"Tout le charme de l'Orient... Moitié loukoum, moitié
ciguë..." J.P Belmondo "Le Guignolo"
Tout commence à Istanbul, ce carrefour des mondes à
l’histoire millénaire, et Babel musicale. Embarquement sur le premier ferry
pour Üsküdar dans un crépuscule glacial encore envapé. La musique cinématique de
Gözen Atila (aka Anadol) musicienne turque basée à Berlin se nourrit goulument
des diverses influences et courants contraires qui traversent le Bosphore :
on parle là de pop-turque, d’arabesques, de jazz trippé, le tout largement
enveloppé d’expérimentations électroniques et obsédants field-recording en
contrepoint. Un disque hybride à la croisée des cultures et contradictions, où toutes
les dualités sont intriquées : la modernité se mélange à la tradition, une
identité écartelée entre un orient fantasmé et l’occident toujours plus
dévorant. A la fois sombre comme une ruelle de Beyoğlu et ludique comme une
ligne de synthé Casio marchandé dans le grand bazaar… Ce kaléidoscope nous
embarque dans un travelling inouï qui manipulera autant de clichés pour mieux
les remettre en question. On ressent comme une pulsation mate qui trimballe son
swing mid-tempo nocturne et interlope au travers de nappes de réverb’ et
d’échos. Les contretemps sont en embuscades dès que le propos se veut léger et
insouciant, quand certains passages s’étirent à volonté dans un glissando de
textures et de flottements qui flirtent avec un minimalisme des plus
contemporains… Au final, ça pourrait évoquer les obsessions narratives d’un
John Zorn qui se serait enfin décidé à ressortir un album véritablement inspiré
; mais tout le monde n’est pas forcément touché par la grâce, et ces temps-ci,
c’est de ce côté du monde qu’il faut tourner ses oreilles pour prétendre à ce
petit supplément d’âme qui fait si souvent défaut... Juste un pont à franchir…
L'Un.
ANADOL "Felicita" (Pingipung. 2022)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire