois dans un cadre pré-déterminé. 

 

L'Un 

 

YU SU "Yellow River Blue (MusicFromMemory. 2021)